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[ACCES LIBRE] La semaine de Limoges : L’Eurocup, les réseaux sociaux et la concurrence de Paris

Décédé dimanche -dernier jour de l’année 2017- d’une crise cardiaque à son domicile, Frédéric Forte nous avait accordé en début de saison une longue interview en trois parties. Le président du Limoges CSP aux idées novatrices et à la langue bien pendue laisse derrière lui un projet CSP 3,0 et tout u

Décédé dimanche -dernier jour de l’année 2017- d’une crise cardiaque à son domicile, Frédéric Forte nous avait accordé en début de saison une longue interview en trois parties. Le président du Limoges CSP aux idées novatrices et à la langue bien pendue laisse derrière lui un projet CSP 3,0 et tout un club qui se retrouve orphelin. Voici en accès libre la première partie cette interview.

Depuis 2004, Frédéric Forte, 47 ans, est le président du Limoges CSP dont il porta le maillot et avec qui il fut champion d’Europe, et aussi un moment le coach. Le Normand a pris du recul avec le sportif pour se consacrer plus complètement au projet CSP 3.0. Dans cette longue interview en trois parties, il dessine les contours de ce qui doit projeter le plus prestigieux des clubs français dans le XXIe siècle.

Suite et fin de l’interview

Le fait de participer à l’Eurocup booste t-il l’ensemble, le projet CSP 3.0, le côté sportif, l’intérêt populaire ?

Je pense que dans la question il y a la réponse. Le contraire est inimaginable. Evidemment que l’objectif numéro un c’est d’être champion de France car il y a une suprématie nationale en jeu mais on s’étalonne sur qui ? On ne peut pas être que nombriliste. Nos groupes de supporters, nos abonnés, nos fans, nos partenaires, ceux qui nous suivent à Limoges mais aussi sur les réseaux sociaux, tout le monde aime bien venir deux fois par semaine au palais des sports, s’étalonner face à des Espagnols, des Turcs, des Russes. On a eu la chance sur les deux années d’Euroleague de voir Nando De Colo et Teodosic avec le CSKA Moscou et on les a tenus jusqu’au bout. Et on craque à la fin car c’est juste une équipe de mabouls ! Pour les supporters, c’est un vrai bonheur, une fierté. Il y a un intérêt énorme pour le club, les partenaires, les joueurs et se dire que l’on est montré du doigt, que l’on ne peut pas aller dans certaines compétitions c’est marcher sur la tête. Je comprends qu’il y ait des enjeux, des intérêts suprêmes, que l’on ne doit pas toucher à l’équipe de France mais à un moment donné, il faut bien comprendre qu’on n’empêche pas aujourd’hui les joueurs français d’être en Euroleague, ils sont dans tous les grands clubs européens, mais que les joueurs qui n’ont pas la possibilité de rejoindre ces clubs-là, on les prive de cette compétition parce qu’ils ne peuvent pas jouer en France. Nando De Colo, Thomas Heurtel, Adrien Moerman, ils jouent en Euroleague et ce sont eux demain qui permettront d’étalonner l’équipe de France. Non seulement on a du mal à les garder mais on favorise l’exode de nos joueurs. Alors que peut-être que si on avait un club français en Euroleague certains joueurs hésiteraient à franchir le pas d’aller à l’étranger. Ce n’est pas une attaque contre la ligue… J’avance de mon côté, j’ai compris qu’elle ne nous aidera pas car ils n’ont pas compris les problématiques réelles des clubs. Ce que je veux dire c’est que si on n’avait pas eu l’Euroleague, peut-être qu’Adrien serait parti un an plutôt, que Nobel (Boungou-colo) ne serait pas resté, que Léo (Westermann) ne serait pas venu. Et au final c’est le basket français qui s’appauvrit. Evidemment qu’il y a eu un énorme intérêt quand on a reçu l’invitation de l’Eurocup. On a reçu des sms, des mails, sur les réseaux sociaux c’est parti dans tous les sens. C’est important pour nos abonnés, les supporters qui viennent ponctuellement, les partenaires privés et publics et tous ceux qui nous suivent et qui ne viennent pas forcément à la salle. Ce sont des retombées médiatiques, économiques, pour tout le monde. Tu parles régulièrement du club dans la presse nationale. Et l’image du club et de ses partenaires est exportée en Europe.

