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Rediff – Shabtai Kalmanovich, vie et mort d’un fou de basket

Millionnaire, espion, sulfureux, Shabtai Kalmanovich était aussi un amoureux fou de basket, qui a dépensé sans compter pour le Zalgiris Kaunas, Ekaterinbourg et le Spartak Moscou. Il a payé ses mauvaises relations en étant assassiné, il y a treize ans, dans les rues de Moscou. Pendant les fêtes, la

Millionnaire, espion, sulfureux, Shabtai Kalmanovich était aussi un amoureux fou de basket, qui a dépensé sans compter pour le Zalgiris Kaunas, Ekaterinbourg et le Spartak Moscou. Il a payé ses mauvaises relations en étant assassiné, il y a treize ans, dans les rues de Moscou.

Pendant les fêtes, la rédaction de Basket Europe vous offre une sélection de quelques articles premium de ces dernières semaines… en clair. Un – petit – aperçu des nombreux dossiers (salaires, guide, interviews, analyses, séries) proposés au quotidien. Pour ne rien manquer en 2023, abonnez-vous ou faites-en profiter un proche !

En septembre, on a appris que trois des auteurs de l’assassinat de Shabtai Kalmanovich, originaires d’Ingouchie, avaient été jugés et condamnés par un tribunal de Moscou à des peines allant de 18 à 22 ans de prison. Ils ont décidé de faire appel du jugement.

Le jour du meurtre, le 2 novembre 2009, Shabtai Kalmanovich avait discuté dans son bureau du développement du basket féminin avec le président de la fédération russe de l’époque, Serguei Chernov. Kalmanovich est ensuite monté dans sa Mercedes et dix minutes plus tard, il a appelé sa secrétaire pour lui demander les résultats de matches de basket. Seulement, la conversation a été brutalement interrompue. Quelques minutes plus tard, c’est son chauffeur qui a appelé, affolé, la secrétaire. « Lena, nous avons été attaqués. Nous avons été pris dans une fusillade. »

En fait, la Mercedes s’était arrêtée à un feu rouge, situé près des bureaux de Vladimir Poutine, alors Premier ministre de la fédération de Russie. Une Lada a ralenti pour s’approcher d’elle et 24 balles d’une mitraillette K6-92 ont été tirées à bout portant sur Kalmanovich, ne lui laissant aucune chance. Les médecins légistes ont établi que 8 balles l’ont touché et il est mort sur le coup. Bien que blessé, le chauffeur a cherché à poursuivre les tueurs mais il a fini par perdre le contrôle de son véhicule.

La somme de 1,5 million de dollars en liquide a été retrouvée dans la Mercedes, mais ni l’arme du crime, ni pendant des années les assassins, ni encore aujourd’hui les commanditaires, et toutes les hypothèses sont toujours d’actualité, certaines menant à la mafia. Quelque temps plus tard, Shabtai Kalmanovich a été enterré près des tombes de ses parents à Petah Tikva près de Tel-Aviv.

Espion pour le KGB

Si l’on consulte la biographie de Shabtai Kalmanovich, il est peu probable que quelqu’un sache exactement comment trier le vrai du faux. Ce qui est certain, c’est qu’il était un homme de petite taille, ventru, avec les cheveux longs sur la nuque, gros fumeur mais qui ne buvait jamais d’alcool. Il parlait doucement, avait, parait-il, un grand sens de l’humour, c’était un super communicant. Il pouvait être en contact avec des puissants de ce monde – le journaliste Omri Assenheim a ainsi raconté qu’il était proche de la Première Ministre Golda Meir – comme entretenir une conversation nourrie avec un chauffeur de taxi. Lors d’un concert des trois plus grands ténors du monde, Luciano Pavarotti, Placido Domingo et Jose Carreras, qui avait été diffusé dans le monde entier, il avait été vu assis à côté de l’ancien Secrétaire d’Etat américain, Henry Kissinger, et les deux hommes conversaient amicalement.

