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Retro Spécial Limoges : Clarence Kea, le petit Kea des grands chocs

Ne jamais se fier aux apparences avec lui. Ça oui… Avec sa bonne bouille ronde et joviale, ses gros yeux de clown malicieux et ses rondeurs de gros nounours indolent, c’est tout le portrait d’un ptit père tranquille, Clarence. Seulement voilà… En NBA, sous le maillot n°53 des Dallas Mavericks, on l’

Ne jamais se fier aux apparences avec lui. Ça oui… Avec sa bonne bouille ronde et joviale, ses gros yeux de clown malicieux et ses rondeurs de gros nounours indolent, c’est tout le portrait d’un ptit père tranquille, Clarence. Seulement voilà… En NBA, sous le maillot n°53 des Dallas Mavericks, on l’appelait le « taureau furieux”, et, avec son 1,98m, il a quand même tiré de sacrées bourres à Jabbar puis aux meilleurs pivots d’Europe. Et il continue avec Limoges. En Coupe d’Europe et en championnat. Clarence Kea est depuis six ans le plus petit pivot d’Europe. Mais aujourd’hui, on dit Monsieur Kea.

Cette semaine, place à quatre joueurs américains, qui ont fait la gloire du Limoges CSP dans les années 80-90 et dont Liliane Trévisan avait brossé le portrait à l’époque pour le mensuel Maxi-Basket. Clarence Kea (lundi), Michael Brooks (mardi), Don Collins (mercredi) et Michael Young (jeudi).

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Deux saisons de NBA, une nomination dans le second cinq All-Star de la vénérable association, un titre de champion d’Italie avec Bancoroma, une coupe d’Europe des champions, toujours sous le maillot du cinq de Valerio Bianchini, et peut-être bientôt l’alléchante perspective d’un doublé Coupe des Coupes et championnat de France avec ses petits camarades limougeauds, tout ça sent quand même le joueur qui n’a pas trop perdu son temps.

A 29 ans tout juste (le 2 février dernier), Clarence Kea peut-être satisfait de ce qu’il trimballe dans ses valises. Depuis qu’il les a posées sur le sol européen, (alors qu’il débarquait en cette fin de saison 82-83 sous le soleil romain pour prendre en marche le train des playoffs avec Bancoroma), Clarence brûlait, dirons-nous, d’une espèce d’envie de… faire le point. Eu égard notamment à sa relative petite taille et aux moues dubitatives qui s’en suivaient.

Faut dire que les 110 kilos généreusement répartis sous le mètre 98 ne donnaient pas le profil-type du bon pivot américain. D’accord, le beau bébé né du côté de Wilmington (charmante bourgade de North Carolina ou vit le jour aussi un de ses grands copains, un certain Michael Jordan…), pouvait étaler sous son maillot une paire d’épaules copieusement musclées, qui n’auraient rien eu à envier sur le ring d’Atlantic City à celles de Mike Tyson. D’accord, ça vous avait en plus le dos large et la croupe puissante, et des appuis qui promettaient d’être redoutables, le tout pouvant se révéler à l’usage assez tonique.

Seulement voilà. On a beau être bâti comme un respectable boxeur “catégorie lourds », ça ne suffit pas forcément pour tailler des costards dans la raquette aux costauds d’en face qui vous surplombent d’une tête ou plus… Surtout en NBA. Et pourtant, c’est bien ce qui le travaillait le jeune Kea. Le basket, la NBA, le grand trip quoi… L’inévitable et incontournable rêve du gamin qui voudrait grandir plus et plus vite pour brûler les étapes.

La boxe d’abord

Confortablement enfoncé dans le canapé de son salon, Clarence Kea va à la pêche aux souvenirs avec une bonhomie naturelle dont il ne se départit jamais… Sauf sur le terrain, à la pêche aux rebonds… Mais on n’en est pas encore là, et pour l’instant le pivot chéri du public de Beaublanc se marre franchement. Ah oui, il aime bien rire Clarence. Un rire de colosse, gargantuesque, qui le secoue des pieds à la tête, lui fait se taper sur les cuisses ou vous envoyer (gentiment…) une petite tape sur l’épaule.

