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ITW Christophe Vitoux (GM Villeneuve d’Ascq) : « Dans le basket féminin, plus on va loin et plus ça nous coûte »

Manager général de l’ESBVA, Christophe Vitoux nous décrit la situation dans son club avant d’aborder le Final Four de l’Euroleague au cours duquel il sera opposé en demi-finale à l’USK Prague, ce vendredi, à Mersin, en Turquie.

Kennedy Burke. © FIBA

Saviez-vous que Christophe Vitoux a été l’entraîneur de la SIG Strasbourg - on parle bien des garçons - qu’il l’a fait monter en Pro A en 99, qu’il fut nommé entraîneur de l’année en Pro B cette saison-là et qu’il récidiva en Pro A en 2000 ? Un fait unique. Le Denaisien fut également l’adjoint d’Alain Weisz en équipe de France pour 22 matches en 2001-2002.

Et pourtant, sa carrière de coach à haut niveau fut éphémère. Il compléta ses études avec une Maîtrise du droit et d’économie du sport à Limoges avant d’embrayer sur différents postes dans sa région : président délégué du club de volley de Tourcoing, le TLM, Directeur Général du Stade Couvert de Liévin, de la Pévèle Arena d’Orchies, et après avoir bifurqué par le club d’Orchies et celui de Denain, il remplaça Valentin Cavelier à Villeneuve d’Ascq comme manager général en juillet 2018. C’est ainsi l’un des rares transfuges du basket masculin pro au basket féminin. Lors de son arrivée, l’ESBVA parvint tout juste à se maintenir en Ligue Féminine. Depuis, le club nordiste a fait son chemin au point d’avoir terminé en tête la saison régulière 2023-24 de LFB et de se retrouver au Final Four de l’Euroleague. Une grande première.

Christophe Vitoux. © Théo Duhayon
 « Les gens se disent qu’il faut une Arena sur la métropole lilloise à moyen terme »

La candidature de l’ESBVA au Final Four a-t-elle donné un élan supérieur au basket dans la région ?

"Exactement. Ça fait plusieurs saisons que l’on est en constante progression notamment sur les trois dernières années où l’on fait second, premier ex-aequo, demi-finaliste de l’Eurocup l’année dernière face à l’ASVEL, et cette année avec la première place en championnat et la qualification au Final Four.

À un moment donné, on commence à être pris au sérieux, crédible auprès du public, des partenaires privés et des institutionnels. Ce dossier de candidature a été réfléchi. On a notre Palacium qui a été rénové, qui peut accueillir 2 300 personnes et qui est complet depuis dix-huit mois. On a eu jusqu’à 8 000 demandes pour le quart-de-finale d’Euroleague face au DVTK Miskolc, face à l’ASVEL et Bourges. On a aussi le grand stade de Lille qui peut accueillir 30 000 personnes mais le coût est très élevé et à l’époque, le LOSC pouvait hypothétiquement jouer aux mêmes dates pour un match de coupe d’Europe. Et ça s’est confirmé.

Orchies est à 25 minutes de Lille mais sans être sur le territoire de la MEL. La ville de Villeneuve d’Ascq et la Mel, qui sont avec le Conseil Régional des Hauts-de-France et le Conseil Départemental du Nord les collectivités qui nous soutiennent sans faille depuis quelques saisons, ont une réflexion à ce sujet, et on a eu la chance que le président de la Communauté de Communes, qui détient la Pévèle Arena d’Orchies, nous a sollicité et proposer gracieusement la mise à disposition de cette salle. Ça a tout déclenché. Il y a eu un dossier solide qui a été déposé... C’est Mersin qui a été retenu. A priori, ça faisait trois ans qu’ils déposaient des dossiers d’organisation de la phase finale…

Nous aussi, on déposera des dossiers sur les trois prochaines saisons ! (sourire) Mais ça veut dire qu’il y a eu un consensus pour nous accompagner. On sent bien que ce sera la condition sine qua non pour nous stabiliser et progresser dans le futur. Il faut savoir que dans le basket féminin, plus on va loin et plus ça nous coûte. Il n’y a pas de transferts, de prize money si on est champion ou autre. On se rend compte que se développer passe par la billetterie avec de grandes affluences. La réflexion de la construction d’une grande Arena comme dans toutes les grandes agglomérations françaises a été levée, les gens se disent qu’il faut une Arena sur la métropole lilloise à moyen terme.

