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Français(es) de l'étranger - Lisa Berkani (Venise) : "La France était le meilleur championnat d'Europe avant"

Double championne de France en 2015 et 2016, Lisa Berkani s'est exilée en Belgique, au Mexique, puis en Italie, du côté de Venise. Après avoir atteint les finales du championnat deux années consécutives, l'internationale tricolore revient sur son expérience dans la Péninsule.

© Lisa Berkani

Basket Europe continue de s'intéresser aux Français(es) évoluant à l'étranger. Entretien avec l'arrière internationale Lisa Berkani (1,76 m, 28 ans, 18 sélections) qui nous raconte son expérience à l'étranger, plus particulièrement en Italie. Pour profiter de nos premiums en intégralité, abonnez-vous.

"Vous êtes passée par la Belgique, le Mexique, et maintenant l'Italie, le fait d'évoluer à l'étranger vous a-t-il toujours attirée ?
Oui, je voulais vraiment voir d'autres cultures. Je sais que baskettement parlant, en France, on est quand même très avancé et performant, que ça soit les filles ou les garçons mais j'avais vraiment envie de voir aussi autre chose pour l'expérience. Et aussi pour continuer de me développer parce que je suis quelqu'un qui aime vraiment apprendre et découvrir.

Pouvez-vous nous raconter votre année en Belgique, qui a été synonyme de découverte de l'Euroleague pour vous ?
J'ai vécu une belle expérience là-bas et comme vous l'avez dit, je voulais vraiment jouer l'Euroleague. C'est vrai que quand on part à l'étranger, c'est pour jouer une Coupe d'Europe et au final, on fait quand même une belle saison. Moi, je découvre l'Euroleague avec beaucoup de minutes, donc c'est vrai que je suis épanouie parce que je pense que n'importe quel joueur de basket veut passer du temps sur le terrain et pas sur le banc. Et surtout, je performe. Donc, ça m'a vraiment servi de tremplin parce que derrière, je me suis retrouvée avec beaucoup de propositions à droite à gauche. Ensuite, bien sûr, j'ai choisi Venise. Mais cette expérience m'a vraiment servi de tremplin et surtout, j'ai rencontré de très, très belles personnes baskettement et humainement parlant.

Lisa Berkani sous le maillot de Malines, en Belgique © FIBA

Comment est-ce que l'expérience que vous avez vécu au Mexique s'est présentée à vous et comment s'est-elle déroulée ?
En fait, je voulais aller en WNBA l'été. Je ne voulais pas aller au Mexique à la base, donc déjà, je suis un peu triste. Et ensuite, j'ai mon agent qui m'appelle pour me dire "Là, c'est les playoffs au Mexique et ils viennent de perdre une de leurs joueuses majeures dans une grosse équipe (Guadalajara), ils demandent si tu serais partante, tu peux y aller pour partir dans quelques jours." Du coup, j'y étais vraiment pour les phases finales. Donc, j'ai accepté directement parce que je trouvais ça cool. Surtout que le championnat, il est relevé là-bas. Il y a beaucoup de joueuses des training camps de WNBA qui au final n'y vont pas, mais vont jouer au Mexique. [...] J'ai été très surprise du niveau de jeu.

"À l'étranger, on est mieux payées qu'en France"

Après cela, vous êtes partie pour l'Italie, que connaissiez vous de ce championnat avant de signer à Venise ?
Je connaissais les grosses équipes, c'est-à-dire Venise, Bologne et Schio. Je savais que c'était trois équipes très réputées dans le basket européen aujourd'hui. Donc, c'est vrai que quand on m'a appelé et vendu ce projet, franchement, je n'ai pas hésité très longtemps. On m'a vendu le projet Euroleague, où j'allais pouvoir continuer de me développer, être sur le terrain et jouer avec mes qualités. Donc ça m'a vraiment tenté.

