Cette nuit, Ronnie Smith, qui était devenu policier aux Etats-Unis, est décédé à l’âge de 49 ans dans un accident de voiture.
Formé dans un junior college puis une fac modeste, Ronnie Smith dut forcer le destin pour mener une carrière de basketteur professionnel. Il bourlingua sur deux continents avant d’écumer les clubs hexagonaux. Ses qualités défensives séduisirent l’ASVEL puis Pau. Naturalisé français, il participa à l’Euro 1999.
La clameur qui secoue l’Astroballe a l’air d’une explosion souterraine interminable. Ives de bonheur, 5 000 poitrines savourent un demi de Korac offert par les dix anges de la « Green Team » au terme d’un combat épique contre la Panzer division de l’Alba Berlin.
« Je n’ai jamais ressenti un bonheur aussi intense. »
L’œil humide, Ronnie Eugene Smith (2,06 m, 108 kg) débite son flot de souvenirs avec un accent « frenchie » réhaussé d’une pointe yankee. Un flot. Des vagues. Tout se mélange dans son crâne. Le sien est rasé façon G.I.
« Depuis que je suis tout petit, je n’ai pas souvenir d’avoir baissé les bras. »
C’est préférable quand on a pour mission de faire une moisson de rebonds. Lorsque Villeurbanne, club mythique en quête d’un prestige nouveau, décida de lui confier le verrouillage de sa raquette, à l’été 1995, le trentenaire ne parut guère ébranlé.
« Depuis mon arrivée en France (ndlr : en 1988 à Vichy), je n’avais jamais eu ma chance dans un club de haut niveau réellement structuré et ambitieux. Je n’allais pas commencer à me défiler… »
Un long voyage avant de trouver sa place
Oui, Ronnie avait vu du pays. Un jour de juillet 1988, il déposa sa valise près de Vichy.
« C’est un ami avec lequel je jouais en Suisse qui nous a mis en contact. »
Après l’Argentine, le Portugal et la Suisse, la France devient le quatrième champ de bataille pour ce dynamiteur de raquettes. Un pays où la traque des géants s’apparente parfois à la chasse au dahu. Son passeport français lui vaut souvent d’être traité comme du bétail.
« On m’a parfois viré sans aucune raison valable. »
Adulé un jour, largué le lendemain, recherché le surlendemain. Ronnie Smith, Noir américain battant pavillon tricolore pour les batailles européennes, déguisé en homme vert pour les joutes hexagonales, est un garçon heureux. Il déguste encore ce contre meurtrier sur la dernière tentative à 3 points des Berlinois.
Pourtant, il n’aurait jamais dû être là.
« A 16 ans, j’ai arrêté le basket pour travailler. Je bossais comme manager dans un fast food, le Church’s Chicken. »
Le CV du kid de Galveston, une petite île du Texas dans le golfe du Mexique, n’a pas de quoi épater les lycées du coin. Que ce soit à la Central Middle School ou à la Ball High School, Ronnie est mécontent. Le temps de jeu offert par ses coaches ne lui convient pas.
« Je bossais autant que les autres mais je jouais moins… »
Le goût du travail est l’une des premières valeurs que les parents Smith inculquèrent à leurs cinq rejetons. Le foyer des Smith était un véritable havre de paix.
« Je n’ai pas grandi dans un milieu pauvre tout simplement parce qu’il y a toujours eu beaucoup d’amour dans notre famille. De 5 à 12 ans, nous avons tous fréquenté la même école privée catholique. »
Arrivé au terme de son apprentissage, Ronnie va enfin se lâcher en compagnie de ses potes, abonnés aux 400 coups dans l’école publique de Galveston. Le grand trip de la bande, c’est d’aller défier les caïds des playgrounds de la « Clutch City », Houston. S’il ne porte plus le maillot de son lycée, Ronnie reste un assidu du bitume. Grand timide aux faux airs d’intimidateur, il fait le modeste.