Qui serait pour vous, pour le club lillois de Pro B masculine ?

Le Palacium a été rénové et convient parfaitement pour 80% des matches. C’est un vrai chaudron, il y a une ferveur populaire extraordinaire. Mais l’année dernière, à l’Astroballe, sur les phases finales, alors que nous on était sur une salle de 2 300, ils ont fait eux deux fois 7 000 personnes sans invitations. Forcément, la différence au niveau de l’économie se fait là-dessus. Si dans une année, on peut faire 4-5 matches dans une Arena de 8 à 10 000, ça serait extraordinaire pour pouvoir gonfler l’économie. Il faut voir l’impulsion que Tony Parker a pu donner sur le basket masculin et féminin, les gens viennent au spectacle à la LDLC Arena, et c’est à nous de faire la même chose avec le TLM en volley qui pourrait l’utiliser et un jour, espérons, un club de basket masculin aussi. Et également forcément d’autres évènements sportifs régionaux et des concerts. Cet équipement manque cruellement sur la Métropole car entre un stade de 30 000 et une salle de 2 300, il n’y a pas d’intermédiaire.

Y a-t-il un début de projet ?

Non, c’est une idée qui est maintenant dans la tête de tout le monde, une prise de conscience, et c’est l’héritage que les Jeux Olympiques peuvent nous donner. Après les JO, cette dynamique doit se poursuivre. Un campus olympique a été créé et va servir aux sportifs régionaux pour la suite, au niveau de l’hébergement, pour l’ensemble des clubs sportifs de la Métropole. Nous, on y mettra des joueuses du Centre de Formation. Et donc il y a cette réflexion qui doit aboutir à la création de cette Arena. La Région en a besoin pour plus tard. On se rend compte que l’économie du basket masculin et féminin va changer. Les collectivités sont au maximum de leur accompagnement. Au niveau des partenaires privés, on est au maximum de ce que la salle peut faire. Pareil pour le public. Pour progresser, il faut donc aller chercher une économie de billetterie.

Rachid Méziane. © FIBA
« On s’était tous mis à rêver d’organiser ce Final Four vingt-deux ans après le sacre de l’USVO à Liévin »

Est-ce que participer au Final Four de l’Euroleague s’avère rentable financièrement pour le club ?

Ça coûte forcément de l’argent, ne serait-ce que le déplacement pour la délégation à faire au dernier moment, les primes d’équipe, mais on a la chance que les collectivités aient pris conscience de la performance que l’on réalise à ce niveau-là depuis trois saisons. Quand on a obtenu la qualification au troisième match en quart-de-finale contre DVTK Miskolc dans une ambiance des plus hostiles, tout le monde a pris conscience de la performance. Il y a un vrai accompagnement, mais la saison d’Euroleague nous coûte.

Il n’y a pas de bonus de la part de la FIBA pour les demi-finales ou le champion d’Europe ?

Non.

Retrouve-t-on un engouement comparable à celui de Valenciennes quand l’USVO a été deux fois championne d’Europe ?

C’est exactement ça. Le club de Villeneuve d’Ascq a été longtemps une petite sœur de l’USVO et ça fait maintenant plus de 20 ans qu’il est en Ligue Féminine. On a des gens nostalgiques qui se retrouvent dans la communion entre le public et son équipe. Je suis originaire de Denain et j’ai vécu ces moments-là. J’étais à Strasbourg lorsqu’il y a eu la finale au Stade Couvert de Liévin (en 2002), j’ai suivi ça avec attention, et le coup du sort c’est qu’ensuite j’en ai été le directeur. C’est pour ça que l’on s’était tous mis à rêver d’organiser ce Final Four vingt-deux ans après le sacre de l’USVO à Liévin.

Entre les différents staffs, les VIP et les supporters, combien de gens allez-vous emmener en Turquie ?

On est une grosse quinzaine en commando à partir pour toute la semaine sur les bords de la Méditerranée, face à la Syrie. On y est déjà allé en décembre juste avant Noël pour s’imposer là-bas. On sera rejoint pour la demi-finale par une dizaine de personnes. La mairie va organiser des retransmissions gratuites au Palacium pour nos VIP et le grand public le 12, à partir de 12h30, prise d’antenne à 14h30 pour un match à 15h.