Cordial, bon enfant, chaleureux et vraiment nature, le « taureau » des Dallas Mavericks, les bras, énormes, croisés sur des pectoraux qui mettent à rude épreuve les coutures d’un tee-shirt dangereusement exigu (quelle taille le tee-shirt ?..). On a tellement dit de Clarence Kea qu’il était « une bête”, une force de la nature qu’il est difficile de l’oublier. Dans le guide des Dallas Mavericks, il avait déjà droit à son couplet particulier : « Clarence Leroy Kea – ailier – entre sur le terrain en chargeant comme un taureau furieux – les vies de ses adversaires sont sérieusement menacées quand le gaillard propulse sa masse aux alentours du panier – un « énorme » physique – chausse du 56. »

On n’a donc rien inventé. Mais ce qu’ils ne savaient pas dans le guide, c’est que le jeune Kea doit certainement une bonne part de sa musculature à la pratique, démarrée très tôt, de… la boxe. La première victoire sportive du jeune Kea était bien un match de boxe : les « Golden Gloves’ (gants d’or). « J’ai commencé la boxe vers 13 ans, » se souvient Clarence. « En high-school. Et j’ai pratiqué pendant 4 ans, jusqu’à ce que je rentre au Collège. A l’âge de 15-16 ans, je boxais dans ce qui pouvait être considéré comme une catégorie junior, et j’ai gagné les Golden Gloves. C’était une compétition qui réunissait des boxeurs venus de Philadelphie et New-York, et pas mal de gars qui venaient de départements de l’armée. Je ne sais plus comment j’ai fait, mais c’est vrai, j’ai gagné… En fait, je m’étais tourné vers la boxe parce que je n’avais rien d’autre à faire, et que j’avais des problèmes à la maison… Après, j’ai laissé tomber… »

Parce qu’il était peut-être plus facile, et plus raisonnable aussi, de se tourner vers les structures plus attirantes du Lamar College (Texas) et du basket. Et Clarence Kea, en élève intéressé rejoignait en 76 le campus de Lamar à … 17 ans, avec un an d’avance sur une scolarité normale. Quand il en sortira, quatre ans après, avec toujours cette année d’avance, Clarence n’aura pas eu trop de mal à faire son trou dans l’équipe des universitaires texans. Et au centre s’il vous plaît. « Au Collège, j’ai toujours joué pivot, toujours » aime à rappeler Clarence. Qui découvre aussi que son premier amour – toujours, c’est déjà le rebond. Et qui va s’employer à faire fructifier cette affinité pour les frictions intérieures d’une année sur l’autre.

Déjà crédité d’une moyenne approchant les 9 rebonds en première année, l’élève Kea sortira en quatrième année avec une moyenne de 9,9 rebonds associée à une moyenne de 15 points par match. Faisant preuve par la même d’une belle constance dans sa réussite aux tirs qui tourne autour des 52,5%. Peut mieux faire sûrement. C’est sans doute ce qu’on se dira aux Dallas Mavericks. Un physique, un potentiel en devenir, mais seulement, un peu juste en taille… Mais après tout, le garçon n’a tout juste que 21 ans… Alors le tout jeune club texan, qui commence seulement à exister et vient d’obtenir sa franchise en cette année 80, tourne ses yeux pleins d’espoir vers ce gaillard bien trempé, qui comme lui, a tout à attendre de l’avenir… Clarence Kea sera le 8e tour de draft des Dallas Mavericks.

Photo : Du temps des Dallas Mavericks, à droite

Dallas, ton univers si remarquable…

« Quand j’ai terminé ma high-school, j’allais sur mes 17 ans. Ma mère aurait aimé me retenir encore à la maison un an ou deux, car elle estimait que je n’étais pas vraiment assez mature pour entrer au Collège » raconte Clarence. « Elle a essayé. Mais je suis parti quand même; parce que je voulais jouer au basket, je voulais entrer chez les pros. Alors Dallas, c’était un rêve qui devenait réalité, un rêve qui me suivait depuis la high-school. C’était le temps ou je jouais au basket en NBA…» Mais les choses n’auront pas été si simples que ça au début. Sûr que maman Kea a pu se faire encore quelques cheveux blancs pour la carrière de son rejeton.

