Aller au contenu

Ed Murphy : le roi des cartons

Le lundi 26 septembre, à l’occasion du premier match de la saison face à la JDA Dijon, le Limoges CSP va honorer l’une de ses légendes, Ed Murphy. Avec lui, c’était toujours pan, dans le mille ! Au début des années quatre-vingt, sa boulimie de points a propulsé le club de la Haute-Vienne en haut de…

murphy

Le lundi 26 septembre, à l’occasion du premier match de la saison face à la JDA Dijon, le Limoges CSP va honorer l’une de ses légendes, Ed Murphy. Avec lui, c’était toujours pan, dans le mille ! Au début des années quatre-vingt, sa boulimie de points a propulsé le club de la Haute-Vienne en haut de l’affiche.

Il est arrivé à Rotterdam un jour de novembre 78. Il s’est entraîné avec l’équipe et il a joué son premier match le lendemain soir. Ed Murphy a scoré 35 points.

Maxi-Basket
Maxi-Basket

Edward Murphy, né à Bayonne –un présage ?- dans le New Jersey, au début de l’année 1956, moustachu et cheveux bouclés, a banalisé l’exploit tout au long de sa carrière. L’Américain a toujours été en phase avec le précepte de base du Pasteur James Naismith, inventeur de ce jeu, soit : l’essentiel est de marquer un maximum de paniers. Dans un match : 68 points en grammar school, 48 en NCAA, 53 en première division française. Sur une saison : 32,0 pts en junior à l’université –la meilleure marque de toutes les colleges de Division II NCAA en 1977-, 35,0 au BOB Amsterdam, 30,5 au Racing Malines… En France, Murphy a édité sa propre édition du Livre des Records : 29,8 pts de moyenne la première saison, 31,6 la deuxième, 32,3 la troisième, 34,0 la quatrième, et… il a franchi la frontière suisse avec ses valises pleines de cartons.

Au Merrimack College, on le surnomma « Radar » car il trouvait très souvent la cible. En France, on lui préféra Lucky Luke car il tirait plus vite que son ombre, et encore Ed-la-Gâchette. Jeune journaliste au Boston Globe, Bob Ryan écrivit l’une de ses phrases choc qui font le miel des médias américains : « La seule façon de stopper Ed Murphy dans ses tirs, c’est de l’empêcher d’entrer dans la salle. »

Une adresse diabolique

Ed Murphy n’était pas Robocop. Au premier coup d’œil, il ressemblait à un employé du banque ou de La Poste. Le haut de son corps trahissait un goût très modéré pour la musculation, ses épaules étaient tombantes. Seulement, on s’apercevait que ses mollets étaient en béton et qu’avec ses 90kg pour 1,93m, l’Américain n’était pas à ranger dans la catégorie poids plume. A l’instar de Nick Galis, un autre pointivore du New Jersey et de la même génération, Murphy était capable de contorsions en l’air -le fameux double pump– ce qui lui permettait d’éviter les contres des big men. Galis avait la passe décisive comme deuxième arme mortel, Murphy le rebond offensif. Question de placement. D’instinct. De volonté. Parlant de la défense inutile du SCM Le Mans, Bernard Verret écrira dans Le Populaire : « Murphy se faufile entre les Sarthois avec l’agilité d’un singe dans les branches d’un arbre. Les mâchoires du traquenard se referment sur le vide. » Son dribble chaloupé faisait sortir son vis-à-vis de ses baskets.

Murphy pouvait marquer toutes sortes de panier. De près, à distance intermédiaire, de loin, avec le plexi, sans, bien droit, désarticulé, classiquement, avec malice, seul, avec trois défenseurs au ras de sa moustache. C’est comme il voulait. Son tir en extension si peu académique avec la balle bien calée derrière sa nuque était un cauchemar. Son fouetté du poignet était majestueux. Oui, bien sûr, on aura beau jeu de dire qu’en ces temps là, le jeu était si peu physique, que ça ne défendait pas ou mal, même si par exemple un gars comme Allen Bunting et son double mètre –un as pour empêcher l’attaquant de recevoir le ballon- n’était pas un plaisantin. Murphy avait beaucoup de respect pour l’Antibois.

