Textes et infographies: Laurent RULLIER
« Comment voulez-vous que les jeunes puissent intégrer l’équipe de France s’ils ne jouent pas en club. Nous devrions nous inspirer du basket espagnol qui a limité le nombre d’Américains pour laisser la place à leurs jeunes. »
La réflexion ne vient pas d’un décideur ou d’un commentateur du basket français, mais de Bernard Laporte, l’actuel président de la FFR qui officiait à l’époque sur l’antenne de RMC.
Ainsi, la réputation de la Liga Endesa préservant l’avenir national de son sport est telle qu’elle déborde des limites du parquet pour servir d’exemple aux autres sports. Car ils sont nombreux dans les vestiaires de nos gymnases, les tribunes de nos salles, les bureaux de nos clubs et même devant les micros des médias qui sont persuadés que le championnat espagnol est une véritable serre où s’épanouissent les jeunes pousses endémiques. A l’inverse, bien sûr, de notre sinistre Pro A et ses coachs conservateurs qui n’offrent aucune place à la jeunesse tricolore.
Et pourtant, quand on regarde sur Bein les matchs d’Euroleague du Real, du Barça ou de Vitoria, les commentateurs ont rarement l’occasion de prononcer des noms à consonance ibérique. « La Pro A est un désert pour notre jeunesse » et « La Liga, terre fertile de la jeunesse locale » sont-elles des réalités ? Ou des mythes devenus idées reçues ? Regardons de plus près.
Les chiffres, rien que les chiffres, ceux des rosters au 15 février 2017, (quelques changements ont pu être effectués depuis). Mais d’abord qu’est qu’un « jeune joueur » ? On est jeune jusqu’à quand au basket ? Un peu arbitrairement, nous considérons l’âge limite à 22 ans, deux ans pour se faire les dents après la sortie de la catégorie « espoir ». Nos jeunes ont donc 22 ans ou moins.
« On s’aperçoit qu’en Pro A, 48 % des postes sont occupés par des nationaux, 32,2 % en Espagne »
Les Américains à l’origine de l’idée reçue
217 joueurs sont répartis dans les 17 clubs espagnols, 201 dans les 18 de la Pro A et ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est la présence américaine. Les joueurs d’origine états-unienne représentent 36,3 % des effectifs de la Pro A contre 16,5 % en Liga.
73 en France, 36 de l’autre côté des Pyrénées. Le double d’US en France qu’en Espagne. Inutile d’aller voir plus loin, voilà l’explication : les joueurs d’outre-Atlantique mangent le temps de jeu de nos Français en général et de nos jeunes en particulier. Mais on s’aperçoit qu’en Pro A, 48 % des postes sont occupés par des nationaux, 32,2 % en Espagne. Il n’y a pas d’erreur de calcul, seulement des Africains, des Sud-Américains et surtout des Serbes, des Suédois, des Lituaniens, des Bosniens… et ils sont nombreux, très nombreux en Espagne. 96 pour être précis, dont 18 de 22 ans ou moins. Les chiffres de la Pro A sont en bleu, ceux de Liga Endesa en rouge.
(NDLR : Ne sont comptabilisés que ceux qui ont joué au moins une fois, une minute.)
Il faut ajouter à cela que le joueur espagnol type a 4 ans et demi de plus que son homologue français. Plus que d’offrir des places aux jeunes, la Liga prend soin de ses vieux.
« 17% des Français jouent plus de 15 minutes pour 11% des Espagnols »
Sur la feuille de match mais pas forcément sur le parquet
Qu’un joueur de Pro A sur deux soit Français ne signifie pas pour autant que le temps de jeu soit équitablement réparti. Loin de là. Les 41 basketteurs de 22 ans ou moins de Pro A ne sont souvent là que pour faire le nombre à moindre frais.
19 d’entre eux n’ont pu faire crisser leurs sneakers sur le parquet qu’à cinq reprises ou moins et parmi eux, 18 y ont passé moins de cinq minutes en moyenne. En Espagne, ils sont 7 dans ce cas. Proportionnellement les Français sont plus scotchés sur le banc, mais côté chronomètre, 17% des Français jouent plus de 15 minutes pour 11% des Espagnols. Par contre 38 % des jeunes étrangers de Liga entre dans cette catégorie.