En effet, Clarence est d’abord recalé du camp des Mavericks le 8 octobre 80. En même temps qu’un autre Américain qu’il connaît mieux maintenant : Ken Dancy, le naturalisé du Tours BC faisait lui aussi partie de la liste des recalés. L’occasion pour Clarence Kea de faire un passage en salle d’attente par la CBA, aux Lehigh Valley Jets. Puis arrive le 10 février 81, Dallas signe Clarence Kea pour 10 jours. Le 19 février, on établit un deuxième contrat pour dix jours, et enfin le 2 mars 81, les Dallas Mavericks engagent définitivement Clarence Kea…

C’est le début du rêve. Qui s’achèvera le 2 octobre 82, Kea sera coupé par son club. Mais d’un bout à l’autre, à Dallas allait se révéler un petit pivot qui deviendrait pour l’Europe le grand Clarence Kea. Attention, on vous voit venir en amateurs éclairés… Dallas ? Ce ne sont pas des nuls. Ils sont plutôt bien ces dernières saisons. Se sont offerts trois fois les Lakers pendant la saison dernière, et puis comptent dans leurs rangs les deux Allemands Detlef Schrempf et Uwe Blab. Sans parler de leu gâchette panaméenne, Rolando Blackman. Tout juste. Mais en 80, les Mavericks étaient encore des apprentis sorciers.

Blackman était déjà là, comme Mark Aguirre, Brad Davis et Pat Cummings (parti rejoindre aujourd’hui l’autre Pat, Ewing, aux N.Y Knicks). Il y avait aussi Jay Vincent (actuel Denver Nuggets), un guard prometteur, formé un an avec Magic à Michigan State et dont on disait alors qu’il avait les mouvements d’un jeune Julius Erving. Et surtout, il y avait le coach. Dick Motta, celui dont tout le monde savait que le premier match de NBA qu’il ait vu, de ses yeux vu, était… Le premier match qu’il a coaché avec les Chicagos Bulls en 68. A 37 ans !

Motta n’avait jamais mis les pieds, ni vu de près un parquet de NBA. A tel point que les gars du service d’ordre du Madison Square Garden lui refusèrent ce soir-là l’entrée de la salle, refusant d’admettre qu’il était le headcoach des Bulls ! Et qu’il fallut l’intervention d’un dirigeant du club qui réponde de lui pour que Motta puisse rejoindre le banc… C’est ça Dick Motta, plus un titre de « ‘coach of the year » en 71, et le titre de champion de NBA avec Washington en 77-78. C’était ça les Dallas Mavericks quand Clarence Kea est arrivé.

13 rebonds face à … Jabbar

Une équipe solide sur 4 des 5 postes. Mais avec un trou important au centre, et une défense quelque peu chaotique qui constituaient le point faible de l’ensemble. Une aubaine en quelque sorte pour notre Limougeaud : « Pendant ma première saison, parce qu’on a eu énormément de problèmes de pivot, et parce qu’ils n’étaient que deux, j’ai été amené assez souvent d jouer au centre. Et je me souviens parfaitement avoir eu à jouer contre Jabbar. »

Pendant cette saison, Clarence jouera 16 matches, à raison de 12,4 minutes de jeu en moyenne, prendra 4,2 rebonds et inscrira 7,3 points par match. Face à des adversaires à qui il rendait un lourd handicap de taille. Kea se taillera même quelques jolies perfs. Ainsi le 21 février 81 : Dallas reçoit les Lakers qui l’emportent 99-107. Et Clarence Kea, avec 13 rebonds, sera le meilleur rebondeur d’un match où Jabbar sera le meilleur marqueur avec 35 points. Meilleur rebondeur encore (10 prises) dans le match contre les Indiana Pacers, et meilleur marqueur (22 points) – meilleur rebondeur (10 encore) du match contre les San Antonio Spurs… La saison suivante sera un peu plus austère : 35 matches, mais 7,1 minutes de jeu, 1,7 rebond et 2,3 points par match.