« Le lendemain du premier match gagné à domicile contre Chalon, Olivier Bourgain m’envoie un texto : « je suis parti chercher mon pain à 9h, je suis revenu à 9h30, je n’avais pas de pain »

L’étude démontrait que vous étiez le 20e club en Europe en matière de communauté digitale. Il est évident que le pourcentage de Limougeauds est très important en pourcentage des fans de basket en France sur les réseaux sociaux. Est-ce un phénomène naturel ou quelque chose que le club favorise ?

(Rires) Je crois que l’on est tous actif que les réseaux sociaux (NDLR : Frédéric Forte a déjà écrit 12 100 tweets et fait de temps en temps une tribune sur sa page facebook personnel). On a un club de passionnés. On a onze titres de champion de France, on a gagné cinq coupes d’Europe dans trois compétitions différentes, la C1, la C2 et la C3 –je crois qu’il y a sept clubs en Europe qui ont réussi ça. Ce n’est pas neutre. Tout le monde à son histoire au club, c’est-à-dire que la dame d’une cinquantaine d’années, son favori c’est Michael Young, le grand-père, c’est forcément Ed Murphy, Jean-Michel Sénégal, Richard Dacoury ou Apollo Faye, et pour l’autre génération c’est Adrien Moerman ou Léo Westermann. Personne n’est d’accord. Souvent on me demande pourquoi je ne fais pas un référendum pour savoir qui est le plus grand joueur de l’histoire du CSP. On n’y arrivera jamais car il y a eu trop de grands joueurs au club. Donc comme chacun a son histoire et que l’on est un club de passionnés –ce qui est un peu à l’opposé de l’image que l’on a de la ville. Ce n’est pas la plus enthousiaste et la plus dynamique (1)- mais quand on voit la passion les soirs de match à Beaublanc à côté du calme de la ville, c’est incompréhensible. On est un élément sociologique dans la ville. Pas juste un club de basket. On est une identité locale qui dépasse le monde du sport. Dans le basket c’est rare. Cette folie jaillit, transpire autour du club, rien ne laisse indifférent. Le lendemain du premier match gagné à domicile contre Chalon, Olivier Bourgain m’envoie un texto : « je suis parti chercher mon pain à 9h, je suis revenu à 9h30, je n’avais pas de pain. A peine sorti de ma voiture, on m’a parlé quarante fois du match. Certainement que des gens étaient à Beaublanc mais pas tous. » Ce que je veux dire c’est que même ceux qui ne sont pas les plus fans s’identifient au club. Olivier m’a dit que lorsqu’ils sont montés de Pro B en Pro A avec Boulogne, c’était la révolution dans la ville parce que c’était un fait historique et là, juste pour le premier match de la saison contre le champion de France, il y a une décharge émotionnelle, c’est beau à voir. On a trois groupes de supporters, les seuls Ultra (de France), un autre groupe de 200 personnes, un historique avec les Phénix. Tout le monde vit son CSP à sa façon. C’est ce que l’on essaye de faire. Dans le côté médiatique, il y a des gens qui sont sur les réseaux sociaux, qui expliquent ce qu’ils voient, vrai ou pas, je ne suis pas là pour juger, je ne suis pas d’accord avec tout le monde. Tant mieux s’ils partagent leur avis. Et il y en a même qui n’étaient pas à Beaublanc et qui n’ont pas vu le match et les joueurs et des images. Ça ne les empêche pas de dire « celui-là a été très bon, celui-là a été très mauvais. J’ai lu un article sur Le Populaire, j’ai écouté France Bleue, j’ai regardé les réseaux sociaux. » Avec le site internet et la nouvelle application, on va justement essayer de continuer à enrichir cette expérience-là pour ceux qui ne sont pas à Beaublanc. Il y aura la possibilité de voir des moments de vie qui sont réservés aux joueurs et aux entraîneurs (voir ici ) On réfléchit avec la société Emakina, une société locale, pour savoir comment répondre à cette demande de gens qui nous suivent de partout. On en a en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique, en Asie qui se connectent tous les jours. Comment on peut mettre le club à leur service ? Nos supporters, qui ne sont pas à Beaublanc, ont envie de consommer du CSP quand ils ne sont pas disponibles. On va leur permettre de vivre des moments uniques via cette application.