Kalmanovich est né dans une famille juive et pauvre à Kaunas, en Lituanie, après la Seconde Guerre mondiale. Son grand-père était un officier de l’armée lituanienne, tué par des nationalistes de son pays en 1941. Sa mère était une survivante de l’Holocauste, qui avait réussi à s’échapper d’une prison et qui avait été cachée des Nazis par une famille lituanienne. Alors que Shabtaï avait une vingtaine d’années, sa famille, qui avait demandé l’autorisation d’immigrer en Israël, s’est vu proposer une offre qu’elle n’a pas refusé : des visas de sortie en échange d’un accord du fils pour espionner pour le compte du KGB.
La famille est arrivée en Israël en 1971. Shabtai, qui avait étudié le génie chimique en Lituanie, s’est retrouvé impliqué dans la politique, en particulier dans la division russe du Parti travailliste avec un job au bureau de presse du gouvernement, ce qui lui a donné accès à des informations sensibles. En 1977, Kalmanovich a commencé à travailler pour Samuel Flatto-Sharon, qui fut condamné 36 fois en France (!) dont à une peine de 10 ans de prison pour fraude fiscale, détournement d’argent, chèque sans provision et pot-de-vin. Kalmanovich est devenu son assistant parlementaire.

En 1987, tout ceci a tourné au vinaigre. Kalmanovich a été accusé d’espionnage au profit du KGB et condamné à neuf ans de prison. Il y a bénéficié de conditions particulièrement bienveillantes et plus tard, son directeur a été sanctionné pour lui avoir accordé ce passe-droit. Cinq ans plus tard, Kalmanovich a été libéré en vertu d’un accord entre Israël et la Russie. Mikhail Gorbachev lui-même faisait partie de ceux qui ont demandé cette faveur. Il y a eu des spéculations dans les médias russes selon lesquelles Kalmanovich était également lié aux services secrets israéliens, étant un agent double ou même triple, mais rien n’a été confirmé par des preuves.

Les diamants, la pharmacie, le showbizz, la mafia

C’est à sa sortie de prison que le Lituanien a fait fortune en Afrique du Sud et en Sierra Leone dans le commerce d’armes et de diamants. En fait, il a d’abord été consul au Bophuthatswana, un État non reconnu qui a émergé à la suite de la politique d’apartheid de l’Afrique du Sud. Le Bophuthatswana était célèbre pour ses minéraux et faisait de l’argent dans le secteur des jeux d’argent, qui était interdit en Afrique du Sud. Des popstars du monde entier venaient se produire à Sun City, l’équivalent de Las Vegas. Après un coup d’État en Sierra Leone au milieu des années 80, Kalmanovich a pris contact avec le roi local Joseph Momo et a reçu une licence pour extraire des diamants.

Le Lituanien a continué à faire son beurre dans le showbusiness à son retour en Russie, dans les années 90. Il a promu des artistes locaux et également organisé des tournées pour Michael Jackson, Tom Jones, Jose Carreras, et Liza Minnelli. D’ailleurs, beaucoup de personnalités de la scène russe étaient présentes à ses funérailles. Il est assuré aussi que Kalmanovich est devenu le propriétaire de l’une des plus grandes sociétés pharmaceutiques du pays et il était à la fois le conseiller du gouverneur de la région de Moscou Boris Gromov et lié avec la mafia.

Selon le journal Komsomolskaya Pravda, Kalmanovich a invité le célèbre patron de la mafia russe Vyacheslav Ivankov au mariage de sa fille. Ivankov, connu sous le surnom de Yaponchik, a lui-même été abattu à Moscou alors qu’il sortait d’un restaurant thaïlandais. Pendant plusieurs années, Kalmanovich n’a pas été autorisé à se rendre en Lettonie en raison de ses liens avec le monde criminel, mais plus tard cette interdiction a été levée.

L’un des autres aspects de sa personnalité était d’être un philanthrope. Il a ainsi participé à la survie de la synagogue de Kaunas via des dons importants. Kalmanovich était aussi un homme à femmes. Il a eu deux filles et deux fils. Sa deuxième épouse, de vingt-cinq ans sa cadette, était une actrice et productrice de disques, qui l’a quitté après être tombée amoureuse d’une rock star. Sa troisième fut Anna Arkhipova, une basketteuse qui a disputé les Jeux Olympiques d’Athènes en 2004 remportant la médaille de bronze, et qui avait elle aussi avec lui une grande différence d’âge.