Kea sait pertinemment qu’on lui reproche son manque de taille, qu’on le trouve un peu petit, même utilisé en ailier fort. « Pendant ma première saison, j’ai joué la moitié des matches comme starter, et l’autre moitié, je rentrais en cours de jeu. Ensuite je suis resté le 7e-8e homme des Mavericks. Ça restera une expérience extraordinaire. J’avais de super relations avec les autres joueurs, les entraîneurs. Mon coach Dick Motta était un type bien ; il m’a fait beaucoup travailler, et a toujours été très réglo avec moi. Le propriétaire de l’équipe et sa femme m’aimaient beaucoup. Je n’avais aucun problème à ce niveau-là. Seulement voilà. La seule raison pour laquelle Dallas m’a laissé, c’était ma taille. Dick disait que j’étais un peu juste pour jouer ailier fort. A l’époque, il était inconcevable qu’un ailier fort ne fasse pas au moins 2,03 m, ou 2,06 m. Si tu regardes la NBA maintenant, c’est devenu moins évident. On trouve des « power forward » comme Charles Barkley à 1,98m… En fait, je pense que je suis arrivé en pro trop vite et trop tôt aussi. Je venais tout juste d’avoir 21 ans, et j’aurais dû attendre encore, venir jouer en Europe un an ou deux, puis retourner tenter ma chance là-bas. Si j’ai eu des regrets ? Une fois ou deux. Mais c’est quelque chose que je ne peux plus changer. Il faut vivre avec. Je voulais jouer au basket pro, j’ai joué, et je n’ai pas été trop mal. Ça restera une grande expérience… »

Banco … à Roma

Il en faut plus pour démonter un Clarence Kea, qui retrouve le chemin de la CBA. Avec les Anchorage Northern Knights, puis en 82-83 avec les Detroit Spirits où il se propulse allègrement aux sommets des stats en cueillant ses 15,6 rebonds par match. Et il inscrira même son nom comme 1er rebondeur de tous les temps sur les tablettes des Detroit Spirits en arrachant 25 rebonds face aux Ohio Mixers ! Tout en étant ce jour là aussi meilleur marqueur avec 25 points… C’était le 1er avril 83, mais ce n’était pas une plaisanterie… Alors que, là-bas en Italie, Valerio Bianchini, (encore un coach en or), se fait beaucoup de souci pour son équipe : Bancoroma va disputer les playoffs du championnat italien, mais Kim Hughes, son pivot américain (ex-NBA lui aussi) a de graves problèmes de ménisque. La solution s’appellera Clarence Kea. Qui pose ses valises à Rome, retrouve le génial Larry Wright, l’ex-meneur remplaçant des Washington Bullets, et une tripotée de bons joueurs italiens style Solfrini, Polesello et autres Enrico Gilardi. Le tout sous la houlette magique de Bianchini, et hop. Envoyez, c’est pesé…

En 9 matches, avec 12,4 rebonds et 11,4 points de moyenne, Clarence Kea devient « campionissimo » 82-83 avec Bancoroma. Banco sur toute la ligne. Opération réussie. Elle le sera aussi la saison suivante, mais sur le plan européen seulement, pourrait-on dire. Paradoxalement, Kea est jugé un peu juste pour le championnat, remplacé par Darell Lockhart. Puis rappelé in extremis pour la Coupe d’Europe, après que Jim Chones (ex-Lakers) se soit fait la malle, direction « home, sweet home ». Et voilà donc Clarence Kea, en raccroc, mais en Coupe d’Europe… Dans des circonstances pas vraiment gratifiantes, mais qui n’ont entamé ni le moral de l’homme, ni celui du joueur.

« Il est vrai que certaines équipes en Europe gagneraient à laisser une meilleure chance aux joueurs qui arrivent. Au lieu de les couper prématurément, sans qu’on leur ait vraiment laissé le temps de s’exprimer. Je ne parle pas plus pour moi que pour un autre. Mais simplement parce que j’ai connu un peu cette situation. Ce n’était pas comparable à celle de Tom Scheffler à Orthez par exemple. Parce que moi, je n’avais pas commencé à jouer le championnat, il était bien entendu que je ne ferais que la Coupe des champions. La situation était claire. Et cela ne m’a pas affecté. D’abord, parce que cette Coupe, on l’a gagnée, et ensuite, parce qu’en championnat, Bancoroma n’a terminé que 9e… Ça ne pouvait donc pas me toucher, ni me perturber. J’avais fait mon travail, on avait gagné, et je n’avais rien à me reprocher… »