Shavonte Zellous. © FIBA
« Un autre élément essentiel, c’est Shavonte Zellous. Elle mériterait un article à elle toute seule »

Le coach Rachid Méziane a joué un rôle fondamental dans l’ascension de l’ESBVA ?

Il est arrivé en 2019 pour les playdowns et il y a eu depuis une progression constante. Une avancée de ce club vraiment remarquable avec le travail effectué par Rachid Méziane et Antonio De Barros (NDLR : l’assistant-coach). Il y a une grande maîtrise, on ne fait pas n’importe quoi.

Votre meilleure joueuse, Kennedy Burke, ne participera pas à l’ensemble des playoffs de Ligue Féminine avec l’ESBVA. Comment s’est effectué le deal avec elle ?

Kennedy Burke est une joueuse de classe mondiale et pour pouvoir la toucher économiquement, on a pris le pari il y a deux saisons, de lui dire : voici l’enveloppe que l’on peut allouer sur ce poste-là et on ne peut pas mettre plus car ça serait mettre le club en péril. Ça l’intéressait à une condition, qu’elle puisse partir si elle avait une proposition en WNBA. On lui a dit, « OK, mais à la condition de nous prévenir suffisamment tôt pour que l’on puisse prendre nos dispositions… ou ne pas les prendre. »

L’année dernière, on a fait une saison extraordinaire, Kennedy s’est plu dans le club et elle n’a pas souhaité lever l’option pour partir en WNBA alors qu’elle avait des propositions. Donc, pour nous c’était un pari gagnant. On a décidé de le retenter cette année, et après avoir été élue MVP la saison dernière, elle a brillé au niveau de l’Euroleague et elle a forcément attiré les convoitises de la WNBA. Elle a eu un contrat avec le New York Liberty qu’elle n’a pu refuser. Elle nous a prévenu suffisamment tôt. On s’est posé avec Rachid Méziane, Antonio De Barros et le président Carmelo Scarna, et on s’est dit que par respect vis-à-vis de nos joueuses, du staff, de nos partenaires privés et publics et de nos fans, on ne pouvait pas en terminant premier de la saison régulière et en essayant d’avoir l’avantage du terrain en finale, ne pas avoir une joueuse qui viendra compléter notre effectif.

On a donc décidé de signer une joueuse que l’on connaît très bien, Keisha Hampton, qui a déjà joué chez nous, qui l’année dernière a permis à Landerneau de se maintenir, et qui a permis à Bourges, il y a deux saisons, d’être champion de France et de gagner l’Eurocup. Keisha évolue à peu près dans le même registre que Kennedy, elle connaît bien le coach, la maison, et elle va permettre aux autres joueuses de jouer dans leur registre. On veut avoir le maximum de chances pour aller le plus loin possible (…). Un autre élément essentiel, c’est Shavonte Zellous. Elle mériterait un article à elle toute seule. C’est le facteur X. Elle a été championne WNBA et d’Euroleague. Elle a une expérience, une volonté, un professionnalisme, une exigence vis-à-vis d’elle-même, qui fait qu’elle tire tout le monde vers la performance. Sans elle, on ne serait pas allé au Final Four et pas question pour elle d’y aller pour faire des selfies et signer des autographes !

Le cas de Kennedy Burke, n’est-ce pas la preuve que la WNBA gangrène de plus en plus le basket international ?

Bien sûr. On ne va pas pouvoir lutter contre la WNBA et en même temps, il va falloir que l’on existe. Si leur championnat gagne un peu de terrain au printemps et va un peu plus loin à l’automne, on ne va pas réduire le nôtre et payer un tas de salariés sur le terrain ou administratif pour quatre mois d’activité. Il va falloir trouver des solutions, que l’on augmente le nombre de matches, et il faut ainsi vite passer à quatorze clubs pour que plus de jeunes joueuses françaises puissent jouer au plus haut niveau. Comme chez les garçons, il y a des joueuses qui vont partir en WNBA et des joueuses qui vont revenir. A nous d’être fort et ambitieux au niveau de notre championnat et de nos compétitions. Chez les garçons, il y a la Leaders Cup, qui est une super compétition et pourquoi pas ne pas remettre une compétition de cet ordre-là pour nous avec rapidement 14 clubs en LFB et en Ligue 2 ? On ne pourra pas lutter contre la WNBA donc à nous de rendre notre produit encore plus consistant.

