Aller au contenu

ASVEL, calendriers surchargés, Champions League, Tony Parker… : l’interview de J.D. Jackson

Après avoir été champion de France comme joueur avec Le Mans en 2006, J.D. Jackson, 48 ans à la fin de ce mois, l’est devenu dix ans plus tard comme coach avec Villeurbanne. Une vraie réussite d’autant que l’ASVEL avait été sujette jusque là à de fortes turbulences au niveau du coaching (le Franco-C

Après avoir été champion de France comme joueur avec Le Mans en 2006, J.D. Jackson, 48 ans à la fin de ce mois, l’est devenu dix ans plus tard comme coach avec Villeurbanne. Une vraie réussite d’autant que l’ASVEL avait été sujette jusque là à de fortes turbulences au niveau du coaching (le Franco-Canadien est le 10e coach du club depuis le début des années 2000).

J.D. Jackson nous parle des blessures liées à des calendriers surchargés, de la Champions League, de l’Euroleague, de son président Tony Parker et aussi des liens qu’il a avec la sélection nationale de son pays d’origine, le Canada.

L’interview est en deux parties.

Gagner le titre de champion de France comme coach face à Strasbourg, croyez-vous que ça vous a donné une image de gagneur, plus que de remporter la Semaine des As ou la Coupe de France en 2009 ?

(Sourire) Je ne sais pas quelle image je peux avoir de l’extérieur. Ça ne préoccupe pas trop d’ailleurs, dans un sens comme dans l’autre. J’ai été champion comme joueur mais ça faisait un moment que j’étais entraîneur et on avait perdu les deux premières finales avec Le Mans (NDLR : 2010 et 2012). Je me suis dit, c’est ce qu’il me reste à gagner (rires)! Mais l’impression que ça donne de l’extérieur, je ne la connais pas.

Dans votre for intérieur, ça vous a soulagé, déstressé ?

C’est ce que disent les journalistes quand on gagne mais pour moi -c’est peut-être du fait que j’ai toujours l’esprit de compétiteur de joueur- l’émotion de la victoire c’est plutôt la joie, la satisfaction de réussir son objectif, ce n’est pas un soulagement de gagner. De toute façon, pour moi, il y a toujours une remise en question, que l’on gagne ou que l’on perde, je cherche à ne pas me reposer sur mes acquis. Depuis le début, Tony (Parker, le président) et Gaétan (Muller, le directeur général) me faisaient beaucoup confiance. Il n’y avait pas la pression d’aller chercher le titre. Après, quand tu le gagnes, c’est sûr que tu es super content, c’est important, mais donc pas soulagé d’une quelconque pression.

« Du côté de Tony (Parker) et Gaétan (Muller), ça été toujours clair au niveau de la foi qu’ils avaient en moi et le groupe »

Avoir votre contrat prolongé jusqu’en 2020, c’est une satisfaction, une sécurité aussi ?

J’avais déjà prolongé l’année d’avant, aussi il me restait encore une saison. Comme je le disais, je sentais la confiance et le fait de consolider le projet, d’entériner encore plus notre collaboration, c’est une deuxième preuve de confiance. Durant la saison, ça ne s’est pas toujours très bien passé et du côté de Tony et Gaétan, ça été toujours clair au niveau de la foi qu’ils avaient en moi et le groupe. C’est dans ces moments là que le soutien est important. C’est super de travailler dans ce contexte là. C’est là où Tony est vraiment fort. Il peut être énervé, pas content mais il peut faire confiance aux personnes et comme je le disais, c’est dans les moments plus difficiles que j’ai senti ce soutien.

Les joueurs sont de plus en plus sollicités et les blessures de plus en plus fréquentes. Un coach est maintenant en contact permanent avec son staff médical. Les blessures, leur gestion, ne constituent-elles pas un élément aussi important que le recrutement ?

