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Entretien: Chantal Julien, la pionnière de l’arbitrage

Chantal Julien est une pionnière. Sa carrière d’arbitre l’a amené à vaincre le sexisme et à officier au plus échelon mondial. Elle est aujourd’hui la responsable des arbitres français de haut niveau et aussi superviseur à la Fédération Internationale. Une interview sans langue de bois pour faire déc

Chantal Julien est une pionnière. Sa carrière d’arbitre l’a amené à vaincre le sexisme et à officier au plus échelon mondial. Elle est aujourd’hui la responsable des arbitres français de haut niveau et aussi superviseur à la Fédération Internationale.

Une interview sans langue de bois pour faire découvrir l’arbitre qu’elle fut et nous emmener dans les arcanes de l’arbitrage français et européen.

A mettre entre les mains de toutes les jeunes femmes pour savoir que tout est possible !

Il y a deux parties à l’interview (partie 2 ici).

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Vous avez fait partie de l’épopée de Challes Basket mais vous avez quitté le club un peu trop tôt pour être de l’équipe qui a gagné le championnat de France en 1992 et fait le Final Four de la Coupe des Champions (l’Euroleague d’aujourd’hui) l’année suivante ?

Lorsque Challes a été champion de France, j’étais à Dijon. Je suis partie en 1990 juste avant les arrivées de (Vladislav) Lucic et (Vadim) Kapranov. J’ai fait un an à Dijon et puis deux à Tarbes, qui était en 1B et on est monté en 1A, la Ligue Féminine d’aujourd’hui. Et après j’ai arrêté.

Vous aviez fait vos débuts dans l’arbitrage en 1988 pour dépanner votre club. Vous avez mené les deux de front. Ce n’était pas trop dur ?

(Sourire) Si ! A ce moment-là, ma tête et mon cœur étaient plus sur le jeu que sur l’arbitrage mais ça m’a aidé. A cette époque-là, pour l’arbitrage, il fallait passer des sortes de concours trois années de suite. Ils prenaient les tant de premiers pour passer au niveau suivant. Et les trois fois je me suis retrouvée dans les premières sans rien faire de particulier.

C’était le fait de jouer en professionnelle et de connaître l’application des règles ?

Oui, pour moi l’arbitrage c’était très simple, les décisions étaient très bonnes, il n’y avait que les gestes qui n’étaient pas très bons. La façon de lire le jeu était très bonne car je l’analysais comme une joueuse et pas comme un arbitre. Ça a plu et ça m’a fait monter très vite. Si bien que dès la fin de la première année à Tarbes, j’aurais pu arbitrer en Ligue Féminine. Et il se trouvait qu’avec mon club de Tarbes où j’avais un contrat de deux ans, on montait en Ligue Féminine. J’ai demandé à la Fédération de me laisser une dernière année pour jouer en Ligue Féminine. Vous savez ce que c’est, quand on monte avec une équipe, on aime bien continuer pour connaître la division du dessus. Je me suis engagées avec la Fédération et le club pour dire que je faisais ma dernière saison avec Tarbes. Et à l’issue de cette dernière année, j’ai arbitré en Ligue Féminine.

Y a-t-il beaucoup de cas de joueuses de Ligue Féminine ou de joueurs de Pro A qui sont devenus arbitres de haut niveau ?

Non, pas à ce niveau-là. Certaines ont essayé comme Nathalie Lesdema (NDLR : championne d’Europe en 2001). Elle a commencé en Nationale 3 mais elle a vite arrêté. Au niveau international, il n’y en a pas beaucoup. Je sais qu’il y a une Grecque qui était en équipe nationale et qui est maintenant arbitre FIBA. En fait, les filles qui jouent à haut niveau s’orientent plus vers l’entraînement que vers l’arbitrage.

Et encore, il n’y a pas beaucoup de femmes qui deviennent coaches ?

Non mais Corinne Benintendi (NDLR : son équipière à Challes), par exemple, n’a jamais été arbitre alors que c’était une super coach. Valérie Garnier n’a jamais essayé d’arbitrer. Moi, c’était du hasard. Je me suis dit « je vais essayer » mais je ne me voyais pas du tout arbitre de haut niveau quand on me l’a proposé. A la fin, comme joueuse, je n’en pouvais plus, on s’entraînait deux fois par jour et physiquement, je commençais à accuser un peu le coup. Je me suis dit qu’arbitre, sans s’entraîner deux fois par jour, il fallait quand même s’entretenir. J’aurais pu aussi devenir entraîneur. On a encore des tests physiques quand on est arbitre. Ils ne sont pas très durs mais il faut s’entretenir physiquement, être au top. Quand on arbitre des garçons, ça court ! Et encore, on est passé à trois. Quand je suis arrivé à haut niveau, on était deux. J’y suis arrivée aussi parce que physiquement, j’arrivais à suivre. Quand on arrête une carrière de joueuse, on est physiquement au top vis-à-vis des autres arbitres.