Avez-vous fixé un objectif financier, de budget, une fois que ce CSP 3.0 sera entièrement concrétisé ?

Non, pas spécialement. On est aujourd’hui sur une idée de développement. Comme je le disais, les baisses de subventions vont être relativement importantes, c’est le cas depuis deux ans, on sait très bien que l’on est dans une région pas forcément la mieux dotée au niveau des industries, des entreprises. Aussi notre but est de compenser a minima les baisses des collectivités et peut-être, au contraire, de mettre en place demain un système qui nous permettra de faire mieux. C’est très difficile de donner des éléments chiffrés car par exemple est-ce que le terrain pour construire le restaurant et les VIP sera mis à disposition, cédé ou vendu ? Il y a plein d’éléments aujourd’hui que l’on ne maîtrise pas complètement. J’entends souvent qu’il y a l’objectif d’aller chercher x millions pour avoir tel budget. On a construit ce projet pour se développer, être moderne et de continuer à exister sur le plan national. Sera t-on premier, cinquième ? Je n’en sais rien.

Vous êtes conseil du projet au Tremblay-en-France…

Conseil c’est beaucoup dire. On m’envoie souvent à Paris pour prendre le Colisée mais vous comprenez bien après ce que je viens d’expliquer que ça ne va pas être fait dans les six mois et j’aimerais bien le voir mener à bout ce projet-là. Comme on travaille depuis deux, trois ans avec G2 Strategic et Antony Thiodet, qui est conseil auprès d’Eiffage pour ce dossier au Colisée, qui est d’une autre dimension que celui du CSP, qui va –et j’emploie le bon terme- porter le basket français à l’avenir. C’est une salle de 10 000 places, c’est un modèle économique qui est déjà arrêté, c’est une zone qui est en pleine activité. Pour un pur Parisien, on va me dire que c’est au nord de Paris mais c’est à quinze minutes de Chatelet, du cœur de Paris, et à une station RER de Charles-de-Gaulle. C’est un bassin économique qui est en train de changer de forme et de vision avant même qu’il y ait les Jeux Olympiques de Paris 2024. Le village olympique sera à dix minutes de la future salle. C’est un endroit stratégique qui a été pensé il y a cinq ou six ans de façon exceptionnelle. Vous pouvez faire confiance à Antony, il n’y aura pas d’erreurs sur la construction de la salle. J’ai vu les plans. Oui, on peut dire qu’il y a de fortes chances que le Colisée porte demain un club de basket, sachant que le hand a également sa place à y trouver et peut-être d’autres sports… Je ne vous ai pas laissé finir votre question qui était de savoir si ça n’allait pas être un concurrent à Limoges.

« Le Colisée ça ne sera pas le Qatar avec le PSG mais ça sera forcément un énorme truc pour le basket »

Vous avez deviné !