Ah oui, il l’avait fait son boulot Clarence. Et en ce mois d’avril 84, à Genève, la défense de fer des Italiens et le génie de Larry Wright ont fait le reste : Rome a battu le grand Barcelone 79-73. Et, à lui tout seul, Clarence Kea a fait quasiment jeu égal avec Mike Davis et Marcellus Starks : 17 points et 10 rebonds, contre 15 points (12 à Starks, 3 à Davis) et 13 rebonds (6 A Starks et 7 à Davis) aux deux Ricains du Barça… Clarence Kea et son 1,98 m faisaient maintenant partie des grands d’Europe.

Photo : Maxi-Basket

Limoges, Gomez, et l’Europe encore

On peut quasiment refermer l’album aux souvenirs. Il y aura une saison tranquille à Hapoel Holon en Israël en 84-85. Un retour en Italie à Udine (A2 en 85-86) où Clarence retrouve ses 13 rebonds et ses 16 points de moyenne avec 64,4% de réussite) et son pote Larry Wright. Et enfin, la saison dernière, le Limoges CSP entame l’ère Gomez et découvre Clarence Kea. Le championnat de France aussi.

« Kea ? Il a beaucoup de force, mais il sait surtout jouer l’anti-jeu, » dit de lui Félix Courtinard. « On ne parle pas de Clarence Kea, on ne le juge pas. On le regarde jouer sur un terrain, et on voit ce qu’il fait, on lit ses stats… Ça parle pour lui… » L’hommage est de Tom Scheffler. « Clarence Kea ? C’est un grand. Et un chic type, » dit de lui le Nantais Andy Fields, son concurrent direct au titre de joueur le plus complet du championnat. Et il nous souvient de Wiley Brown, l’ancien pivot mulhousien, pas un enfant de choeur puisqu’il avait tâté du foot américain, qui sortait de Beaublanc éberlué de s’être fait frotter pendant tout un match : « Kea, je n’ai jamais vu quelqu’un pousser comme lui… Mais qu’est-ce qu’il joue…» Oui, il joue le pivot limougeaud.

Malgré ses allures de diesel constamment en tour de chauffe, sa façon de courir à petites foulées nonchalantes en balançant lourdement les épaules, il est bien souvent le premier là où il faut… L’expérience, le sens du placement, et toutes les ficelles du métier, c’est un peu tout ça la subtilité de Clarence Kea. Pour le reste, quand il s’en vient prendre position, placer un bloc d’enfer ou monter au rebond offensif, c’est assez percutant dans l’ensemble. Kea est toujours adroit, 62,59 %, (se paye même le luxe d’un 4 sur 8 à 3 pts à mi-saison…) et 7e rebondeur du championnat (9.6 rbds) dans un domaine qu’il doit pourtant partager avec Vestris et Ostrowski (excusez du peu…). Et voilà aujourd’hui Limoges bien parti pour une finale de Coupe des coupes et un titre.

« On a une belle chance de remporter la Coupe et le championnat cette année, » apprécie Clarence. « « Tout le monde joue bien, on est ensemble, et plus on joue de matches, mieux on est. Pesaro ? Je pense qu’on doit pouvoir s’en sortir. En plus, je connais bien leur coach, c’était celui que j’avais à Bancoroma, Bianchini. On va gagner chez nous et on doit pouvoir gagner là-bas. En fait, Limoges n’a pas tellement changé d’une saison sur l’autre. Le deuxième Américain a changé. On a gardé la même équipe, qui se connaît depuis un moment et on y a ajouté le bon joueur, le joueur juste comme l’est Collins. Peut-être parce qu’il court beaucoup plus et garde moins la balle. Certains disaient que Thompson aimait trop la balle. Notre jeu s’est amélioré parce que Collins fait toutes ces choses qu’on attendait de Thompson la saison dernière : il court, n’a pas peur de monter et descendre sur le terrain, joue la défense et marque. Pour moi, sa présence rend les choses plus faciles. Parce que je peux me consacrer au rebond, à la défense. La saison passée, j’avais plus de travail. Aujourd’hui, je n’ai plus à me soucier de marquer avec des garçons comme Dom, Steph ou Richard qui peuvent tourner à 20 points par match… »

