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Fernando Raposo (Gravelines), le joueur sans frontières

Multilingue et multiculturel, Fernando Raposo (2,06m, 27 ans) est le fruit de la mondialisation. Ancien international français U20, il ambitionne de retourner dans son pays de naissance, l’Allemagne.

Multilingue et multiculturel, Fernando Raposo (2,06m, 27 ans) est le fruit de la mondialisation. Ancien international français U20, il ambitionne de retourner dans son pays de naissance, l’Allemagne.

Fernando Raposo porte le prénom de son père et c’est pourquoi on l’appelle communément Nando. La famille Raposo s’était installée à Stuttgart et ce n’est que récemment que ses grands-parents paternels sont retournés dans leur pays d’origine, le Portugal. Nando ne s’est rendu qu’une fois, il y a six ans, dans le village familial « un peu perdu » et il en avait profité pour visiter Lisbonne. Selon sa propre expression, Nando « se débrouille » en portugais.

Fernando Raposo senior a rencontré sa femme d’origine camerounaise en Allemagne. Voilà pourquoi à la base Nando est allemand. « J’ai fait toute ma scolarité là-bas jusqu’à 14 ans », révèle t-il. « Dès que je sors de la salle de basket c’est comme si je rentrais dans un autre monde qui est allemand. Je parle avec ma mère, ma sœur, mon frère, mes amis, je rêve en allemand. Mon père est toujours là-bas et je lui parle tous les jours comme ça je suis l’actualité. Il me fait le résumé de ce qui se passe. Je regarde des films, des séries en allemand mais la plupart du temps, je lis en anglais. Plutôt des livres de psychologie, ce qui touche à la motivation, comment gérer une entreprise, devenir riche. »

L’anglais ? Au Cameroun, le français est parlé par environ 80% de la population mais l’anglais est pratiqué dans la région limitrophe du Nigeria anglophone et les deux langues sont celles de l’administration, de l’enseignement et des médias. C’est pourquoi à l’enfance, sa mère lui parlait un peu français et essentiellement anglais. Nando n’a pas eu besoin du basket et de ses joueurs américains pour cultiver la langue des Beatles. Le Cameroun, Nando s’y est rendu de nombreuses fois si bien qu’il comprend un peu les dialectes locaux.

Son univers, ce sont aussi les Etats-Unis. Sa mère divorcée s’y est installée il y a quinze ans. Sa sœur Jennifer, 24 ans, qui mesure 1,85m, fut un temps mannequin dans la prestigieuse agence Ford. « Elle a fait ça un an, ça payait pas mal, elle voyageait mais le métier ne l’intéressait pas. Elle a eu par ailleurs une bourse pour le basket mais elle a refusé car elle voulait devenir infirmière. » Sa mère s’est remariée et Nando a des demi-frères et des demi-sœurs aux Etats-Unis. Voici pourquoi le Nanterrien possède la fameuse green card américaine.

Et la France ? Déjà sa femme Olivia est française et c’est dans notre langue qu’ils conversent ensemble. Pas de véritables racines françaises, sauf que la famille côté maternel, grands-parents, oncles et tantes, habitent tous en région parisienne. Sa mère en revanche a fait ses études en Allemagne dont le Cameroun fut un protectorat à la fin du XIXe siècle et n’a jamais vécu en France sinon pour les vacances.

Nando ne perd-il pas un peu les pédales avec tous ses mots qui circulent dans sa tête ? « Quand j’étais petit, oui. Souvent les phrases étaient folles » rit-il. « Parfois je commençais avec un mot d’allemand, je poursuivais en anglais et je finissais en français. A l’école, c’était en guillemets chiant. Les profs me reprenaient en me disant « ah non ! Ce n’est pas de l’allemand ! »

« Quand je suis arrivé à Pau en 3e avec l’accent du sud, je ne comprenais rien. J’ai pris des cours de soutien pour le français et surtout… l’espagnol

La connexion paloise

Du côté des passeports, Nando possède le camerounais, le portugais, le français… mais pas l’allemand. Tout ça à cause du basket.

