Aller au contenu

Frederic Forte : « Au CSP on est sur un attachement qui dépasse l’entendement »

Dans une interview mise en ligne par l’Equipe réalisée par le journaliste Jean-Luc Thomas, Frédéric Forte, le regretté président de Limoges, se confie en long et en large sur son histoire d’amour avec le CSP Limoges.

Dans une interview mise en ligne par l’Equipe réalisée par le journaliste Jean-Luc Thomas, Frédéric Forte, le regretté président de Limoges, se confie en long et en large sur son histoire d’amour avec le CSP Limoges.

Le natif de Caen a d’abord connu Limoges en tant que joueur, une saison en 1988/1989 et entre 1991 et 1997. Dès son arrivée en 1988, le meneur français a dû faire face à son entraîneur Michel Gomez.

« A mon arrivée il m’a dit : je ne t’ai pas voulu, pour toi ça va pas être facile. Je pense qu’il n’y avait pas de rapport avec l’exigence du club sur le terrain. C’était juste une guéguerre personnelle avec un agent et quand on ne peut pas régler nos problèmes en direct, on les règle à travers d’autres personnes qui n’y sont pour rien. »

Lors de son deuxième passage dans les années 90, Frédéric Forte a été coaché par le légendaire Božidar « Boža » Maljković.

« Tant qu’il est votre coach, vous n’avez pas de vie avec lui. Il est en opposition avec vous, il a un niveau d’exigence, il rentre dans votre tête, il rentre dans les pores de votre corps. Il vous oblige à atteindre des sommets que vous n’êtes théoriquement pas capable d’atteindre, que ce soit physique, mental, au niveau du basket, du jeu ou de la technique. Il ne vous lâche rien, jamais un compliment, jamais un mot gentil, un niveau d’exigence de travail, de dureté inimaginable. J’ai croisé beaucoup de coachs yougoslaves dans ma vie, des grands coachs, jamais je n’ai connu ça. Ca vous forme le joueur, ça vous forge l’homme, ça vous forge le caractère. Ça vous montre par où il faut passer quand on veut réussir. Le plus dur c’est quand on fait huit ou dix mois comme ça avant même de savoir qu’on va être champions d’Europe. C’est douloureux, mais vraiment douloureux dans tous les sens du terme. Il disait toujours : « un bon joueur de basket, c’est quelqu’un qui a mal à la tête, pas quelqu’un qui a mal aux jambes ». Pour lui l’objectif ce n’était pas d’être le meilleur, c’était de donner 100%. Tous les jours il y avait un joueur qui flanchait à l’entraînement. On était un peloton de dix joueurs. A chaque fois celui qui était le plus en forme allait cherchait celui qui flanchait.

Sur la relation entre les joueurs du CSP champion d’Europe.

« On ne l’a jamais trop dit, mais ce groupe ne s’aimait pas. Les joueurs, il n’y avait pas relation entre nous. Il y avait une fierté d’appartenir à un club, on avait cette envie d’atteindre les mêmes objectifs, mais il n’y avait pas réelles amitiés. On a été champions d’Europe, on a été un moment les plus grands dans le monde du basket sans avoir cette relation amicale, sympathique. Il n’y avait pas de feeling. Par contre il y avait énormément de respect les uns pour les autres. Le groupe s’est construit contre Boja. En un contre un on n’arrivait à franchir l’étape donc on s’est naturellement mis à dix contre lui. Ce n’était pas programmé. Il était tellement fort, tellement costaud, et avait une telle énergie qu’à dix contre lui, qu’il a continué à avancer de la même façon. Ca nous a du coup formé un groupe solidaire qui a pu être plus fort encore. »

Après y avoir joué, The Brain en est devenu le président en 2004. En route pour l’Italie où il était sous contrat, il est aller à Limoges pour sauver son club.

« J’arrive au siège du club. Ca fait 5 minutes, il y a une personne que je croise, quelqu’un qui était relativement importante dans l’organisation, il me dit ‘Fred qu’est-ce que tu fais ? Si j’ai un conseil à te donner, monte dans ta voiture, on ne peut plus le sauver le club c’est terminé il va disparaitre’.  Ce n’était pas un dirigeant, c’était un salarié du club qui a d’ailleurs retrouvé un job il y a pas très longtemps dans un grand club français. Il me dit ‘si j’ai juste un conseil. Remonte dans ta voiture et repars vite. C’est fini, tu ne peux même pas savoir à quel point c’est fini. Il n’y a plus d’espoir’. »

Dix ans après, le club a soulevé à deux reprises le titre de champion de France de Pro A en 2014 et 2015.