Les clubs espagnols ont en effet pris l’habitude de recruter très tôt parmi les plus beaux prospects dans toute l’Europe. Ceux-ci sont souvent considérés comme plus forts que les locaux et passent devant leurs homologues espagnols dans la rotation. En France le seul étranger de cette génération est le meneur américain de Dijon Isiaih Miles qui n’a bien sûr pas été recruté dans un but de formation, mais pour être rentable de suite.
Á propos des Américains de France, on peut également mettre à mal une autre légende de vestiaire. Ce sont rarement des gamins tout droit sortis de NCAA. La moyenne d’âge de nos US étant de 28,5 ans, nous avons davantage à faire à des basketteurs matures.
« Le « bon jeune » Français joue en moyenne 22 minutes pour une évaluation de 8,4 pour 17,5 minutes et 5,7 d’éval de son collègue ibère »
Désolé Freddy, mais tu as tort !
« Je vois des matchs à Vitoria, San Sebastian, Bilbao, c’est la deuxième ligue mondiale, physiquement, c’est stratosphérique, mais il y a des jeunes Espagnols de 18-19 ans sur le terrain » déclarait l’ancienne icône d’Orthez Freddy Hufnagel dans le numéro de décembre de la revue « Basket ».
En fait, à Vitoria cette année, le plus jeune joueur de l’effectif, toutes nationalités confondues, est le naturalisé Ilimane Diop, 21 ans. Les deux seuls autres joueurs espagnols sont âgé de 24 et 32 ans. Bilbao compte également trois Espagnols dans le roster : Alex Mumbru, 37 ans, Raul Lopez, 36 ans et Alex Suarez, 23 ans qui n’a joué que sept matchs avec une moyenne de temps de jeu de 6 minutes. Et enfin San Sebastien qui évolue en LEB oro, dispose de 5 natifs dans son effectif, deux sont âgés de 21 ans et les 3 autres ont dépassé la trentaine. Peut-être parles-tu Freddy de matchs vus dans le passé, mais cela ne correspond pas du tout à la réalité d’aujourd’hui.
Si on fait un top five des jeunes passant le plus de temps sur le parquet, on s’aperçoit que le « bon jeune » Français joue en moyenne 22 minutes pour une évaluation de 8,4 pour 17,5 minutes et 5,7 d’éval de son collègue ibère. Par contre le « bon jeune étranger » de la Liga a droit à 21 minutes et 8 d’évaluation.
« L’Espagne pourra sans doute se reposer sur ces cadres qui évoluent… en NBA »
L’Espagne forme l’Europe
Certes, la Liga étant d’un niveau supérieur à la Pro A, il est plus difficile pour un jeune joueur d’y briller. Mais en quoi cela peut-il apporter une nuance à l’alternative fact : « en Espagne, on fait jouer les jeunes Espagnols » ? On les met sur le parquet ou pas ? La réponse est non. En tout cas, moins qu’en France. On peut également détourner le postulat par « en Espagne on fait jouer les jeunes, peu importe leur nationalité ». D’accord, mais quand on va chercher la crème de la crème de l’Europe entière, il n’est pas étonnant de voir sur le terrain des gamins bourrés de talent.
Pensez-vous sérieusement qu’un Jean-Denys Choulet, un Vincent Collet ou un Freddy Fauthoux laisseraient scotché sur le banc un Luka Doncic ou un Nikola Radicevic ? L’affirmer tiendrait du procès d’intention malveillant.
Maintenant on peut se poser la question de qu’est-ce qui est important, « faire jouer les jeunes, sans se préoccuper de leur nationalité », ou « faire jouer les jeunes nationaux » ? Et bien tout dépend du contexte. Si on la met dans le questionnement sur l’avenir de l’équipe nationale, c’est évidemment les jeunes nationaux qui sont pertinents. Car si l’Espagne forme la jeunesse, elle la forme pour les sélections suédoise, belge ou bosniaque et on peut lui être redevable de faire preuve d’un tel élan de solidarité vis à vis de l’Europe… par contre on peut se poser des questions sur les successeurs des Pibes de oro. Ne nous inquiétons pas trop, elle pourra sans doute se reposer sur ces cadres qui évoluent… en NBA. Comme nous !
Photo : Fédération Espagnole de Basket.