Comme Larry Bird, Oscar Schmidt ou Kevin Durant, Ed Murphy était un basketteur fondamentalement adroit. Son équipier Apollo Faye raconta dans Maxi-Basket trois anecdotes qui éclairèrent le phénomène. « C’était à l’échauffement avant le match contre Avignon. Je m’en rappelle bien car c’est moi qui lui donnais le ballon. C’est simple, je lui ai passé 49 fois la balle et 48 fois c’est rentré. » L’autre ? Un soir à Clermont, pour s’amuser, Murphy envoie la balle dans le cercle de 12 mètres de distance et en la faisant passer par-dessus la planche. Ficelle. « Ensuite, il a lancé une bouteille de bière par-dessus son épaule vers une grande benne à verre usagée. La benne était à 10-15 mètres, il y avait une ouverture minuscule. Pan ! La bouteille est rentrée. »

Lui, Ed Murphy, n’a jamais tiré gloriole de la montagne de points qu’il a construite durant sa vie de basketteur. « Par contre, réussir à être top-scoreur avec un fort pourcentage d’adresse, et surtout dans une équipe qui gagne, ça oui, c’était plus glorieux » commentera t-il. Plus de 6 tentatives sur 10 faisaient mouche. Est-ce Limoges qui a fait Murphy ou Murphy qui a fait Limoges ? Ses seuls vrais lauriers, l’Américain les a récoltés avec le CSP, mais sans lui jamais Limoges n’aurait gagné ses deux Coupes Korac. Ed Murphy n’a pas inventé le feu mais c’est lui qui l’a propagé dans la France entière.

16/17 contre Cantu

Son arrivée à Limoges ne s’était pas faite dans un tintamarre médiatique. L’édition du 8 juillet 1981 du Populaire du Centre proposa une photomaton peu engageante, et quelques lignes de texte avec ce commentaire : «  Murphy est un véritable ailier et il est surtout très adroit à 7-8 mètres. » La ligne à 6,25m n’avait pas encore été tracée ce qui laissait le champ libre à toutes les élucubrations quant à la distance des shoots. Murphy n’avait ni le pedigree de Michael Brooks, Don Collins ou Michael Young. Personne ne se doutait que ce club encore anonyme venait de trouver la Pierre Philosophale.

A son apparition, Apollo Faye se demanda « qui c’est ce petit Blanc tout maigrichon ? » Et fut vite renseigné.

Maxi-Basket
Maxi-Basket

« On est monté à quatre au contre sur lui. On s’est dit qu’on allait lui écraser la balle sur la gueule. Et puis on a commencé à descendre. Et lui, il était toujours en suspension avec l’air de nous regarder en se marrant. La balle est rentrée. Là, je me suis dit que c’était un super. »

Quelques mois plus tard, c’est toute la France qui se pâmait d’admiration. Un train spécial de quatorze wagons partait de la gare des Bénédictins avec huit cents supporteurs à bord. Direction Padoue et la gloire éternelle. Le CSP terrassait le Sibenik de Drazen Petrovic, un moutard géniale de 17 ans que l’on surnomma Mozart. 35 points pour Murphy –dont 24 en première mi-temps-, rien que de l’ordinaire, soit 15 de moins que le samedi précédent contre le Stade Français-Evry. L’autre Américain du CSP, Irvin Kiffin, un ancien Spur, toujours actif dans les moments chauds, homme cultivé, passionné de musique et qui se promenait continuellement avec une bible, fut décisif. La finale de la Coupe Korac avait été diffusée en direct à 20h30 sur Antenne 2 et un triomphe romain attendait les héros à leur retour en Limousin.

La plus formidable impression, Ed Murphy la laissa peut-être un soir de janvier 1984 à Beaublanc. Le CSP accueillait Cantu en Coupe des Champions. Le sculptural Antonello Riva et le malin Pierluigi Marzorati se relayèrent pour tenter de stopper l’infernale mécanique. Peine perdue. Ed Murphy ne commit qu’une seule bavure. Soit SEIZE shoots réussis sur DIX-SEPT tentés. Et un cinq sur cinq aux lancers. Unbelievable.

Un obscur college de Division II

Gamin, Ed Murphy habitait à une quarantaine de minutes du Madison Square Garden de New York. Son père l’emmenait aux matches et il aimait Bill Bradley, un shooteur, et surtout Walt Frazier, un as du dribble et des pénétrations. Ed fit un malheur à la Marist High School -33 points de moyenne- mais pris la mauvaise habitude de jouer à l’aile. Ce fut un handicap vue sa taille et il fut négligé des recruteurs universitaires. Surtout que sa défense laissait sérieusement à désirer. En désespoir, Ed se retrancha sur le Merrimack College, une institution de Division II aussi anonyme qu’un M. Smith dans un bottin téléphonique américain. Autant dire que l’histoire des Warriors –le surnom des basketteurs- portent toujours en tête de page Ed Murphy. Plus grand nombre de points dans une carrière, de shoots et de lancers réussis et tentés. Murphy fut distingué comme All-America trois saisons de suite, mais en Division II, c’est dérisoire… Le canonnier fut drafté en 1978 par les Atlanta Hawks –tenez vous bien- au 8e tour ! « J’ai joué contre beaucoup de joueurs de NBA » raconta t-il plus tard à Didier Le Corre pour Maxi-Basket. « Je me suis aperçu que je pouvais jouer contre eux, que je pouvais marquer contre eux. Ce qui m’empêche de jouer en NBA, c’est que je suis un scoreur et les clubs de la NBA ne recherchent pas de scorers. Ils ont leurs stars et ils veulent seulement des joueurs qui peuvent faire des choses précises. » Une évidence qui n’était pas forcément admise à l’époque par le basket français, pas encore au courant des moeurs américaines, et qui ne comprenait pas comment un tel héros pouvait être ignoré par la National Basketball Association. Le rejet fut si cruel qu’Edward se décida à trouver un vrai job et fut embauché par l’United Parcel Service, l’équivalent aux USA de… La Poste ! Il avait le physique de l’emploi disions nous mais on comprend qu’il accepta l’offre du BOB Rotterdam.