« On a aujourd’hui un club structuré, plutôt bien structuré. J’étais tout seul en 2004, aujourd’hui ils sont plein autour de moi, on les voit moins, mais les gens avec qui je travaille me le font savoir quand ils ne sont pas d’accord avec moi. On a une relation saine, franche. On a les mêmes envies, les mêmes objectifs. On commence à ressembler à l’idée que je m’étais faite du club que je voulais en 2004. Par rapport à l’histoire de 2004 et de par mon parcours, j’incarne un peu trop le club et c’est pas bon. Je me refuse à ça. Aujourd’hui je crois que j’incarne de moins en moins le club et c’est très bien comme ça. Je ne suis pas le club, c’est le club des Limougeauds. »

Alors qu’il est parti le 31 décembre 2017, Frédéric Forte assurait que la personne qui le succèdera sera celle qui pourra faire grandir encore le club. Le Limoges CSP est ancré en lui.

« Si je partais du club ça serait parce que la personne qui arrive le ferait grandir. En tout cas moi j’en serais convaincu. C’est le club qui est le plus important. Les gens ici ne demandent pas à ce que ça gagne. Ils n’attendent pas de revoir un autre Mruphy, un autre Apollo Faye. Ils veulent des gens qui jouent avec leur cœur. Quand les joueurs comprennent ça, ils sont adorés. Quand tu attaques le club, tu m’attaques dans ma personne, dans mon histoire. Tu m’attaques moi mais tu attaques mon père, mon grand-père qui s’est battu, qui a payé ses places pour venir, qui a soutenu le club, qui a donné de son propre argent pour sauver le club. On est sur un attachement qui dépasse l’entendement.

Sur l’avenir de son club, il parle de l’Euroleague et de son ambition de faire le Top16 (image tournée avant le clash FIBA/Euroleague et de la nouvelle formule de l’Euroleague avec une ligue fermé).

« On va anticiper sur l’avenir, mais depuis 10 ans on s’est battus pour retrouver notre place et peut-être que sur les dix prochaines années on va se battre différemment. Je suis venu en 2004 pour aider le club à revenir en Pro A. C’était la première étape. On l’a fait. La deuxième étape était champion de France. On l’a fait. Retrouver l’Euroleague. On l’a fait. On n’est pas encore performants en Euroleague, mais on se battra pour l’être et on fera un Top 16 un jour. Plus, ça sera difficile. Le jour où le club de grandira plus, c’est que ça ne sera plus mon challenge à moi. Certainement le challenge à quelqu’un d’autre. Mais je crois qu’on n’y est pas encore arrivé. »

Il n’est pas rare d’entendre qu’à Limoges rien n’est pareil qu’ailleurs. Rien ne s’y passe comme prévu et ce n’est pas son emblématique président qui va dire le contraire.

« On dit souvent on est le Saint-Etienne, l’OM du basket. C’est ça. Il n’y a jamais rien qui va. On était en Pro B, on avait signé John McCord avec un gros CV et quand je l’avais vu pendant l’intersaison je l’avais mis en garde mais je lui avais dit qu’en mettant les pieds au CSP avec une grande carrière et à 37 ans il n’y aurait pas de risque. Il avait rigolé et m’avait dit ‘Président avec le parcours que j’ai, ce n’est pas Limoges qui va me faire peur’. Juste avant de repartir dans sa famille pour Noël, il était venu dans mon bureau et il m’a dit ‘j’ai compris ce que tu m’as dit cet été. Vous êtes les New York Knicks du basket français. Il n’y a jamais rien qui va’. Il se passe tellement de chose ici, c’est Dallas chez nous ! C’est Dallas dans les faits, c’est Dallas par rapport à ce qui s’est passé, mais c’est Dallas parce qu’il se passe toujours quelque chose ici. »

Commentaires

Fil d'actualité