Le marché des étrangers est de plus en plus souple. Les joueurs ont l’habitude de changer de clubs, de championnats. Il y a des championnats partout, on les scoute. Donc on sait qu’il existe toujours une marge de manœuvre du côté des étrangers, la possibilité de changer, de se renforcer. Par contre, c’est un problème quand tu as des soucis de santé avec les joueurs JFL, Français, surtout majeurs, autour desquels on a construit l’équipe, ce qui est important pour la continuité d’un projet, l’identité d’un club, et pour avoir une équipe solide qui ne s’appuie pas que sur les joueurs étrangers. C’est important d’avoir un centre de formation fort, mais quand même, quand un joueur majeur manque comme Charles Kahudi (NDLR : l’international a été opéré de la cheville après les JO et n’a joué que deux matches de Pro A depuis avant de retourner à l’infirmerie) ou, comme j’avais eu ce problème au Mans avec Antoine Diot et Alain Koffi, c’est compliqué à gérer. Ce sont des piliers de l’équipe et ce ne sont pas des joueurs faciles à remplacer. C’est l’occasion pour d’autres joueurs de saisir l’opportunité. On a quand même Bandja Sy, Nicolas Lang, Amine Noua, qui font de très bonnes saisons en sortant un peu de leur rôle en l’absence de Charles. Ce n’était pas brillantissime, on n’est pas encore au niveau que l’on espère avoir un jour, mais on n’a pas explosé malgré les absences de Charles et de Trent (Meacham) une bonne partie de la première phase. Pour revenir au staff médical, au préparateur physique, la souplesse c’est quelque chose de très important. Ça serait naïf de penser que des internationaux qui jouent toute l’année n’auront pas des absences. On prend l’habitude, on gère ça.

« Charles, c’est un très bon exemple d’un joueur qui souffre d’avoir de trop grandes charges. On essaye de prendre ça en compte, de lui donner du repos, mais il finit par casser »

Charles Kahudi n’est-il pas victime de ces saisons non-stop avec le championnat de France, la Coupe de France, les Coupes d’Europe, l’équipe nationale ?

J’ai de plus en plus de problèmes avec ça. Honnêtement, ça me paraît de moins en moins cohérent. On a cette petite guerre entre la FIBA et l’Euroleague et il y a un manque de communication là-dessus. Il y a le fait que l’on ne sait pas si la saison prochaine les fenêtres pour les équipes nationales concerneront les clubs d’Euroleague. Et puis y aura-t-il encore plus de matches à répétition chaque semaine ? Il y a trop d’intérêts divergents qui amènent des incohérences pour les joueurs majeurs. Car bien sûr le joueur qui n’est pas international et qui ne joue pas la Coupe d’Europe, il est d’accord pour avoir des saisons qui se prolongent jusqu’à dix mois. Mais pour des internationaux qui jouent toutes les compétitions, comme ce n’est pas la même instance à chaque fois pour prendre en compte leur intérêt, certains passent à la trappe. Charles, c’est un très bon exemple d’un joueur qui souffre d’avoir de trop grandes charges. On essaye de prendre ça en compte, de lui donner du repos, mais il finit par casser. J’espère qu’il va pouvoir revenir mais ça ne va pas disparaître quand il va reprendre. C’est normal qu’un joueur ait envie de jouer les plus hautes compétitions : NBA, Euroleague, équipe nationale, etc. J’essaye de me mettre à leur place comme du temps où j’étais joueur pro… Je ne sais pas comment ils tiennent sans grosse fatigue ou blessures. Il faut que l’on puisse proposer un calendrier annuel qui soit cohérent pour ce profil de joueur de très haut niveau. Sinon, ils devront faire des sacrifices comme dire : « je ne peux pas jouer en équipe de France ». Je ne sais pas… Avec les équipes médicales, on peut faire des PRP (NDLR : Plasma riches en plaquettes), des renforcements avec les préparateurs physiques, des soins au quotidien, mais il y a un moment, il faut qu’ils se reposent. Ce n’est pas normal si on en est au point de dire « Charles, tu ne feras pas les JO », ou « Charles, tu ne feras pas la Coupe d’Europe. » Il faut que les instances fassent quelque chose de cohérent.

C’était impossible de lui dire de ne pas faire les JO ?

C’est limite impossible… Je le répète, ce sont des intérêts individuels, divergents, qui arrivent sur le même contexte, le même joueur. Et ils ne prennent pas en compte les autres, au contraire, ils sont en guerre, ils refusent de collaborer ensemble et les victimes ce sont les joueurs. On a du mal au niveau du club à gérer la Champions League qui est gérée par la FIBA et Canal+, notre championnat qui est géré par SFR, qui ne collaborent pas. Par exemple, Amine (Noua) a un vrai rôle avec nous mais il ne faut pas oublier le fait qu’il est revenu d’une grosse blessure il y a un an. Or, il est convoqué en cours de saison pour des entraînements avec les sélections, ça se chevauche. On ne peut pas nous-mêmes aligner tous les éléments et obliger tout le monde à prendre en compte l’usure des joueurs. Donc, peut-être qu’à un moment, un joueur comme Charles va faire un choix pour pouvoir continuer.