Aminata Gueye. © FIBA
« Nos joueuses sont montées dans la hiérarchie du basket français et européen et elles sont très courtisées »

Existe-t-il une synergie entre l’ESBVA et le tournoi olympique de basket qui va se tenir pour la phase de groupe à Villeneuve d’Ascq ?

On a deux collectivités qui sont très impliquées sur les Jeux Olympiques. La ville de Villeneuve d’Ascq puisque le grand stade, la Décathlon Arena, va accueillir la phase finale du handball et la première partie du basket. Et le campus olympique a été construit sur le stadium Lille Métropole sur Villeneuve d’Ascq à cinquante mètres de notre salle. Le Palacium est retenu comme site d’entraînement. Il y a forcément une dynamique au niveau des écoles, de la population, de la jeunesse métropolitaine villeneuvoise. On intervient sur beaucoup d’opérations.

Le campus olympique sera mis ensuite à partir de septembre 2024 à disposition des jeunes sportifs de haut niveau de la métropole lilloise. Certaines joueuses de notre centre de formation vont donc intégrer ce campus, qui sera tout récent et performant. Et j’y reviens : on doit prolonger cette dynamique avec la construction d’une Arena, qui est déterminante pour le sport de haut niveau. Ce n’est pas parce qu’il y a des résultats dans certains clubs qu’il faut construire une Arena, c’est parce qu’on aura une Arena dans la métropole lilloise que l’on aura des résultats pour de nombreux clubs.

Yannick Le Borgne, qui a été le coach du club et ensuite son général manager est l’Event Manager sur le site olympique de Lille. Vous jouez vous-même un rôle dans l’organisation ?

C’est mon meilleur ami ! Il fait très bien son travail, on est forcément en contact permanent, mais je n’ai aucun rôle. Il a été aussi directeur sportif du club et c’est grâce à lui que je suis aujourd’hui GM. C’est un très grand fan de l’ESBVA et avec lui à la baguette, les Jeux Olympiques sur Lille vont se dérouler de main de maître.

Comment voyez-vous l’avenir de l’ESBVA à la suite de ce Final Four ?

Le paradoxe, c’est donc que performer en Euroleague, ça nous coûte et dans une volonté de maîtrise budgétaire, il va falloir que l’on continue cette démarche. Nos joueuses sont montées dans la hiérarchie du basket français et européen et elles sont très courtisées. L’erreur que l’on ne va pas faire serait de proposer des salaires qui mettraient le club en péril. On va faire des choses que l’on sait faire avec le respect que nos joueuses méritent avec l’accompagnement qu’elles méritent. On sait que certaines joueuses devraient nous quitter en fin de saison. C’est pour ça que l’on a anticipé et que nous aussi, on a démarché et on a une équipe très jeune en devenir. Des jeunes joueuses pourront éclore telle que Janelle Salaün l’a fait sous la houlette de Rachid Méziane. On en a déjà. Je pense à Maia Hirsch, à Aminata Gueye patronnée par la capitaine Caroline Hériaud qui nous permet de performer ces trois dernières années. A nous d’aller chercher de futurs talents pour renouveler et continuer d’être ambitieux. On annoncera ces signatures après la fin du championnat et quand les joueuses concernées auront fini dans leurs clubs.


L’ESBVA, 4e club français au Final Four

Bourges (1997, 98 et 2001) et Valenciennes (2002 et 2004) ont été sacrés champions d’Europe. Bourges a participé à 10 Final Four (1996, 97, 98, 2000, 01, 03, 07, 08, 13 et 14), Valenciennes 5 fois (1998, 2001, 02, 03 et 04) et Challes-les-Eaux a été le premier club français à s’inviter dans le carré d’as en 1993. C’est ainsi que Villeneuve d’Ascq est le quatrième club à se qualifier pour le Final Four après 10 ans de traversée du désert. On n’oublie pas le Clermont UC, 7 fois demi-finaliste de la C1 (de 1971 à 77) à une époque où les demi-finales et finales se jouaient par matches aller-retour.

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