Le fait d'être une joueuse étrangère vous a-t-il attribué un statut particulier au sein du club ?
Eh bien, c'est ce que je pensais parce qu'en France, les étrangères, ce sont des reines. Du coup, je me suis dit, si on part à l'étranger, on va avoir ce statut-là. Et c'est vrai que 80% du temps, c'est le cas. Mais voilà, à Venise, c'était vraiment 50-50. Tu es étrangère, mais je trouve qu'ils ne te le font pas ressentir. On n'a pas plus passe-droits que les autres, ça ne change rien.

On sait que Venise est une ville assez particulière, c'est une destination très prisée par les touristes, comment est la vie là-bas en tant qu'athlète professionnelle ?
Je suis quelqu'un de très très basket. Je veux juste aller à la salle tout le temps, pour m'entraîner avant et après les entraînements, avant et après les matchs. Donc, la ville où je vis, honnêtement, je m'en fiche. Si le cadre est cool, super. Sinon, je suis vraiment très basket. Donc, Venise, c'est touristique pendant l'été, surtout entre le mois de juin et août. Mais moi, ma saison, c'est entre septembre et mai. Donc, à part sur les gros événements comme le carnaval, c'est plutôt tranquille. Mais après, voilà, honnêtement, je n'ai pas trop le temps. J'ai deux matchs par semaine. J'étais juste contente du soleil, parce que c'est agréable quand on regarde à travers la fenêtre et qu'il ne pleut pas.

Sur un aspect plus financier, est-on mieux lotie en jouant en Italie qu'en France ?
Oui. À l'étranger, on a plus d'argent qu'en France. Même si ça s'est très bien développé en France, et qu'on y est aussi très bien. Je pense qu'il y a peu de joueuses qui se plaignent, mais on est mieux payées à l'étranger, bien sûr.

Avez-vous dû apprendre l'italien depuis votre signature ?
Non, parce qu'en fait, on passe notre temps avec les joueuses, les gens du club, ou avec les garçons de la section masculine du club, tout le monde parle anglais. Donc, au final, l'italien, en fait, on ne l'entend pas tant que ça. On l'entend quand on va faire les courses dans le supermarché, mais sinon, on entend beaucoup l'anglais. Je n'ai pas eu de soucis de ce côté-là.

Que pouvez-vous nous dire sur la place du basket féminin en Italie ?
Ils sont quand même un peu en retard en Italie. Le basket féminin, il n'est pas tant développé que ça. Je l'ai ressenti déjà par le nombre de personnes présentes dans les gradins. C'est vrai que si ce n'est pas un match important, il n'y a pas forcément beaucoup de monde, même quand on va dans les autres gymnases, c'est quand même tristounet. Il n'y a pas forcément beaucoup de monde, par rapport à la France que j'ai connu depuis mon plus jeune âge. Donc, j'espère pour eux qu'ils vont continuer de se développer.

"Le championnat italien est en-dessous de celui du Mexique"

Quelle est la chose qui vous a le plus marquée sur le plan du basket à votre arrivée en Italie ?
Honnêtement, je m'attendais à un niveau plus élevé. Je trouve qu'il y a un fossé entre le haut du championnat et le bas. Je dirais que c'est ça qui m'a le plus marqué. Je ne m'attendais à ne pas gagner forcément des matchs quand tu joues contre les dernières ou les avant-dernières du classement. Tu te doutes que normalement, le niveau de l'équipe est moins élevé que la nôtre, mais pas que tu vas gagner de 30 ou 40 points dans le premier ou le deuxième quart-temps.

Par rapport aux autres championnats où vous avez évolué, où se situe le championnat d'Italie en termes de niveau ?
Le championnat italien est meilleur que le championnat belge. Ça, c'est une certitude. Comme je disais, souvent quand on va à l'étranger, on signe pour l'Eurocup ou l'Euroleague. Et du coup, les championnats nationaux, parfois, ils ne sont pas top. Par exemple, on va à Prague pour l'Euroleague, pas pour le championnat de République tchèque parce que c'est catastrophique. Donc, la Belgique, le niveau était vraiment faible. L'Italie est un peu au-dessus de la Belgique. Et le Mexique, c'est encore autre chose parce que ça ressemble beaucoup à la WNBA. Donc, les joueuses sont plus physiques. Il y a plus de 1 contre 1. Mais je mettrais quand même le Mexique au-dessus de l'Italie.

