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Pour le directeur sportif du Mans, les Américains considèrent la Pro A comme la D-League européenne

Directeur Sportif du Mans Sarthe Basket, Vincent Loriot est habitué aux arcanes du basket américain. Il se rend notamment chaque année en Virginie au Portsmouth Invitational Tournament.

Directeur Sportif du Mans Sarthe Basket, Vincent Loriot est habitué aux arcanes du basket américain. Il se rend notamment chaque année en Virginie au Portsmouth Invitational Tournament.

L’homme idéal pour faire un point sur les rapports entre la NBA et le basket professionnel français, surtout que le MSB est concerné par Petr Cornelie (voir le reportage sur BasketUSA), Jonathan Jeanne et Youssoupha Fall, prêtés respectivement à Nancy et Poitiers.

Pourquoi la NBA est-elle aussi friande de prospects français ?

Les Américains continuent de penser -et plutôt à juste titre- que les basketteurs français et sans doute quelque part le basket français sont ce qui se rapprochent le plus de leurs standards de jeu, en terme de qualités athlétiques. Il suffit de voir en D-League Axel Toupane qui logiquement devrait aller en NBA alors que ce n’était pas un joueur phénoménal en Pro A. Il suffit de voir Timothé Luwawu (Philadelphia Sixers) qui avant d’aller à Mega Leks ne faisait pas plus que ça le buzz en France. Mais ses qualités correspondent aux standards NBA : un grand 2 qui peut défendre et qui peut shooter. Il avait un peu le profil des « 3 and D » qu’ils aiment. Il y a aussi un vrai intérêt justifié de la part de la NBA pour les prospects français car ils ont cette mentalité américaine, c’est leur référent contrairement à la majorité des jeunes joueurs en Europe. Pour les joueurs français, même les plus vieux, la référence c’est la NBA, pas l’Euroleague ou bien sûr le championnat de France. A force d’être baigné dans cette culture à l’américaine, ils ont des mimétismes, ils sont modelés pour réussir dans cette ligue là. Ce qu’apprécient les Américains, c’est que ces jeunes joueurs jouent dans un championnat professionnel, que globalement ils sont mieux éduqués. Je ne dis pas plus intelligents, mais plus adaptables qu’un jeune joueur américain qui a eu beaucoup de hype autour de lui et pour qui parfois c’est « yo.. yo… » casquette à l’envers. Avec des qualités identiques au même âge nos joueurs sont déjà confrontés au monde professionnel et quelque part mieux formés dans leur tête.

David Michineau de Hyères-Toulon et Isaia Cordinier d’Antibes ont été draftés en juin dernier respectivement par New Orleans à la 39e place –droits cédés ensuite aux Los Angeles Clippers- et Atlanta à la 44e place, mais ils n’explosent pas cette saison en Pro A comme on pouvait l’espérer. Pourquoi ?

Pour Michineau, je pense que pas grand monde a compris pourquoi il s’est retrouvé drafté si haut. Je crois que c’est à Trévise qu’il a épaté son monde et il suffit finalement d’une équipe sur trente… Les Clippers ont quand même payé Chalon 300 000 dollars pour qu’il soit libre de faire la summer league et le filer après à Hyères-Toulon. Cordinier, on peut comprendre car globalement les joueurs passés par Denain ont plutôt percé après, Yakuba Ouattara (Monaco), William Howard (Hyères-Toulon) et Jerry Boutsiele (Cholet). En jouant l’atout jeunesse, Jean-Christophe Prat a réussi à sortir des gars dont les autres ne voulaient pas forcément. Ils ont dû voir que les gamins passés par Denain performaient après en Pro A. Et Cordinier est né en 1996, c’est très jeune.

« Isaia Cordinier, c’est le plus beau crash de la Pro A »

Les franchises NBA sont donc au courant de ce genre de filière ?