« Je n’ai jamais été un super joueur. J’aimais le calme et la discrétion. »
Le grand saut dans la pampa
Convaincu par un autre pote, David Dergin, Smith cède à une autre tentation. Celle de revêtir la tunique d’Anderson, un modeste junior college dans le Texas. Il fait son come-back à 18 ans ! La suite s’apparentera à un jubilé géant.
« Pour moi, le basket n’est pas un métier. C’est un jeu. Voilà pourquoi je n’ai jamais ressenti la pression sur un terrain. »
Deux saisons plus tard, alors qu’il est crédité d’une moyenne de 14 points, Ronnie débarque chez les Huskers (ramasseurs de maïs) de l’université de Nebraska. Pas vraiment la crèche idéale pour se faire un prénom chez les pros. Son cursus terminé, Ronnie reprend un boulot. Que pouvait-il espérer avec ses 2.7 points de moyenne lors de sa dernière année ?
« Au bout d’un an, un pote, Stan Claudy, m’a branché sur l’Argentine. »
Le grand saut dans la pampa est digne d’Indiana Jones. Ronnie atterrit à 3 heures de Buenos Aires.
« J’étais dans un bled paumé dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence. »
Il s’y pose pendant 13 mois avant de larguer les amarres. Direction la Suisse et Martigny (D2). Au pays du coffre-fort, Ronnie ne se soucie pas de faire sauter la banque des stats. L’adolescent qui aimait les maths a appris à ne plus calculer. Smith prend goût aux voyages. Le monde s’ouvre à lui et son cœur aux autres.
« Ma vie a complètement changé le jour où j’ai rencontré Sylvie, ma femme », explique-t-il.
Lui, l’inspecteur Columbo des raquettes, redevient un nounours docile. Sauf les jours de match. Miracle ? Non : comme toujours, cherchez la femme.
« Avant, je n’acceptais pas la moindre réflexion. J’étais impulsif, je démarrais au quart de tour. Ma rencontre avec Sylvie a tout changé. Grâce à elle, j’ai apprécié la douceur de vivre. Appris le respect des autres. Compris qu’on ne doit pas vivre au jour le jour. Elle m’a donné l’envie de fonder un foyer. »
Naturalisé français, il jouera 20 fois avec les Bleus
La France lance un « S.O.S. géant ». Ronnie répond à l’appel. Quand on évoque la sélection, son regard, doux comme une mélodie jazzy de Groover Washington ou Kenny G – ses deux musiciens préférés -, se fait sombre.
« Ce que les gens peuvent penser de moi, je m’en fous. En fait, je ne voulais pas être Français. J’étais un peu excédé par la suspicion qui pesait à une époque sur tous les Américains. C’est ma femme et ma mère qui m’ont convaincu. »
Ce passeport français n’est pas un gadget.
« Ce n’est pas parce que je suis Français que je dois rentrer sur le terrain comme on va à la plage. Je suis fier d’appartenir à ce groupe. A chaque match, je me dois d’apporter ce qu’on attend de moi. Pour l’instant, mon seul titre de gloire est d’avoir été champion de Pro B avec Besançon. »
Que ce soit sur les parquets européens ou en championnat de France, avec les Bleus ou avec la « Green Team », Ronnie Smith n’a plus qu’une obsession : gagner.
« Plus tu gagnes de matches, plus tu gagnes d’argent… », glissait-il, malin.
Au soir de sa retraite, en mai 2000, sa vitrine à trophées en disait assez long sur la question. A celui accroché à Besançon, il fallut ajouter deux Coupes de France et deux titres de champion de France de Pro A, glanés à Pau où Ronnie effectua les trois dernières années de sa carrière.
Rest in peace, Ronnie.
Palmarès
Champion de France : 1998, 1999
Quatrième de l’Euroleague 1997
Vainqueur de la Coupe de France : 1996, 97
Champion de France de Pro B : 1995
Champion de France de Nationale 2 : 1993
1 fois meilleur rebondeur français de Pro A
International A, 20 sélections