L’hommage à ses équipiers

La moustache sûrement, la silhouette, la dégaine peut-être, son calme jamais pris en défaut, Ed Murphy avait un faux air de Charlie Chaplin. Il n’était pas du genre à enrichir les rumeurs de frasques des joueurs qui bruissaient en ville. Ed reconnaissait ne pas extérioriser ses sentiments mais ne voulait pas être comparé à Charlot, le clown triste. « C’est vrai qu’il fuit un peu les traditionnelles réjouissances d’après-match, mais c’est surtout parce que, des différents aspects de la culture française, celui du bien manger et du bien boire lui échappe absolument : sa joie de vivre, il ne la porte pas au bout de sa fourchette » raconta Jean-Luc Thomas dans son livre Trans Korac Express.

Maxi-Basket
Maxi-Basket

Ed Murphy était tout simplement un bon père de famille, sans histoires, et terriblement américain. Il lisait L’Herald Tribune, faute de USA Today à Limoges –son père achetait L’Equipe chaque jour à New York pour suivre ses exploits- et le club lui avait obtenu des cassettes des programmes de télé en langue américaine. Car malgré l’apport d’un prof, Ed ne fit jamais beaucoup d’efforts pour apprendre le français. Il avoua regarder les chaînes françaises –il y en avait trois- en écoutant les Eagles et Fleetwood Mac. « Ça me détend plus que la voix des présentateurs français. Je me contente des images. » C’est ainsi que l’Américain suivit la Coupe du Monde de foot 1982 avec un casque sur les oreilles. « C’est l’Italie qui a gagné en finale, n’est-ce pas ? Les Français, c’était bien aussi, mais ne me demandez pas leur nom. »

Ed qualifia Limoges de « middle of nowhere », en gros de « trou paumé » -c’est vrai que lorsqu’on a fréquenté Manhattan, c’est peu animé- mais enchaîna aussitôt en déclarant que sa femme et lui s’y sentaient à leur aise. D’ailleurs, c’est à contre cœur qu’il quitta la ville et le club car la belle histoire se termina en eau de boudin. Ed expliqua plus tard qu’un talon d’Achille douloureux et un manque de communication avec Jean-Claude Biojout –le décideur numéro 1 du club- le priva d’une saison supplémentaire dans les verts pâturages limousins.

Le CSP avait pris soin de lui faire signer un document comme quoi il ne pouvait jouer pour un autre club français. A moins de trente ans, « Ed-la-gâchette » se retrouva en Suisse et dans son modeste championnat. Trois saisons à Champel Genève, deux à Nyon. Une belle affaire financière –toutes proportions gardées étant donné l’époque-, mais quel gâchis sportif. A Genève, il y avait une école internationale et ses deux filles, nées à Limoges, purent ainsi être élevées à l’américaine.

Ed perdit un moment tout contact avec la France mais le jubilé Richard Dacoury, juste après l’Euro 99, lui permit de revenir à Beaublanc. Les cheveux avaient blanchi, la silhouette était toujours la même. « Voir tous ces gens m’applaudir est peut-être le plus grand honneur que l’on ne m’ait jamais rendu. Ça, je ne l’oublierai jamais. C’était la première fois que je revenais en Europe depuis dix ans. »

Vu ses caractéristiques, ses forces et ses faiblesses, Ed Murphy est tombé au bon moment en France. Surtout c’était un formidable champion. Vraiment. Un joueur toujours concentré. Un tueur à gages. D’ailleurs un jury constitué par Maxi-Basket devait l’élire « Meilleur basketteur étranger du XXe siècle. » Devant Delaney Rudd et Michael Young. Et l’homme était simple, modeste, tout simplement normal. A des années-lumière d’un LeBron James, d’un Kobe Bryant. Un « gars facile à vivre » comme il se qualifiait. A l’annonce de son élection, il renvoya le bouquet de fleurs à Richard Dacoury, Jean-Michel Sénégal et à tous les autres. « J’aimerais que les gens sachent que je n’aurais jamais été le joueur que je suis devenu sans eux, le plus grand joueur du siècle, sans leurs écrans pour me libérer, sans les ballons qui m’arrivaient parfaitement, sans leur défense. Merci à eux tous du fond du cœur. »

Tout sauf un soliste, Ed Murphy.

Article paru dans Maxi-Basket en 2010.

Photo : DR

Commentaires

Fil d'actualité