Donc, la France reste au-dessus des trois autres ?
Oui, je mettrais la France au-dessus des trois. Même si depuis deux ans maintenant, je dirais que le niveau du championnat français a chuté, d'un seul coup. Je le trouve plutôt faible par rapport à avant. C'était le meilleur championnat européen avant, plus aujourd'hui. En Turquie et en Espagne, c'est mieux. Il y a beaucoup de pays qui passent devant. Je trouve ça super triste, parce qu'on savait que ça allait arriver et que personne n'a rien fait.

Au niveau du style de jeu, sur quoi est-ce que le championnat italien s'axe-t-il ?
Ils ne sont pas vraiment bons quelque part. En France, on sait que c'est physique et que ça court beaucoup. [En Italie], je trouve qu'ils sont moyens dans le QI basket, moyens dans la course, moyens dans le shoot. Ils sont normaux partout. Ils maîtrisent tout, mais n'excellent nulle part.

Ça fait maintenant deux ans que vous êtes à Venise, quels rapports entretenez-vous avec les supporters du club ?
Je suis quelqu'un de très humain. Je choisis aussi mes clubs par rapport aux relations humaines. J'aime bien que ce soit un peu familial. Là, je pars de Venise, par exemple. Si j'y retourne, même pendant les vacances, je serai super heureuse et je m'arrêterai faire des bisous aux gens. Parce que ça s'est vraiment super bien passé avec les fans, avec les gens au sein de la structure du club, le président, le manager. Franchement, j'ai rencontré des belles personnes humainement et je suis très heureuse. Ça me fait beaucoup de souvenirs.

Quels objectifs vous avaient été présentés au moment de votre signature ?
Des objectifs qui n'ont pas été atteints. [rires] Non, en gros, c'est vrai que j'aurais bien aimé aller plus loin en Coupe d'Europe. On avait vraiment la possibilité et je pense qu'il y a beaucoup de regrets par rapport à ça. Mais après, individuellement, je n'ai maîtrisé que ce que je pouvais maîtriser. [...] Avec l'effectif qu'on avait, je vous garantis qu'on aurait pu faire mieux.

Lisa Berkani lors de la finale du championnat d'Italie cette année © LFBB

Malgré ce sentiment de déception qui règne, la saison dernière a tout de même dû être une satisfaction ?
Oui, surtout qu'on gagne 3-0 contre Schio en finale. Elles sortaient du Final Four de l'Euroleague. Donc oui, c'est vrai que sur la saison dernière, sur cette finale, je suis plutôt contente.

Considérez-vous ce titre comme le plus beau de votre carrière ?
Non c'est juste un titre en plus. Mon plus beau, je dirais que c'est le 3x3 (championnat du monde U18 en 2015), parce que j'étais jeune aussi. C'était fou parce que c'était le premier, et les émotions étaient multipliées par 1000.

Cette année, Venise a disputé l'Euroleague, qu'est-ce que cela vous a fait de retrouver la plus prestigieuse des compétitions européennes ?
J'étais contente. Surtout que la première saison, en fait, j'avais signé [à Venise] parce qu'il y avait l'Euroleague, mais il y a eu un problème (le club a disputé l'Eurocup). Je ne sais pas trop ce qui s'est passé, mais j'avais signé pour l'Euroleague. Donc, oui, j'étais contente. Ça m'a fait plaisir. Mais comme je dis, franchement, je suis triste de comment s'est passé cette saison. Je tourne la page et je suis prête pour les prochaines saisons.