Ah ! Oui. Ils sont tellement staffés ! Quand ils sont venus pour Petr Cornelie au Mans, ils ont posé vingt questions, toujours les mêmes : à Erman Kunter, à Alex Ménard, à Antoine Mathieu qui l’a eu en espoir, à moi, peut-être à un mec au pole Espoir où il était en Alsace, le spectre le plus large possible. Ensuite, ils croisent tout: « lui, c’est crédible, lui c’est bizarre qu’il ait dit ça, etc. » Et après ils ont un espèce de profil type de l’homme et du basketteur. Ils se sont peut-être dit « la Pro B, ce n’est pas super mais quand même à Denain, ils ont bien bossé. » Pour les Américains, nous sommes une sorte de D-League européenne et c’est un bon laboratoire et ils se disent, « Cordinier est très jeune, ça va marcher, on prend. » Sauf qu’il s’est fracassé au Hoop Summitt, ça a été une catastrophe et quelque part c’est aussi ce qui a fait baisser sa côte mais pas au point d’être non drafté ou de se retrouver dans les eaux de Peter Cornelie (53e). Je pense que Cordinier n’aurait jamais dû aller à cette draft après ce qui s’est passé au Hoop Summitt. Le retour que j’ai eu d’agents qui étaient là-bas ou qui avaient eu des échos, c’est « il s’est détruit. Il a été ridicule. Il faut qu’il retire son nom pour qu’ils l’oublient un peu et qu’il refasse ses preuves cette année. » Je pense que c’est le plus beau crash de la Pro A. Si on prend son évaluation LNB et qu’on la traduit en évaluation Euroleague, c’est à dire en prenant les fautes provoquées moins les fautes personnelles, que l’on divise par le nombre de matches… Et bien, avant que l’on joue Antibes avec le MSB, cette évaluation était négative alors qu’il joue 18 minutes par match. On n’a jamais vu ça. On parle d’Isaia Cordinier drafté par la NBA ! C’est un crash industriel, ce qui ne veut pas dire que ce gamin là n’ira pas un jour en NBA. Mais je comprends que la NBA soit intriguée par les jeunes joueurs français. Frank Ntilinika, c’est justifié. On est la seule ligue qui a autant de joueurs noirs comme la NBA. Même si le joueur noir n’est pas forcément athlétique, on ne va pas se raconter des cracks, ils le sont plus souvent que les Blancs. Et notre ligue est athlétique comme la NBA. La Pro A a beaucoup de défauts pour les puristes du basket classique d’Euroleague, à juste titre, mais j’ai la faiblesse de croire que pour la NBA, c’est parfait.

Et il n’y a pas de raison que ca cesse ?

Non, ça serait une révolution absolue que le basket français change d’identité dans les dix ans. On a onze joueurs en NBA, cinq draftés en juin, Frank Ntilikina qui va y aller, Jonathan Jeanne qui on l’espère ira, Alpha Kaba… D’autres. Je ne dirai pas une profusion mais un réservoir de joueurs qui peuvent chaque année être draftés.

On remarque qu’il y a actuellement moins d’Antillais que par un passé récent ?

Je pense que c’est cyclique. Il y a davantage de joueurs issus de l’immigration africaine, c’est tout.

« Le Two-Way Contract de la NBA pourrait aspirer davantage de joueurs français »

Une nouvelle règle édictée par la NBA devrait permettre aux jeunes Français d’avoir une sorte de sas en D-League. Qu’en est-il exactement ?

L’année prochaine, le nouveau CBA (Collective Bargaining Agreement) va proposer un nouveau système, le Two-Way contract. Cela permettra à chacune des trente franchises d’avoir deux joueurs sous ce système donc une possibilité de soixante joueurs au total. Tu es avec moi sous contrat. Si tu fais la pré-saison avec moi, tu as 50 000 dollars garantis. Je te mets en D-League, j’ai besoin de toi. Le minimum NBA sera de 815 615 dollars et avec le Two-Way Contrat, tu auras par jour 1/170e de cette somme, soit 4 797 dollars. Dix jours avec moi égalent 48 000 dollars. Par contre, quand tu retournes en D-League, tu as un salaire de misère. Il y a deux contrats en D-League : 19 500 et 25 000 dollars à l’année. Suivant cette règle, le maximum sera de 45 jours en NBA. Si j’ai besoin plus de toi, on casse le Two-Way Contract, tu deviens automatiquement un joueur à part entière. Ça va permettre souvent à de jeunes joueurs type Petr Cornelie, David Michineau ou Isaia Cordinier d’être toujours dans un sas.

La conséquence c’est que la NBA va aspirer encore plus de joueurs français* ?

Oui, surtout de jeunes joueurs potentiels. Ils ne prendront pas de vétérans. Oui, les trois joueurs cités auraient pu bénéficier du Two-Way contract s’ils l’avaient mis en place dès cette année. Ça aurait pu aussi inciter Guerschon Yabusele à rechercher au départ ce type de contrat mais il gagne finalement beaucoup plus en Chine et il sera libre en mars pour rejoindre les Celtics. Ça remplace le « draft and stash », qui voulait dire : « je te drafte, j’ai tes droits, je ne les utilise pas, je ne paye pas ton club et tu restes là où tu es ». C’était la tendance de la dernière draft.

*Axel Toupane, Livio Jean-Charles, Boris Dallo et Damien Inglis sont déjà cette saison en D-League.

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