Dirigeant de l’agence Bemavo Corporation, Ayité Ajavon est agent sportif depuis douze ans. Nous avons passé un peu plus de deux jours avec cet homme ambitieux qui sait parfaitement où il va.
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Il est aux alentours de 13 heures vendredi 2 février quand nous retrouvons Ayité à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. Destination Andorre pour rendre visite au joueur phare de son agence, Andrew Albicy qui affronte le Real Madrid le samedi soir.
Mais qui est Ayité Ajavon ? Derrière une certaine assurance acquise avec les années d’exercice, il ne voit rien de particulier dans son parcours. « Si je n’avais pas raté mon train, on ne serait pas ici en train de discuter », nous a-t-il tout de même glissé avec un léger sourire.
« Mon parcours est, pour moi, assez classique mais, quand j’en parle, les gens me disent le contraire. J’ai une formation qui n’a rien à voir avec le basket. À la base j’ai une formation d’économie et gestion, jusqu’à la licence. Rien de très extraordinaire. J’étais beaucoup dans l’artistique et je manageais déjà des artistes. C’est par une rencontre dans la ville où j’ai grandi, Coulommiers, en Seine-et-Marne, que je me suis lancé là-dedans. Un jeune à l’époque m’a demandé conseil. J’ai raté mon train et à l’époque il n’y en avait pas beaucoup, j’ai donc dû patienter un long moment pour avoir le suivant. C’est à ce moment que le jeune en question m’a croisé. Je ne connaissais rien au basket pro. Je connaissais juste un ancien coach pro que j’ai appelé pour avoir quelques conseils. Une semaine après, je suis tombé sur un autre jeune qui, pareil, m’a demandé des renseignements donc je me suis dit « bon il y a quelque chose à faire ». Quand je jouais au basket personne ne m’a jamais conseillé. Je le faisais déjà avec des artistes donc je me suis dit que si je pouvais aider les basketteurs aussi, là où moi on ne m’a pas aidé. À ce moment-là, je me suis renseigné auprès de la fédération, j’ai passé ma licence d’agent et puis j’ai commencé. Au début c’était compliqué parce que je n’avais pas forcément les contacts. Au départ c’était vraiment, pour parler trivialement, juste pour aider deux ou trois jeunes de mon quartier et puis ça s’est mis en place comme ça. »
Au départ, il était seul pour lancer son agence car ses deux amis qu’il avait envisagé comme associés n’étaient pas motivés par ce projet. Aujourd’hui, Ayité Ajavon peut compter sur quatre autres personnes. Sa tasse de thé à la main, dans lequel il n’oublie jamais d’ajouter un peu de miel, nous explique d’ailleurs comment fonctionne Bemavo Corporation (ndlr : en Mina, dialecte togolais, « agbemavo » signifie « Jusqu’à l’infini ». Le « ag » ayant été enlevé pour un souci de prononciation).
« La création remonte à douze ans maintenant, en 2006. Je représente essentiellement des basketteurs pros. De par ma sensibilité artistique, je m’étais ouvert à d’autres secteurs en collaboration avec des personnes de chaque domaine. À un moment donné, on représentait quelques mannequins parce que j’avais eu la chance de travailler avec une personne qui a passé quasiment 30 ans chez Karin Models, qui est une grosse agence française. Des artistes aussi parce que c’était ma passion première à la base, et du basket féminin. Aujourd’hui j’ai décidé de vraiment recentrer sur le basket masculin et on a le foot qui se développe petit à petit depuis l’été passé. Ça se passe plutôt bien d’ailleurs. Quand j’ai commencé j’étais tout seul, mais maintenant on est plusieurs. Aujourd’hui on est cinq dans l’agence. On se répartit les « missions ». Chacun est en charge d’une division. Pour être vraiment efficace il ne faut pas s’occuper de cinq ou six championnats tout seul, ce n’est pas possible. Chacun a son « marché » et c’est moi qui chapeaute le tout parce que je suis le responsable de l’agence. »
« Face à Pierre Seillant, j’étais intimidé »
Dans le métier depuis plus de dix ans donc, il a eu le temps de conseiller beaucoup de joueurs sur leurs intérêts sportifs. Il en a de nouveaux chaque saison et n’est plus en contact avec certains mais c’est « comme ça » nous confie-t-il. Quel est, selon lui, le rôle de l’agent ?