Comment Sue Bird et Diana Taurasi sont devenues millionnaires

Son implication dans le basket s’est faite tout d’abord via le Zalgiris Kaunas comme copropriétaire. Il a admis plus tard avoir versé au club 6,5 millions de dollars de sa poche de 1996 à 1999. « C’est un homme qui a sauvé le Zalgiris alors qu’il était au bord du gouffre », a affirmé le champion olympique de Séoul, Rimas Kourtinaitis. Après avoir gagné la Saporta (C2), lors de sa première saison d’Euroleague, le Zalgiris a remporté le trophée en battant en finale le Kinder Bologne, 82-74.

À la veille de sa mort, Kalmanovich avait donné l’ordre de fabriquer des médailles avec ce score du match comme inscription. Il avait aussi le plan d’organiser un match revanche entre les deux équipes avec les joueurs de l’époque. Kalmanovich a reçu un passeport lituanien en récompense de la victoire en Euroleague. Ce fut un événement sans précédent qu’un espion du KGB reçoive un tel honneur en Lituanie, de la part d’un président lituanien. Kalmanovich a insisté pour que « von » figure devant son nom de famille sur le passeport lituanien. On ne sait pas comment il a obtenu un titre aristocratique allemand mais sa demande a été satisfaite.

Pour expliquer son coup de foudre pour le basket féminin survenu après cet épisode, le Lituanien répondait qu’en matière de basket, il était bisexuel. Il fut le directeur d’UMMC Ekaterinbourg pendant trois ans puis le propriétaire du Spartak dans la région de Moscou, le club de basket-ball féminin le plus puissant d’Europe. Il a payé là-bas des stars telles que Diana Taurasi, Sue Bird et Lauren Jackson à des salaires bien supérieurs à ce qu’elles avaient en WNBA et ce qui était alors la norme en Europe.

Bien que premier choix de la draft 2002, Sue Bird gagnait moins de 60 000 dollars au début de sa carrière en WNBA. Kalmanovich l’a payée dix fois plus en Russie. « C’est comme ça que je suis devenue millionnaire », a-t-elle reconnu sur la chaîne CBS. « Tout était littéralement de première classe », a-t-elle confié par ailleurs à ESPN. « Nous logions dans les meilleurs hôtels. Quand nous sommes allés à Paris, nous étions dans un hôtel incroyable (NDLR : au George V). »

Son équipière au Spartak, Diana Taurasi, a ajouté que le club leur avait fourni comme logement un mini-manoir avec une piscine, un spa et un cuisinier à mi-temps. Kalmanovich avait même donné aux deux joueuses américaines sa carte de crédit en leur disant d’acheter ce qu’elles voulaient. « Et, vous savez, vous deveniez nerveuses, vous aviez cette adrénaline, où vous vous dites : dois-je acheter ce sac Louis Vuitton à 3 000 dollars, que je n’achèterais jamais autrement ? Oui, je vais le faire, et j’en aurai même deux eux, un pour moi et un pour Jessika Taurasi », a-t-elle déclaré en faisant référence à sa sœur. « Nous remontions dans la voiture, et nous avions environ 25-30 sacs. J’avais l’impression que nous avions cambriolé une banque. »

Le budget du Spartak était alimenté par Kalmanovich et la Région de Moscou à hauteur de 7 millions de dollars chacun. L’hebdomadaire Sports Illustrated a dévoilé que pour les deux Américaines, le salaire était alors de 500 000 dollars – il est monté ensuite au double -, plus des bonus en cash et un diamant pour chaque victoire de prestige en Euroleague. Les deux stars disposaient d’un interprète et d’un chauffeur pour conduire la Mercedes. La dolce vita sur la Moskova.

Le Spartak ne pouvait avoir que deux joueuses américaines à la fois. Qu’à cela ne tienne ! Kalmanovich s’est débrouillé pour obtenir des passeports européens à ses deux joueuses. Le père de Diana Taurasi était Italien, donc elle s’est vu délivrer un passeport italien. Sue Bird avait des racines juives, voici comment elle a hérité d’un passeport israélien. Une troisième joueur américaine Tina Thompson est venue renforcer le Spartak qui a gagné en 2007 une première Euroleague.

