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Nominée au Panthéon du basket américain, Jacky Chazalon est un mythe

« Son nom est Jacky Chazalon et à l’exception de Jean-Claude Killy, elle est peut-être le sportif français le plus célèbre. » Cette citation date du 28 juillet 1974 et émane du plus réputé des quotidiens américains, le New York Times, sous le titre « Chazalon. La poétesse française du basket-ball ».

« Son nom est Jacky Chazalon et à l’exception de Jean-Claude Killy, elle est peut-être le sportif français le plus célèbre. » Cette citation date du 28 juillet 1974 et émane du plus réputé des quotidiens américains, le New York Times, sous le titre « Chazalon. La poétesse française du basket-ball ». Etonnant, non ?

On comprend mieux pourquoi Jacky Chazalon vient d’être nominée au prestigieux Hall Of Fame américain de Springfield dans la catégorie internationale, au même titre que Vlade Divac, Toni Kukoc, Dino Radja et encore Nick Galis. Les résultats seront connus en septembre 2017.

Ses signes distinctifs étaient nombreux : son numéro 10, ses cheveux mi-longs retenus par un bandeau –un hommage au tennisman Björn Borg-, son goût pour le yoga et la méditation, ses tenues un peu hippie, son diminutif « Jacky » plutôt que son prénom Jacqueline, et sa très forte créativité dans le jeu à une époque où le basket féminin était sous le joug austère des Pays de l’Est, principalement de l’URSS. Un concerto de dribbles chaloupés, dans le dos, entre les jambes, de feintes diverses et variées. A distance, Jacky utilisait un tir à deux mains qui partait de la tête, et à trois-quatre mètres un jump shoot élégant et performant. A l’approche du panier, on la voyait parfois sauter d’un pied et déclencher ce qui sera, bien plus tard, le tear drop de Tony Parker. « C’est drôle, mais on remet des gestes à la mode qui étaient dépassés », explique cette septuagénaire à la sagacité jamais démentie. « J’avais constaté que face aux grandes, c’était l’une des seules façons de pouvoir shooter dans de bonnes conditions à 2-3 mètres du panier. A l’époque, on disait que c’était un tir fillette car l’ancienne génération le pratiquait déjà. » Un chat, ce petit format de 1,72m, une virtuose, comme T.P.

« Jacqueline Chazalon a une beauté dans tous ses gestes qui la fait remarquer par le profane comme le technicien », jugeait avec finesse son coach en équipe de France comme au Clermont UC, Joe Jaunay. « L’élégance qu’elle a me réconcilie avec le sport féminin », ajoutait avec ce soupçon de machisme qui le caractérisait Robert Busnel, le président fédéral.

« D’emblée, j’ai considéré le basket comme un moyen d’expression. Le côté esthétique, spectacle, ça m’allait très bien avec la compétition. C’est que ce j’aimais dans le basket américain de l’époque. Mais jamais au détriment de l’équipe. Mais bien sûr quand tu rates quelque chose d’un peu difficile, on t’en veut un peu plus », sourit Jacky.

« Ce que l’on oublie souvent de préciser, c’est que Jacky a travaillé, beaucoup travaillé. C’était une grande bosseuse », nous avait déclaré un jour Edith Tavert. C’est cette ancienne internationale majeure qui avait façonné Jacky et qui, suite à une dispute, l’avait emmenée avec ses équipières de l’AS Montferrand au club d’en face, le Clermont Université Club. Tout le monde dût redémarrer au niveau départemental ! « Notre génération fut la première à rentrer dans le basket de compétition, en acceptant de s’entraîner quatre heures par jour. Avant, à l’époque d’Anne-Marie Colchen et Edith Tavert, c’était deux fois par semaine et donc c’était plutôt du loisir. »

« Le CUC écrabouilla le championnat national, enchaînant une série de 125 victoires d’affilée puis une autre de 222 ! »

Basketteuse du XXe siècle

Jacky a toujours eu beaucoup de reconnaissance pour Edith Tavert –« une femme formidable »- qui lui a donné d’emblée à s’occuper des minimes du club, des rangs desquelles sortiront Cathy Malfois, meilleure joueuse française de sa génération, et aussi Cathy Chenevoy, la maman de la Berruyère Paoline Salagnac.