« Pour moi il y a une partie de conseil qui est énorme. Comment je vois mon métier c’est mettre en place un projet sportif avec le joueur, définir les choses ensemble, que chacun sache sur cet intervalle de temps ce qu’il a à faire, lui sur le terrain et moi en dehors pour essayer d’arriver à l’objectif qu’on s’est fixé. Ça va forcément passer par du conseil et par trouver des contrats et les bonnes opportunités pour les joueurs. Même si à la fin c’est lui eux qui prennent les décisions. Il y a plusieurs possibilités. Je vais dire au joueur qu’il y a tel ou tel club qui est intéressé, celui qui me semble le plus adapté pour lui et inversement. S’il veut aller dans le club qui semble moins intéressant, à mon sens, c’est sa vie d’abord. S’il fait un choix dont je ne suis pas hyper fan, je vais quand même le soutenir et essayer de lui trouver le meilleur deal possible dans la situation qu’il a choisi. »
Avec une expérience d’une douzaine d’années, comment l’agent de Nicolas De Jong voit-il son métier par rapport à ses débuts ?
« J’étais un peu trop utopiste à l’époque où j’ai commencé. Je suis quelqu’un qui a une certaine sensibilité et c’est aussi ce qui fait ma force parce que c’est ma faiblesse et j’étais très utopiste. Je pensais que c’était un peu différent. Je savais que c’était un business, mais j’avais cette vision un peu rêveuse en ce qui concerne les relations avec les joueurs ou les différents acteurs du métier que ce soit les coachs, les GM etc. Avec les années j’ai compris que ce n’est pas comme ça. En tant qu’agent on a toujours l’image du grand méchant loup donc même quand j’estime avoir une attitude cohérente et correcte envers les gens, ils voient toujours le mauvais côté. À un moment donné, tu te dis « s’il faut être un peu plus dur, on va être un peu plus dur ». Ce n’est pas forcément dans ma nature mais on est obligé. Pour moi le côté humain c’était le plus important. Ce n’est pas moi, Ayité Ajavon, qui vais changer le monde du sport professionnel et avec les années tu t’en rends compte. Mais je me suis dit que je pouvais quand même amener quelque chose d’un peu différent, mais ça commence par le business. C’est-à-dire que le gâteau ce n’est pas l’humain, c’est le contrat. Amener un gros contrat au joueur et après la cerise sur le gâteau c’est la partie humaine. Je pense que l’erreur que j’ai faite dès le départ c’est ça. Penser que la partie humaine était presque plus importante que le reste. Qu’un gars soit ingénieur, éboueur ou basketteur, à la fin du mois il est payé pour ce qu’il fait.
Si on parle très cru, mon métier c’est de chercher un contrat, comme un chasseur de têtes va trouver un contrat pour un ingénieur. Être gentil ce n’est pas un métier, comme être pote ce n’est pas un métier. Mon métier c’est agent sportif. Si en plus il y a de vraies affinités comme avec Andrew parce qu’il y a de l’antériorité. Ou d’autres. Il y a d’autres joueurs avec qui j’ai une super relation. Je pense notamment à Gary Florimont et Sami Driss même si je pourrais en citer plein d’autres. Ces deux-là quand je vais les voir si je vais à l’hôtel on s’embrouille. Quand j’allais voir Sami à Pau, c’était hors de question que j’aille à l’hôtel. Malheureusement comme tous les agents, ça m’est déjà arrivé de m’embrouiller avec des clubs. Je me suis déjà pris la tête avec des coachs, avec des présidents ou avec des GM. Jusque-là il n’y a jamais eu – à part peut-être avec un ou deux coachs – de répercussion à long terme. Sur le coup effectivement tout le monde est contrarié, ça peut aller loin mais au bout de quelques mois ça passe. Ce qui s’est passé au moment de la prise de tête ce n’est pas contre la personne, c’est que tout le monde défend ses intérêts. »
En contact permanent avec les acteurs du basket français et international, Ayité assure que si au début il avait moins confiance au moment de passer des coups de fil, il n’a pas l’habitude d’être intimidé par qui que ce soit. Sauf une fois. Une seule personne l’a troublé. Cette personne, c’est l’ancien président de l’Elan Béarnais, monsieur Pierre Seillant.