Alors, si Clarence Kea se sentait déjà à Limoges la saison passée, il s’y sent encore mieux maintenant. D’autant plus qu’avec sa bonhomie naturelle, son grand sourire rayonnant de gamin toujours prêt à vous en sortir une bien bonne, il passe bien auprès de tout le monde : ses coéquipiers, son coach, et le public de Beaublanc dont il est un peu l’enfant chéri, et à qui il le rend bien : « j’ai appris à aimer la France, et les gens d’ici. Surtout, j’adore le public ; parce que Limoges est vraiment une ville de basket. Et c’est important. »

«Gomez, dans le « top-five » européen»

« Clarence, c’est celui que tout le monde charrie dans l’équipe, celui qu’on aime embêter gentiment. Parce qu’il le prend toujours avec bonne humeur, il est toujours prêt à rire. » Parler de son pivot. Michel Gomez le fait visiblement avec un réel plaisir. « C’est un garçon que j’apprécie énormément. Car il a un cœur, une sensibilité qu’il transmet sur le terrain. Le terrain est pour lui une façon de s’exprimer, de s’extérioriser. Alors, on a souvent dit qu’il était le plus petit pivot d’Europe. Moi je dis qu’ils n’y en a pas beaucoup qui l’ont dominé en Coupe d’Europe. Mc Dowell, celui de Barcelone, Clarence l’a bouffé deux fois quand on a joué Saragosse… Il a un mental extraordinaire. Il est toujours prêt le jour J, on est sûr de pouvoir compter sur lui chaque fois que c’est important. Par contre, parfois, sur des matches de moindre importance, il faut parfois le pousser un petit peu au cul, parce qu’il se met un peu en retrait, laisse aller le jeu… Clarence est quelqu’un de très lucide, quand ça va mal aussi, il reste objectif. Si c’est lui, il sait le dire et le reconnaître. Quand j’ai parlé de Kea pour la première fois, on m’a dit : c’est pas un joueur d’attaque. Il a prouvé qu’à ce niveau là, il avait aussi augmenté son bagage… La seule chose qu’il n’ait pas encore réussie, c’est de me battre aux tirs à 3 points…»

La réflexion fait éclater de rire le pivot limougeaud. Lui et Gomez s’en sont payé de sacrées parties de rigolades, en se défiant après les entraînements aux tirs à 3 points. Un pari, pour une bière souvent, qui est devenu presque une habitude. Et qui explique les toutes récentes velléités de « long-range shooter » de Clarence. « Parce que même pour rire, comme ça, Clarence déteste perdre… ,» précisera encore le coach du CSP. Incontestablement, le courant passe bien entre les deux hommes. « Michel et moi, on s’apprécie énormément, on parle et on rit beaucoup ensemble. On a des relations super… Pour certaines personnes, il peut apparaître comme quelqu’un de nerveux, de perturbé. Mais il aime rire et plaisanter. Parfois, on n’est pas d’accord. Alors on discute. Mais je le respecte comme coach. Je ne serai peut-être plus à Limoges la saison prochaine, lui non plus, mais où qu’il aille, j’aimerais bien y aller. Michel peut faire des erreurs. Mais pas souvent. Il sait ce qu’il veut, il a ses idées, ses schémas. D’ailleurs, ça m’épate réellement de voir toutes les idées que certains coaches européens peuvent avoir dans leur conception du jeu. Michel doit être le meilleur en France. A mon avis, il fait partie du « top five » des coaches européens… Je pense que son rêve serait d’aller aux States et de coacher là-bas. Je pense qu’il en serait capable…»

« Le basket est fait de patience… »

On reste tout pantelant devant ce coup de chapeau au coach. Mais on a tout de même tiqué. Kea pourrait ne plus être limougeaud ? Qu’est-ce à dire ?