Shabtai avait le bras très long. Sue Bird a révélé comment un jour il avait retardé le départ d’un avion. « Il n’y avait qu’un seul avion d’Ekaterinbourg à Moscou. Je ne me souviens pas exactement de l’heure, mais supposons vers 8 heures du soir, Shabtai a appelé Aeroflot. Le vol a été reporté de deux heures, un vol commercial. » « Il voulait que cette équipe soit le Barcelone ou le Chelsea pour le basket féminin. Sue et moi étions les petites pièces qui ont aidé Shabtai », a commenté Diana Taurasi.

En 2008, le proprio a signé l’Australienne Lauren Jackson, qui, l’été précédent, avait été élue MVP de la WNBA. Cette année-là, le Spartak a remporté l’Euroleague pour la deuxième fois et en 2009, il s’est vu remettre une troisième couronne. « Je l’aime. En tant que joueuse et fille. Elle m’appelle papa et je l’appelle ma fille australienne », avait confié Kalmanovich. Taurasi et Bird ont affirmé que le Lituanien avait créé une atmosphère familiale au sein de l’équipe. Il invitait ses joueuses à dîner chez lui avec ses fils et sa femme. On l’a vu aussi embrasser certaines de ses joueuses « à la russe », sur la bouche.

Une quatrième Euroleague en son honneur

Son dernier projet de basket n’a fait que confirmer son omniprésence. À partir de 2008, Kalmanovich a été directeur général de l’équipe nationale russe et, on avait pu constater à l’EuroBasket 2009 qu’il était dans la cabine de pilotage. Il avait incontestablement l’ascendant sur l’entraîneur inexpérimenté Valery Tikhonenko qu’il avait lui-même nommé. L’équipe nationale russe échoua en finale à face à la France, ce qui était alors encore perçu comme un échec douloureux, mais Shabtai était optimiste quant à l’avenir et à la création d’une nouvelle équipe compétitive pour les JO de Londres.

Diana Taurasi s’est souvenue de l’image de la voiture criblée de balles, du corps affalé et ensanglanté de Kalmanovich. « Il y avait une Mercedes, dans laquelle nous avons voyagé avec Shabtai un million de fois. Des trous de balles partout, la police, l’ambulance. Et il était là, mort. J’ai été choqué, je n’avais jamais vu de morts. » Taurasi a appelé sa copine Sue Bird, qui est allé sur Internet pour chercher des informations. « J’ai fait une chose très stupide, j’ai commencé à googler. Il n’y avait pas de très… Pas de très bonnes photos. Il était en chemise blanche, il portait toujours une chemise blanche. Seulement, elle était couverte de sang. »

Diana Taurasi a assisté aux funérailles avec plusieurs joueuses du Spartak. « J’ai demandé à une fille russe de l’équipe qui pouvait avoir fait ça. Et elle m’a dit que l’homme qui a tué Kalmanovich pouvait être ici en ce moment. »

Le Spartak a continué à s’entraîner. La veuve de Shabtai, Anna Arkhipova, a déclaré aux joueuses que le club avait commencé à avoir des problèmes d’argent. « J’essaierais de trouver de l’argent, » a-t-elle assuré. « Si quelqu’un veut rompre les contrats maintenant, je la laisse partir ». Diana Taurasi s’est levée et a déclaré qu’elle jouerait gratuitement jusqu’à la fin de la saison.

Le Spartak n’a pas perdu un seul match en playoffs de l’Euroleague. En demi-finale du Final Four, l’équipe de Moscou a rencontré l’UMMC, l’adversaire le plus coriace. C’est le club avec lequel Shabtai a donc commencé sa carrière de manager dans le basket. Le club où il a rencontré sa femme Anna Arkhipova. Puis Candice Parker, Cappie Pondexter, Diana Nolan ont joué pour l’UMMC. Le Spartak a gagné et Taurasi a fait l’un des meilleurs matches de sa carrière : 37 points, 12 rebonds, 6 passes décisives. Le match pour le titre de l’Euroleague s’est joué contre le club espagnol de Ros Casares. « Nous avions un uniforme noir. Nous avons mis des chaussettes noires, et tout le monde avait une photo de Shabtai avec soi, » a confié Sue Bird. Après la victoire, les joueuses ont enfilé des t-shirts blancs avec l’inscription en lettres rouges « This is 4 Shabtai ».

Photo ouverture : Shabtai Kalmanovich aux côtés de Lauren Jackson, Diana Taurasi, Tina Thompson et Sue Bird

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