« Je suis quelqu’un qui n’a jamais été un grand fan de qui que ce soit. Je me suis toujours dit que ce sont des personnes qui ont un peu ou beaucoup plus de talent que moi dans un certain domaine, qui ont aussi eu une opportunité que je n’ai pas eue et qui ont travaillé. Effectivement certaines personnes avec qui je traite ou j’ai traité ont été ancien joueur pro, ont été en Equipe de France, ont gagné plein de titres, mais je ne me suis jamais dit qu’elles étaient au-dessus de moi. C’est sûr que lors des premiers appels que j’ai eu j’avais moins confiance qu’aujourd’hui parce que je n’avais pas la même expérience. Mais je n’étais pas intimidé. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Pierre Seillant (ndlr : ancien président emblématique de Pau) lors de ma première année d’exercice. C’est quand même monsieur Pierre Seillant, quoi. Là pour le coup j’étais intimidé. Il m’a accueilli dans son bureau avec tellement de respect, il ne m’a pas pris de haut en me disant : « t’es un petit agent qui débute et moi je suis Pierre Seillant ». Non, on a parlé normalement. Il voulait presque que je le tutoie. C’est une expérience qui m’a conforté dans ce que je faisais. Je peux être face à quelqu’un qui a énormément d’expérience et beaucoup de réussite, mais on est pareil. Un peu d’appréhension au départ, c’est certain, mais je n’étais pas intimidé. »
« Il n’y a que dans les sports d’Amérique du Nord que les joueurs qui payent les agents »
Sur la route entre Toulouse et Andorre-la-Vieille, dans les montagnes enneigées des Pyrénées l’agent d’Andrew Albicy nous explique les raisons de ce déplacement entre la France et l’Espagne et de tous ses voyages en général.
« C’est difficile de dire ce qui vient en premier parce qu’on a une relation particulière, mais en général, en tant qu’agent, quand je me déplace pour voir un joueur, c’est pour passer un moment différent avec lui et pour avoir un suivi. Une fois que tu as trouvé un contrat pour le joueur, il y a tout ce qui suit après. Savoir ce qui se passe dans son club, assister aux matchs pour voir comment il avance, comment il évolue, pouvoir le conseiller aussi. Voir comment il est installé, si l’appartement est bien. C’est aussi pouvoir discuter avec les coachs ou les GM. Ce sont des petits détails comme ça, des fois on ne va pas leur dire mais s’il y a des trucs un peu bizarres ou qui ne correspondent pas au discours du club, je vais le dire au GM. Ensuite il y a aussi le côté perso, c’est pour passer un peu de temps ensemble, pour discuter de manière formelle ou informelle. Ce que j’aime bien faire c’est aller de temps en temps voir mes joueurs en semaine. Assister à l’entrainement du matin quand le coach est ok et après déjeuner avec les joueurs pour discuter un peu avec eux. C’est un autre contexte parce qu’après les matchs, s’ils ont gagné ou perdu c’est différent et ils sont avec la famille souvent donc c’est compliqué. Pour parler avec le coach ce n’est pas non plus évident autour des matchs. Soit ils sont sollicités parce qu’ils ont gagné soit ils n’ont pas envie de parler parce qu’ils ont perdu. Quand tu te déplaces en semaine c’est différent. Je ne le fais pas tout le temps mais j’essaye quand même de temps en temps. »
Combien de déplacements un agent fait-il ?
« Que tu sois un gros agent ou non, que tu représentes beaucoup de joueurs ou non, il y a du déplacement que ce soit en France ou à l’étranger si tu as des joueurs qui n’évoluent pas en France. Il y a forcément de plus en plus de déplacement que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. Cette année je n’ai que Nicolas De Jong et Andrew Albicy à l’étranger, qui sont en Espagne, mais ça m’est arrivé d’avoir des joueurs en Grèce ou en Italie. Il y a aussi Solo Diabaté qui vient d’arriver en Slovaquie, mais pour lui le but c’est plus de se remettre en forme pour revenir en France le plus rapidement possible. La grosse période pour un agent c’est la fin du printemps jusqu’à l’été, quand on cherche les contrats. Ça dépend aussi de la réussite que l’agent a eu pendant l’été en pourcentage de contrats signés. Il reste malheureusement toujours des joueurs sans contrat en début de saison. J’essaye de gérer ça le mieux possible et une fois que la saison commence c’est surtout du suivi de joueur et aller voir des matchs. »
On entend souvent parler des agents sportifs dans différents sports, mais pas vraiment de la manière dont il gagne de l’argent. Aux yeux de beaucoup, ils passent même parfois pour des « voleurs ». Alors comment un agent gagne-t-il réellement sa vie ? Entre deux coups de téléphone à ses collaborateurs, à des joueurs et autres Général Manager, Ayité nous explique comment il est payé.