Quand vous êtes arrivée en Pro A en 1997, y avait-il d’autres femmes à ce niveau ?

Il y avait Astrid Schneider, qui commençait à être un peu juste dans la division. Elle avait fait une ou deux années en Pro A et elle avait eu des difficultés. Il y avait eu Sylvie Lacaille juste un peu avant, qui est maintenant à Montbrison dans le club de Corinne Benintendi.

Comment avez-vous été accueilli par vos collègues arbitres, qui étaient donc des hommes ?

Par certains très bien, par d’autres moins bien car il y avait forcément un peu de jalousie, de machisme. Je suis arrivée vite donc forcément je suis passée devant tout le monde. Il y avait des gens qui me disaient « tu es arrivée vite, d’accord, mais tu vas voir ce qui t’attend. » Il faut prouver beaucoup plus que quelqu’un qui arrive normalement avec un cursus traditionnel.

« Certains ne voyaient même pas que j’étais une femme alors que d’autres profitaient que je sois une femme pour faire des réflexions, des insultes. Il a fallu que je me fasse respecter plus que mes collègues masculins »

Ça faisait donc deux particularités pour vous : être une femme et avoir franchi les étapes plus vite que les autres ?

Oui, j’ai arrêté de jouer en 93 et l’année d’après, j’étais déjà en tant qu’arbitre dans la division dans laquelle je jouais. Les autres, quand ils arrêtent de jouer, ils partent du plus bas. Il leur faut au moins trois ou quatre ans, ou plus, pour arriver à ce niveau-là. Pour être arbitre FIBA, il faut avoir moins de 35 ans et je commençais à être à la limite d’âge puisque j’avais joué dix ans en première division. Je ne pouvais pas être jeune arbitre dans l’âge. En 97, je suis montée en Pro A et je suis passée FIBA.

FIBA pour les garçons ou pour les filles ?

Les deux, ils ne distinguent pas.

Dès la première année, vous avez fait des matches de Coupe d’Europe et de jeunes ?

Oui. J’ai fait des garçons dès la première année. J’étais une des seules femmes en Europe à faire des garçons.

Comment avez-vous été accueilli par les joueurs, l’entourage des clubs, le public ?

Les coaches, comme Greg Beugnot, Jacques Monclar, me connaissaient en tant que joueuse et ils savaient que je connaissais le basket. Ils m’ont testée au départ pour voir si j’étais capable comme tous les rookies qui arrivent dans ce milieu-là et en plus j’étais une femme. Je pense que j’ai la personnalité pour répondre et surtout répondre techniquement et quand ils voyaient que j’arrivais à analyser techniquement les situations, ils m’ont très vite fait confiance. Les joueurs, eux, me connaissaient moins. Certains ne voyaient même pas que j’étais une femme alors que d’autres profitaient que je sois une femme pour faire des réflexions, des insultes. Il a fallu que je me fasse respecter plus que mes collègues masculins. Le public, évidemment, quand c’est une femme, il a plus de choses à lancer vers l’arbitre pour l’insulter. Ça n’a pas été facile avec certaines salles où je me faisais toujours insulter alors que d’autres, c’était bon enfant avec du respect. Quand je me déplace aujourd’hui dans certaines salles pour voir des arbitres sur le terrain, il y a des supporters qui m’accostent en me disant : « vous n’arbitrez plus ? On vous aimait bien ». C’est marrant, ils se rappellent de moi.

Le fait de vous faire insulter vous a-t-il perturbé au point de vouloir tout plaquer ?

Il faut être blindée, ce n’est jamais facile. Une fois j’ai voulu tout plaquer. Il y a eu une grosse bagarre sur le terrain à Pau et derrière, je me suis fait descendre alors que je n’y étais pour rien puisque j’étais au bout du terrain. Seulement j’étais première arbitre et mes collègues m’ont dit « c’est toi la coach chief, tu te débrouilles ! » J’ai vu après en vidéo mais à ce moment-là, il n’y avait pas de vidéo en direct. Je m’en suis pris plein la tête car on n’avait pas sanctionné suffisamment le joueur qui avait mis un coup. Après ça, j’ai failli arrêter. Ce sont les JO d’Athènes qui m’ont sauvée. L’incident s’est déroulé en avril et j’avais déjà ma désignation pour aller aux Jeux au mois d’août. C’était mes premiers Jeux et je me suis raccrochée à ça. Yann Mainini (NDLR : président de la FFBB) m’avait dit : « oublie cet incident, ce n’est pas grave, pense aux Jeux. »

« Dans les pays Arabe où vous arbitrez alors que les gens sont voilés dans les gradins, je ne me sentais pas toujours en sécurité »

Vous êtes-vous senti en danger physiquement une fois durant votre carrière ?