« Avec une trentaine de matches d’Euroleague à jouer avec le top-16 européen, ce n’est pas sûr que l’on aurait pu être aussi rapidement à un niveau pour rivaliser »

C’est la première fois que le champion de France ne dispute pas à la C1. Avez-vous été frustrés de ne pas participer à l’Euroleague ?

Vis à vis de l’Euroleague telle qu’elle était avant, oui. Quand c’était 14 matches de poule, on pouvait vraiment se donner une chance pour passer au top-16, ce qui était l’objectif des équipes françaises (NDLR : sans succès depuis Pau en 2007). Mais avec une trentaine de matches d’Euroleague à jouer avec le top-16 européen, ce n’est pas sûr que l’on aurait pu être aussi rapidement à un niveau pour rivaliser. On a le projet d’avoir ce niveau là un jour, mais on a été vite champion… Oui, on aurait bien aimé jouer l’Euroleague mais ça aurait été chaud comme pour n’importe quelle équipe française.

Ça aurait même pu être néfaste ?

Quand je vois le volume des matches et la densité de notre championnat, le fait que les équipes d’Euroleague sont sur une autre planète, non seulement au niveau du jeu mais aussi le budget, le nombre de rotations, les infrastructures, la continuité de formation de jeunes joueurs, tout ça fait que ça aurait été difficile de gérer sur tous les tableaux. Ça aurait été génial, mais quand je prends un peu de recul (rires)… Bien sûr, c’est notre objectif de faire ça à long terme, grandir sur le plan du budget, des infrastructures, du sportif. Mais ce n’est pas l’actualité. De toute façon, ça ne nous a pas été proposé et on essaye de faire au mieux avec la situation actuelle.

Cette absence en Euroleague ne risque-t-elle pas d’accentuer le décrochage des équipes françaises vis à vis du top européen ?

Le fait de faire l’Euroleague ou comme avec Le Mans le tour qualificatif a permis de recruter des joueurs qui venaient pour un peu moins d’argent. Après, Champions League ou Eurocup, c’est pareil, on est sur les mêmes budgets, tu peux recruter les mêmes joueurs. On a aussi des atouts dans le championnat de France qui nous sauvent, des clubs très solides avec des budgets intéressants, un championnat de qualité et puis quand même la Champions League. Si vous voulez vraiment convaincre, il faut surenchérir avec l’argent, au moins mettre les mêmes moyens, ce qui n’est pas toujours facile contre une équipe turque. Et là je parle des joueurs étrangers. Un joueur français qui a un vrai talent et qui reste en Europe, il veut partir en Euroleague, c’est le plus haut niveau et donc il va quitter la France, c’est clair.

Que pensez-vous du niveau de la Champions League à vis vis des anciennes EuroCup et ULEB Cup ?

Quand vous avez autant de poules, autant d’équipes, forcément ça dilue le niveau. C’était sensé être une compétition à trente-deux équipes, ce qui était déjà très large pour une Champions League et à la dernière minute, ils l’ont encore élargi avec quarante équipes. Il y avait des équipes plus faibles que le niveau Eurocup. A partir du moment où l’on va passer en huitièmes et en quarts, on a un niveau très comparable à l’Eurocup. C’est clair que ce n’est pas une compétition qui rivalise avec l’Euroleague alors que c’est la raison pour laquelle la FIBA nous l’a imposé ; elle pensait pouvoir concurrencer l’Euroleague. On est toujours en attente, on est tous d’accord là-dessus (sourire).

La FIBA ou la LNB vous consultent, vous coaches, quand il faut prendre des décisions ?

Pas formellement. C’est pris en compte dans le sens que je suis consulté, par le président, sur le plan administratif aussi, j’ai une situation à l’ASVEL un peu plus privilégiée que les autres entraîneurs. Mais je pense que dans la plupart des cas les présidents représentent bien leurs coaches. Si je ne suis pas invité à la réunion pour communiquer avec la FIBA ou la ligue, je sais que mon opinion est prise en compte. Je vis ça un peu comme lorsque les arbitres étaient en conflit avec la fédération et que l’on sentait bien qu’il y avait de vrais problèmes, ça se voyait dans le jeu, dans l’incohérence de l’arbitrage. On sentait bien que le principal problème était la communication. On subissait le conflit, on n’était pas vraiment acteur dedans.

Suite de l’interview…

Commentaires

Fil d'actualité