« J’en parlais récemment avec M. Biojout. je lui demandais ce qu’il voulait exactement à Limoges : garder une vraie équipe sur 3-4 ans, ou changer chaque année. On ne joue pas au basket en 1 ou 2 ans. Le basket est fait de patience. Une équipe se fait sur des années, et il faut préparer l’avenir. Mais trop souvent on ne veut pas attendre, on veut des résultats, plus et plus vite. Wallace Bryant était un super à Barcelone. Ils ont voulu plus, ont refusé de lui donner ce qu’il demandait, et ont payé 400 000 $ pour Audie Norris ! Ils peuvent avoir des regrets maintenant. Trop souvent, on oublie beaucoup de choses. Qu’il faut aussi former des joueurs. Leur laisser le temps de prouver. Regardes ce qui arrive à Butter.  C’est le joueur français qui a, de loin le plus progressé en un an. Il m’a surpris à Caen. A Orthez, on ne l’a jamais vu jouer. Donnez-lui un an ou deux, et il sera le premier pivot français. Pareil pour un garçon comme Gadou, celui-là, si on lui fait confiance, il ne lui faudra pas deux ans pour faire partie des meilleurs. Alors, je le disais à Michel, l’an prochain, il y aura sûrement deux nouvelles équipes en NBA, une autre ligue qui va commencer en mai, qui offrira pas mal d’argent, et du coup, les équipes européennes vont avoir beaucoup plus de mal à trouver des joueurs de talent. Qu’est-ce qui va se passer alors ? Qu’est-ce qui va se passer à Limoges quand Greg (Beugnot )et Jacques (Monclar) ne seront plus là ? Qui sera prêt derrière eux ? Honnêtement, quand je suis venu en France, je pensais que c’était une des plus faibles ligues européennes. Et, je constate qu’en deux ans le basket français a fait un grand bond. Et cette année devrait être déterminante pour lui, avec le soutien de la presse et la télé. Mais il faut travailler et préparer l’avenir en pensant à ses points faibles. Quant à moi, j’ai dit à Biojout que des équipes m’appelaient déjà de toute l’Europe. Parfois je ne peux plus dormir parce que le téléphone n’arrête pas de sonner. Et je ne pourrais pas rester assis ici à attendre que Limoges se décide au dernier moment, comme l’été dernier. Tout dépend d’eux. Moi je me verrais bien rester ici. J’y suis bien. Mais s’il faut partir, je partirai. Je suis un pro, et je suis payé pour jouer au basket. C’est mon boulot… » Michel Gomez nous avait bien dit que Clarence Kea était lucide. Pas vraiment nombriliste en tout cas, comme le sont pas mal de ses compatriotes. « Je ne me considère pas comme une star, » avait encore dit Clarence.

Le « taureau » des Dallas Mavericks a fait un sacré bout de chemin en tout cas. Et il a encore des beaux jours devant lui. A Limoges ou ailleurs. C’est un peu ce que semblait penser Michel Gomez qui nous disait si joliment : « Clarence Kea, c’est un vieux percheron qui sait mener sa carrière.» Et ce soir-là, il y avait vraiment beaucoup d’affection dans la formule du coach…

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Deux saisons de NBA, une nomination dans le second cinq All-Star de la vénérable association, un titre de champion d’Italie avec Bancoroma, une coupe d’Europe des champions, toujours sous le maillot du cinq de Valerio Bianchini, et peut-être bientôt l’alléchante perspective d’un doublé Coupe des Coupes et championnat de France avec ses petits camarades limougeauds, tout ça sent quand même le joueur qui n’a pas trop perdu son temps.

A 29 ans tout juste (le 2 février dernier), Clarence Kea peut-être satisfait de ce qu’il trimballe dans ses valises. Depuis qu’il les a posées sur le sol européen, (alors qu’il débarquait en cette fin de saison 82-83 sous le soleil romain pour prendre en marche le train des playoffs avec Bancoroma), Clarence brûlait, dirons-nous, d’une espèce d’envie de… faire le point. Eu égard notamment à sa relative petite taille et aux moues dubitatives qui s’en suivaient.

Faut dire que les 110 kilos généreusement répartis sous le mètre 98 ne donnaient pas le profil-type du bon pivot américain

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Article paru dans Maxi-Basket en mars 1988

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