« C’est quelque chose qui est très important à savoir. En Europe, quel que soit le sport, c’est le club qui paye l’agent et aucunement le joueur. On dit « agent de joueurs » effectivement mais à la fin c’est le club qui fait le chèque. Il faut le savoir parce que quand on dit que les agents volent les joueurs, on ne vole rien du tout. C’est le club qui nous rémunère et dans un contrat c’est stipulé sur la toute première page. Il y a indiqué qui est l’agent et le montant des honoraires, tout est transparent. En plus, c’est pénible il ne faut pas mentir, la fédération demande plein de justificatifs. On a un mois pour envoyer les contrats à la fédé sinon on peut avoir des pénalités. Tout est hyper transparent. À la fin de chaque exercice, il faut envoyer un bilan d’activité, même financier, à la fédération pour qu’ils puissent contrôler s’il n’y a pas des choses qui sont faites sous le manteau. Ça, les gens ne le savent pas. Chaque fois qu’on discute avec des parents, ils sont stupéfaits de savoir que leur enfant ne nous payera jamais rien. Tous les fans qui ne sont pas forcément dans le sport professionnel, ne le savent pas. Il n’y a que dans les sports d’Amérique du Nord où effectivement les joueurs payent les agents. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils utilisent souvent le terme « client ». En plus de ça, c’est entre 2 et 4% en Amérique du Nord alors qu’en Europe c’est 10% au maximum. »
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Il est aux alentours de 13 heures vendredi 2 février quand nous retrouvons Ayité à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Destination Andorre pour rendre visite au joueur phare de son agence, Andrew Albicy qui affronte le Real Madrid le samedi soir.
Mais qui est Ayité Ajavon ? Derrière une certaine assurance acquise avec les années d’exercice, il ne voit rien de particulier dans son parcours. « Si je n’avais pas raté mon train, on ne serait pas ici en train de discuter », nous a-t-il tout de même glissé avec un léger sourire.
« Mon parcours est, pour moi, assez classique mais, quand j’en parle, les gens me disent le contraire. J’ai une formation qui n’a rien à voir avec le basket. À la base j’ai une formation d’économie et gestion, jusqu’à la licence. Rien de très extraordinaire. J’étais beaucoup dans l’artistique et je manageais déjà des artistes. C’est par une rencontre dans la ville où j’ai grandi, Coulommiers, en Seine-et-Marne, que je me suis lancé là-dedans. Un jeune à l’époque m’a demandé conseil. J’ai raté mon train et à l’époque il n’y en avait pas beaucoup, j’ai donc dû patienter un long moment pour avoir le suivant. C’est à ce moment que le jeune en question m’a croisé. Je ne connaissais rien au basket pro. Je connaissais juste un ancien coach pro que j’ai appelé pour avoir quelques conseils. Une semaine après, je suis tombé sur un autre jeune qui, pareil, m’a demandé des renseignements donc je me suis dit « bon il y a quelque chose à faire ». Quand je jouais au basket personne ne m’a jamais conseillé. Je le faisais déjà avec des artistes donc je me suis dit que si je pouvais aider les basketteurs aussi, là où moi on ne m’a pas aidé. A ce moment-là, je me suis renseigné auprès de la fédération, j’ai passé ma licence d’agent et puis j’ai commencé. Au début c’était compliqué parce que je n’avais pas forcément les contacts. Au départ c’était vraiment, pour parler trivialement, juste pour aider deux ou trois jeunes de mon quartier et puis ça s’est mis en place comme ça. »[/arm_restrict_content]
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Vous pouvez également retrouver notre interview croisée d’Ayité Ajavon et son joueur Andrew Albicy que nous avons réalisé lors de ce week-end en cliquant ici.
Photo : Dylan De Abreu