Nando n’a joué que six mois au basket en Allemagne, au MHP Riesen Ludwigsburg, qui était cette année en Eurocup dans le groupe du Mans. « Avant, je jouais au foot. J’étais bon mais ma mère en avait marre de nettoyer mes affaires sales et elle disait que j’étais trop grand sur le terrain comparé aux autres, que c’était un gâchis. Il faut dire que je faisais 1,81m à 11 ans. »

A l’époque, au début du XXIe siècle, le basket est encore mineur en Allemagne et Dirk Nowitzki n’est pas un exemple pour la jeunesse. « Aujourd’hui, je sens la progression. Les salles sont de plus en plus grandes. Je pense que dans quelques années l’Allemagne va dépasser la France. » C’est Narcisse Ewodo, qui portait le maillot de Ludwigsburg, qui l’oriente vers le centre de formation de Pau, un club que le Franco-Camerounais connaît pour l’avoir fréquenté un peu auparavant.

C’est le choc car le français de Nando est alors très sommaire. « Quand je suis arrivé là-bas en 3e avec l’accent du sud, je ne comprenais rien. J’ai pris des cours de soutien pour le français et surtout… l’espagnol. Il n’y avait pas allemand au collège. A l’école écrire le français c’était difficile mais j’ai réussi. Je suis passé au lycée en L grâce aux langues. J’écrivais bien le français mais comme ce n’est pas ma langue maternelle, depuis j’ai arrêté les cours et je perds un peu. J’envoie plus facilement des messages en texto qu’en vrai français. » Quand on s’étonne de son accent français quasi parfait, Nando répond : « même quand je parle allemand ou anglais on ne me dit pas que j’ai un accent allemand ou français, c’est neutre. »

Nando adore piocher dans les différentes cultures et c’est ainsi qu’il a donné à sa fille un prénom japonais, Nyla-Aiko. « Je suis fasciné par l’Asie, la Chine, le Japon et je suis en train de voir pour apprendre le mandarin. » Quand on parle deux, trois langues à l’enfance, il est toujours plus facile d’en apprendre encore d’autres ensuite. Profitera t-il de cette richesse linguistique pour sa vie après le basket ? « C’est possible. L’autre option, qui me plaît de plus en plus, c’est d’ouvrir en Allemagne ma propre salle de sport privée pour coacher des sportifs professionnels. »

« C’est un garçon très réservé, il faut aller le chercher », témoigne son coach Pascal Donnadieu. « C’est quelqu’un qui s’adapte à toutes les situations du fait de sa multiculture sans être quelqu’un sans personnalité. Comme tous ces gens qui sont multiculturels, il se cherche car il n’appartient à personne. »

« J’ai fait l’erreur de laisser tomber la nationalité allemande pour prendre la française alors que j’aurais dû laisser tomber la portugaise et prendre la française »

En BBL ?

Donc Nando ne possède plus la nationalité allemande. En 2009, il est intégré dans l’équipe de France U20 aux côtés d’Antoine Diot, Thomas Heurtel, Edwin Jackson, Kévin Séraphin. Nando se fait sa place au soleil (7,8 pts et 8,3 rbds) et une médaille de bronze récompense les Bleus. « Il fallait que je choisisse entre les différentes nationalités. J’ai fait l’erreur de laisser tomber l’allemande pour prendre la française alors que j’aurais dû laisser tomber la portugaise et prendre la française. Les Allemands sont un peu vexés. Ils m’avaient aussi demandé de jouer avec les moins de 20 mais à l’époque ils n’étaient pas très bons en jeunes. »

La situation n’est pas figée à l’éternel. Nando a refusé une sélection en équipe de France A’ coachée par Pascal Donnadieu et il a reçu l’aval du DTN Patrick Beesley étant donné que la possibilité d’être appelé un jour en A est faible. Jouer dans la Beko BBL, la ligue professionnelle allemande, est une perspective pour lui mais le chemin est tortueux. « Ça serait très intéressant pour moi étant donné mon profil. Des Allemands athlétiques, défenseurs, il n’y en a pas. Je pense que je gagnerais plus d’argent qu’en France. Le problème, c’est le passeport. Il faut que je le récupère. Comme ça fait plus de dix ans que j’ai quitté le pays, j’ai entre guillemets abandonné la nationalité. Il faut que je vive un an sur le sol avant de pouvoir faire ma demande. Donc je devrai jouer en Allemagne pendant un an comme étranger. »

Nando Raposo est toujours situé à un carrefour, obligé de faire des choix, y compris quand il regarde un match à la télé. « Au basket, je suis pour la France car j’ai des amis qui sont avec les Bleus alors que j’en ai qu’un avec l’Allemagne, Elias Harris. Au foot, c’est différent, je suis largement pour l’Allemagne et je ne m’en cache plus », avoue t-il dans un large sourire.

Article paru dans Basket Hebdo en 2016

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