Jacky s’est aussi très fortement inspirée du basket masculin, notamment de ce fou volant génial des années soixante-dix, Julius Erving, alias Doctor J. Souvent elle s’est entraînée avec les Américains du Stade-Clermontois, de la JA Vichy ou avec des cadets. « Il y avait une grande différence de niveau avec nous car ils étaient déjà grands et musclés, mais Jaunay avait compris qu’il fallait que l’on se confronte aux hommes. A l’époque, en France, il n’y avait pas d’équipes de notre niveau, donc pas d’adversité. Quand on me disait : « tu joues comme un garçon », c’était le plus grand compliment que l’on pouvait espérer », rit elle.

Joe Jaunay et le docteur Michel Canque, président du CUC, eurent l’idée de rassembler la plupart des internationales françaises au sein du même club. Les effets positifs se firent ressentir dès 1970 avec une place en finale de l’Euro ; une colossale surprise car précédemment la France végétait dans les bas fonds européens. Au CUC s’installèrent Elisabeth Riffiod, meilleure pivot de sa génération, future maman de Boris Diaw, Irène Guidotti, sorte d’alter-ego de Jacky Chazalon, et encore François Quiblier, maman des sœurs Elodie et Géraldine Bertal. De 1968 à 1981, les Demoiselles du CUC, comme on les appelait, récoltèrent 13 titres de champion de France et surtout se hissèrent 5 fois en finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, l’équivalent de l’EuroLeague. « Nous avons eu une période très glorieuse que nous devons, je crois, à l’association de deux génies du basket. L’un le manager entraîneur Joe Jaunay, qui est certainement l’un des maître du basket mondial, extrêmement moderne dans ses conceptions, et une joueuse que l’on a qualifié de l’une des meilleures du monde, Jacky Chazalon », déclara le docteur Canque.

D’un côté le CUC écrabouilla le championnat national, enchaînant une série de 125 victoires d’affilée puis une autre de 222 ! De l’autre, il butta en finale européenne sur le Daugava Riga de la géante Ouliana Semenova et ses 2,20m. « C’était impossible de gagner. Les Soviétiques dominaient tellement le basket mondial qu’elles auraient quasiment pu aligner cinq équipes qui auraient pris les cinq premières places d’un Championnat d’Europe ou d’un Championnat du Monde », estime Jacky. « Les Bulgares, les Roumaines, les Tchèques, les Yougos étaient aussi parmi les meilleures. Les Américaines n’étaient pas encore au top. Quand on a joué les universités américaines là-bas avec le CUC, on a gagné tous nos matches. »

Tout cela est d’un autre siècle, lorsque un rideau de fer hermétique séparait l’occident des pseudos démocraties populaires. « J’avais quand même deux, trois amies mais il y avait toujours un commissaire de la République dans leur groupe et elles étaient surveillées. C’était mal vu de parler avec nous. Ca m’est arrivé de rencontrer Bazarevitch à l’aéroport de Moscou, entre deux avions, elle se cachait. »

Davantage encore que le masculin, le basket féminin était peu chiffré, mal renseigné. Tout juste sait-on que Jacky a scoré 42 points lors d’un France-Hongrie amical, en mars 1970, gagné 76-32. Elle aurait aussi marqué 55 points lors d’un match du championnat de France. Plus explicite : elle a tourné à 19,3 points de moyenne à l’Euro 1970 et à 18,9 points deux ans plus tard.

Pas davantage de référendum européen puisque celui de la Gazzetta dello Sport, la référence, n’est apparu qu’en 1979. « On disait souvent de moi que j’étais parmi les meilleures joueuses du monde mais personne ne pouvait le vérifier. » Seule véritable certitude : Jacky Chazalon a été élue Basketteuse Française du XXe siècle par un collège d’experts réunis par le mensuel Maxi-Basket. Côté masculin, c’est Alain Gilles qui fut plébiscité et, clin d’œil du destin, elle avait avec le Villeurbannais un lointain cousinage.

Autres lauriers à son actif, Jacky fut la première Française a être introduite en 2009 au Hall of Fame de la FIBA, dans la même promotion que l’un de ses modèles, Oscar « Big O » Robertson.