Le PSG est-il aujourd’hui un frein au développement du foot ou un accélérateur de particules ? Alors si c’est un accélérateur pourquoi n’en veux-tu pas dans ton championnat ? Je veux bien reculer de dix places s’il y a de vrais clubs qui sortent et qui sont devant. Que l’on soit d’accord ou pas que ce soit un Etat derrière le club, avec les sommes de transfert de Neymar et Cavani, on n’a jamais parlé autant de foot qu’actuellement. Pour l’économie générale du foot c’est un plus énorme. Le Colisée ça ne sera pas le Qatar avec le PSG mais ça sera forcément un énorme truc pour le basket. Tout le monde crie que l’on n’a pas été aux rendez-vous depuis des années et que lorsqu’on fait un bon résultat au niveau de l’équipe de France ou d’un club on ne sait pas le médiatiser, et là il y a un projet qui sort et il faudrait que tout le monde le descende avant même qu’il soit mené ? Je ne fais pas partie de ceux-là ! Certainement que l’on reculera d’une place sur l’échiquier comme aujourd’hui l’objectif dans le championnat de France de foot c’est d’être deuxième. Tout le monde sait que le PSG sera premier. Ça durera un an, dix ans, trente ans, et peut-être que Monaco, Lyon avec son stade, Marseille, ça va les booster. Et c’est ce que j’espère pour le basket. Je n’ai pas envie d’être un champion nombriliste en me disant « je suis super fort dans un sport qui ne se développe pas ». Aucun président de club ne va dire ça mais pourtant depuis des années, rien ne se passe. Alors pour une fois qu’il y a potentiellement quelque chose qui peut se passer je me battrai contre ? Ah ! Non. Je n’appartiens pas à cette catégorie-là.  C’est comme pour Boris Diaw qui vient à Levallois. Il va faire un match, dix matches, le reste de sa carrière, je n’en sais rien mais je suis super content. Je me souviens que lorsqu’il a joué contre nous avec Bordeaux en Pro B pendant le lockout, juste avant de repartir aux Etats-Unis, la salle était archipleine. J’étais à deux sièges de Laurent Blanc. Quand a-t-on vu Laurent Blanc, entraîneur national de foot, voir un match de basket de Pro B ? Se plaindre de ça c’est même malsain. Et de favoriser d’autres dossiers pour que celui-ci ne voit pas le jour c’est vraiment malsain.

« Le « 404 », c’est sympa et si Pau en fait autant, tant mieux ! »

Qui a eu l’idée remarquable du « CSP 40 à Elan Béarnais 4 » pour indiquer que la page web cherchée sur le site n’existe pas ?

Elle est géniale cette idée et elle n’est pas de moi (sourire). Il faut rendre à César ce qui lui appartient. C’est Cyril, un des responsables de Emakina qui a eu cette idée. C’est évidemment un fou du CSP et qui est impliqué dans le dossier du développement. Il a fait ça et après il m’a dit « regarde, si tu n’en veux pas, je la retire. » On la gardé ! Je trouve ça assez fun, drôle. Je ne l’aurai pas eu cette idée-là alors que pourtant avec Pau j’en ai connu des vertes et des pas mûres. C’est ce qui est intéressant dans le brassage –car comme je le dis souvent, on est plus intelligent dans deux têtes que dans une seule-, quand tu t’appuies sur de vrais professionnels compétents. C’est une boîte qui a des ramifications en France, Europe, aux Etats-Unis. Il faut s’appuyer sur les compétences comme c’est le cas à un autre niveau dans les focus groupes. On a été super surpris de la demande des supporters. C’est Marshall Glickman qui me l’avait dit : aujourd’hui avec les couples qui sont séparés avec des gardes alternées, etc, ne pas avoir de garderie dans une salle c’est une erreur. C’est ce qui se passe en NBA et dans les clubs de foot. Je n’y croyais pas une seule seconde. Deux ou trois mois plus tard, on a démarré les focus groups, dix, et on leur a dit « on veut que vous nous disiez ce qui ne va pas car on veut s’améliorer ». Je m’en rappellerai toute ma vie : la première idée qui est sortie, quelqu’un dit : « je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de garderie à Beaublanc. » Il m’a dit : « j’ai des enfants une semaine sur deux, j’ai mon abonnement, et la semaine où je les ai, si je dois en plus me payer la baby sitter pendant quatre heures, ça me coûte les yeux de la tête. Et puis je ne sais pas si c’est quelqu’un de bien. Alors que s’il y a une garderie, j’y vais entre le premier et le deuxième quart-temps pour voir si tout va bien. » Tu peux avoir toutes les idées du monde, il faut écouter les gens. Le « 404 », c’est sympa et si Pau en fait autant, tant mieux !

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