Non.

Il y a tout de même un respect supérieur pour une femme ?

Pas toujours ! Parfois c’est l’inverse. Je me suis toujours dit que si un jour on m’agressait physiquement, j’arrêtais tout de suite. Ça ne s’est jamais produit mais c’est arrivé que ce soit tendu. On est plus touché dans l’émotion et psychologiquement. A l’étranger, c’était tendu aussi parfois. Dans les pays Arabe où vous arbitrez alors que les gens sont voilés dans les gradins, je ne me sentais pas toujours en sécurité.

C’est toujours le cas aujourd’hui pour les arbitres femmes ?

Non. Je dis toujours, un arbitre ce n’est ni masculin ni féminin. Qu’il soit homme ou femme, un arbitre doit être compétent et on a de plus en plus d’arbitres féminins en Europe qui sont compétents. Je suis contre le fait de dire, « on met une femme parce que c’est une femme ».

Il n’y a pas de quota dans les désignations ?

Non. Il existe un projet sur les arbitres féminins qu’on a mis en place depuis plusieurs années car on voudrait en avoir plus sur le haut niveau. Aujourd’hui, elles sont treize alors qu’à mon époque, j’étais toute seule. Il y a eu Carole Delaunay qui est arrivée après. On a fait ensuite ce projet pour faire monter davantage de femmes qui avaient la compétence. Dans les treize, on en a une en Pro A (Jeep Elite), qui est Audrey Secci, une qui est dans un groupe intermédiaire et qui fait Pro A et Pro B, Marion Ortis, et en-dessous on a Aurélie Vidot qui vient d’arriver en Pro B. Ces trois-là sont donc au plus haut niveau professionnel et en-dessous, au niveau Ligue Féminine et NM1, elles sont dix.

Les jours de matches en Ligue Féminine, ça fait encore une majorité d’hommes ?

Oui mais on est à même de faire arbitrer des matches de Ligue Féminine par trois femmes.

Cela a été le cas à l’Open de Paris ?

L’objectif c’est justement de profiter de cet événement féminin pour mettre au vu de tous toutes les arbitres HN (Haut Niveau). Donc les treize ont arbitré l’Open. Il n’y avait pas d’hommes. C’était la première année où l’on avait un nombre suffisant pour faire tous les matches.

Vous avez été aussi la première femme à arbitrer une Coupe du monde féminine en Chine en 2002 ?

On était à deux à cette époque-là et c’est la première fois que deux femmes, une Espagnole et moi, ont arbitré une finale de Coupe du monde. Et c’est en 2004, dans la foulée, où j’étais à Athènes et ensuite Pékin en 2008. A Pékin, j’ai arbitré Etats-Unis-Allemagne chez les hommes.

Etaient-ils surpris d’être arbitrés par une femme ?

Pas spécialement car en Allemagne, ils ont une ou deux arbitres féminins et aux Etats-Unis, c’est courant d’avoir des femmes. Cela a été davantage une surprise sur le match que j’ai fait à Athènes avec les garçons, Angola-Lituanie. C’est simple : les Angolais n’avaient jamais vu une femme arbitre ! Je m’en souviendrai toujours : j’ai arbitré avec un Chinois qui ne comprenait rien du tout à l’anglais et il a fallu que je dirige ce match d’hommes alors que les Angolais me regardaient un peu de travers. Un match pas facile qui s’était tenu à quelques points près. C’était la première fois qu’ils mettaient une femme sur un match masculin aux JO. J’ai été la première sur pas mal de choses (sourire).

Vous disiez que les Américains sont plus habitués aux arbitres femmes, il y en a pas mal en NCAA ?

Oui. Ils sont professionnels là-bas et pour eux, c’est normal. Les hommes ne bronchent pas, c’est un arbitre, ils ne font même pas attention. En NBA, il me semble qu’il y en a trois maintenant (NDLR : Violet Palmer fut la première arbitre en NBA à partir de 1997 et Lauren Holkamp est la troisième à temps complet).

A quand remonte votre dernière saison d’arbitre ?

En France en 2012 et en FIBA en 2010. La Fédération m’a alors proposé le poste pour diriger les arbitres de haut niveau et forcément je ne pouvais plus me diriger.

Vous aviez travaillé jusque-là plusieurs années comme éducatrice en activités physiques et sportives à Mandelieu-La-Napoule, près de Cannes ?

Oui et là je suis en détachement à la ville de Mandelieu sur la Fédération.