« Jacky Chazalon fut au moins aussi célèbre que Céline Dumerc après ses exploits olympiques »

Un jubilé en direct

Les prouesses de Jacky Chazalon s’achevèrent dès l’âge de 31 ans. Il lui fallait penser à sa reconversion. Elle n’a jamais monnayé son talent. « Simplement, on avait des appartements payés. Et puis Jaunay a imité le modèle russe. Il nous a eu des postes au ministère des sports avec un salaire minimum. On ne travaillait quasiment pas. J’ai été prof de sport pendant cinq ans au lycée Jeanne d’Arc à Clermont, mais je ne suis pas certaine d’avoir exercé jusqu’au bout », essaye t-elle de se remémorer. Le grand argentier du football Jean-Claude Darmon voulu lui dénicher des sponsors mais Jacky lui rappela que c’était impossible puisqu’elle était… amateur. Et à l’époque, on ne plaisantait pas avec ce statut olympique.

Il reste les titres et la gloire. Immense. Difficile même à imaginer pour ceux qui n’ont pas connu les années soixante-dix. Jacky Chazalon fut au moins aussi célèbre que Céline Dumerc après ses exploits olympiques. Ainsi une partie de la première mi-temps et toute la seconde de la première finale européenne contre Riga, en 1971, fut télévisée en direct. Et c’est toute la France profonde qui regardait la première chaîne. Les reportages dans les Journaux Télévisés duraient parfois cinq minutes et lorsque les méthodes de l’entraîneur autrichien Eric Biermaier, qui avait succédé à Jaunay, furent critiquées, le JT de nuit du 13 avril 1974, titra « la crise du CUC ». Et c’est forcément Jacky qui était interviewée. Le plus extraordinaire peut-être : Jean Raynal, le journaliste basket de l’ORTF de l’époque, lui demanda d’organiser une rencontre entre des hommes et des femmes. Jacky s’était retirée depuis un an et ce match de gala fut son jubilé. Il fut télévisé en direct et en intégralité avec en apéritif un concours de lancers-francs et un autre de dribbles avec notamment un face à face Gilles-Chazalon que Jacky gagna à l’applaudimètre !

Les demoiselles du CUC eurent droit à plusieurs pages dans Paris Match, les magazines féminins comme Femmes d’Aujourd’hui et Bonne Soirée, et Jacky tout spécialement à une Une de L’Equipe où on la voit passer sous les bras de la géante Semenova. Cette photo frappa toute une génération de lecteurs du quotidien sportif. « Mon nom était reconnu en France. Lorsque je suis allé récemment dans une pharmacie à Paris, on m’a dit, c’est vous Jacky Chazalon ? Mais mon visage était moins connu que ceux des skieuses. »

A Clermont où 5 000 spectateurs s’entassaient dans la Maison des Sports pour les joutes européennes et où il y avait parfois du marché noir, les Cucistes étaient des « vedettes », comme on disait, et Jacky en était la reine. Mais les images télévisées en noir et blanc nous renvoient une jeune femme bien sage. « On était timides… Quand je vois Tony et Boris répondre aux journalistes, je me dis qu’on était des enfants de chœur à l’époque. »

Cette notoriété, Jacky s’en est tout de même servie pour faire connaître les camps Sports Elite Jeunes créés avec son pote l’Américain Carmine Calzonetti. Et sa deuxième vie fut aussi réussie que celle de sportive. « J’en suis assez fier. C’était le premier camp de basket, de foot, de rugby, et de golf pour les jeunes. » Vincent Collet en fut l’un des stagiaires avant plus tard d’en être moniteur. « Je l’ai fait évoluer et j’ai trouvé un repreneur car c’était une activité rentable en phase avec l’activité du moment. »

Jacky fut aussi très active au sein du club des internationaux dont elle fut huit ans la présidente, imaginant des vidéos qui circulent sur le web, des trading cards, et multipliant par dix le fichier original de quarante noms et adresses.

Les demoiselles du CUC sont encore souvent regroupées –elles ont ainsi fêté les 80 ans du Docteur Canque décédé récemment- car elles ont « vécu ensemble des moments exceptionnels. » Valérie Garnier, la coach des Bleues et de Bourges, a reconnu que Jacky Chazalon fut son modèle. Ce n’est pas un cas isolé. Les Clermontoises et tout spécialement leur chef de file furent à l’origine de nombreuses vocations et leur médiatisation explique le boom des licenciées de cette époque. Davantage encore qu’une sportive d’exception, Jacky Chazalon est un mythe.

Article paru dans Basket Hebdo en 2015

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