Vous avez remplacé Pascal Dorizon ?

Pascal Dorizon était parti quand je suis arrivé, il avait démissionné, aussi pendant un an il n’y avait personne. Il y a eu une grosse grève des arbitres. Les arbitres demandaient justement que quelqu’un les dirige en remplacement de Pascal Dorizon. A la fin de saison 2011-12, la Fédération a créé un nouveau poste de responsable technique des arbitres de haut niveau.

En quoi consiste votre travail ?

Je suis responsable de quatre-vingt-dix arbitres de haut niveau, ce qui est beaucoup. Le but c’est de faire un suivi continu sur le plan technique. C’est un suivi régulier de toutes les rencontres du week-end. Je demande aux arbitres qu’ils m’envoient des vidéos que j’analyse régulièrement. S’ils ont besoin d’un conseil, ils m’appellent. Je suis aussi l’intermédiaire avec les coaches qui veulent aussi des explications techniques par rapport à l’arbitrage qu’ils ont eu.

Ce n’est pas possible de regarder tous les matches ?

Pas tous les matches, mais quasiment toutes les situations, tous les clips vidéo de ce qui se passe les week-ends. Je demande aux arbitres qu’ils me fassent un résumé et qu’ils m’envoient entre cinq et dix clips sur chacun de leurs matches. Quand je dis un clip vidéo, c’est une situation qui s’est passée dans leur match. Je ne regarde pas forcément tous les clips mais des situations particulières comme par exemple une faute antisportive. Je leur donne mon avis s’ils en ont besoin. Chaque week-end, je fais un résumé en identifiant les points positifs et les points à améliorer quand ça ne s’est pas bien passé. Je fais toutes les semaines un retour à l’ensemble des arbitres de haut niveau pour en fait améliorer pour le week-end suivant. Plus des situations vidéo que j’identifie sur lesquelles j’estime qu’ils ont besoin d’avoir une explication technique pour que ça se passe encore mieux les matches d’après. Et ce travail vidéo, je l’envoie aussi depuis cette année aux coaches qui m’avaient demandée depuis plusieurs saisons d’avoir ce retour. Ce sont beaucoup de choses techniques comme la nouvelle règle du marché. Les coaches ont besoin de s’améliorer sur les règles et de savoir quels messages sont donnés aux arbitres.

A suivre ici.

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Vous avez fait partie de l’épopée de Challes Basket mais vous avez quitté le club un peu trop tôt pour être de l’équipe qui a gagné le championnat de France en 1992 et fait le Final Four de la Coupe des Champions (l’Euroleague d’aujourd’hui) l’année suivante ?

Lorsque Challes a été champion de France, j’étais à Dijon. Je suis partie en 1990 juste avant les arrivées de (Vladislav) Lucic et (Vadim) Kapranov. J’ai fait un an à Dijon et puis deux à Tarbes, qui était en 1B et on est monté en 1A, la Ligue Féminine d’aujourd’hui. Et après j’ai arrêté.

Vous aviez fait vos débuts dans l’arbitrage en 1988 pour dépanner votre club. Vous avez mené les deux de front. Ce n’était pas trop dur ?

(Sourire) Si ! A ce moment-là, ma tête et mon cœur étaient plus sur le jeu que sur l’arbitrage mais ça m’a aidé. A cette époque-là, pour l’arbitrage, il fallait passer des sortes de concours trois années de suite. Ils prenaient les tant de premiers pour passer au niveau suivant. Et les trois fois je me suis retrouvée dans les premières sans rien faire de particulier.

C’était le fait de jouer en professionnelle et de connaître l’application des règles ?

Oui, pour moi l’arbitrage c’était très simple, les décisions étaient très bonnes, il n’y avait que les gestes qui n’étaient pas très bons. La façon de lire le jeu était très bonne car je l’analysais comme une joueuse et pas comme un arbitre. Ça a plu et ça m’a fait monter très vite. Si bien que dès la fin de la première année à Tarbes, j’aurais pu arbitrer en Ligue Féminine. Et il se trouvait qu’avec mon club de Tarbes où j’avais un contrat de deux ans, on montait en Ligue Féminine. J’ai demandé à la Fédération de me laisser une dernière année pour jouer en Ligue Féminine. Vous savez ce que c’est, quand on monte avec une équipe, on aime bien continuer pour connaître la division du dessus. Je me suis engagées avec la Fédération et le club pour dire que je faisais ma dernière saison avec Tarbes. Et à l’issue de cette dernière année, j’ai arbitré en Ligue Féminine.

Y a-t-il beaucoup de cas de joueuses de Ligue Féminine ou de joueurs de Pro A qui sont devenus arbitres de haut niveau ?
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Photo: FIBA et FFBB

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