Sur le plan personnel, qu'avez-vous pensé de votre deuxième saison à Venise ?
J'ai évolué sur énormément de choses et je suis super fière de ça. Mais après, baskettement parlant, si je dois faire un bilan de la saison, je suis triste individuellement, je ne rentrerai pas dans les détails. Pas de regrets, parce que ça ne dépendait pas de moi, mais triste.

Selon vous, qu'est-ce qui pousse de plus en plus de joueuses françaises à s'expatrier pour aller évoluer à l'étranger ?
Déjà, je pense que quand tu as comme objectif d'aller jouer au Mexique, en Australie ou en WNBA l'été, le championnat de France finit trop tard. Donc les clubs ne veulent pas te libérer, et c'est logique car quand on te signe, c'est pour aller jusqu'à la fin de la saison et remporter quelque chose. Mais du coup, tu ne peux pas avoir ces opportunités pendant l'été. Ensuite, je pense qu'on est un peu plus respectées à l'étranger parce que, comme je disais, tu as le rôle de l'étrangère. Donc, on le voit avec les étrangères qui viennent en France, elles ont un autre statut. Il y a aussi la recherche de ce statut-là.

Je pense qu'il y a aussi le fait de découvrir. On a vu au début c'est Valériane Ayayi qui est partie (à Prague). Ensuite, il y a deux ou trois autres filles qui ont suivi, moi aussi, je suis partie. Et en fait, c'est comme avec les jeunes qui sont parties aux États-Unis au départ, qui refusaient l'INSEP. C'est pareil. Il suffit qu'il y en ait quelques-unes qui partent et les autres suivent. Donc, je pense qu'il y a un peu un mélange de tout ça. Et surtout, avec les Françaises qui partent, les étrangères qui ne veulent plus venir pour les taxes et aussi la WNBA, en fait, le niveau [du championnat] chute d'un seul coup. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout la ligue d'avant. Ça n'a strictement rien à voir.

Qu'est-ce qui vous manque le plus par rapport à votre vie en France ?
Je dirais ma famille et mes amis. Parce que je pense que c'est la réponse que n'importe quel sportif peut donner. Je les avais au téléphone, mais je ne les voyais plus autant qu'avant.

Vous n'avez pas été appelée en équipe de France de 5x5 depuis 2022, à quoi attribuez-vous cette absence ?
Honnêtement, je n'en ai strictement aucune idée. Je ne sais pas du tout. Ça m'a beaucoup affecté au départ. C'est vrai que l'équipe de France, c'était un objectif pour moi depuis mon plus jeune âge. J'avais participé aux U16, U17, toutes les équipes de France jeunes. Mais aujourd'hui, je le vis mieux. Je me suis focalisée sur ce que je peux maîtriser. Et ça, je ne peux pas le maîtriser. Le plus important, c'est d'être épanouie. De performer en Euroleague, dans les meilleurs clubs, d'essayer d'être la meilleure possible.

Donc, vous n'avez pas eu d'informations de la part du staff ou du sélectionneur sur les raisons de cette absence ?
Non.

Est-ce un objectif de faire votre retour avec les Bleues du 5x5 pour la suite de votre carrière ?
Non, parce que quand je me mettais en objectif, ça m'affectait beaucoup. C'était dur au départ. Je ne veux plus me mettre en objectif. Si ça arrive, c'est super, je serai très heureuse. Et si ça n'arrive pas, j'ai d'autres objectifs. Je ne peux pas dépendre que de l'équipe de France, me mettre au fond du trou et être dans le mal à cause de ça. Maintenant que j'ai réussi à passer ce step, je reste sur cette ligne.

Vous disiez dans une interview pour la FFBB que cela vous était égal de jouer en 3x3 ou en 5x5 tant que vous représentiez la France...
Oui, je représente mon pays, 3x3, 5x5, pétanque, tout ce que vous voulez. [rires] Peu importe pour moi. Surtout que comme je dis, je suis amoureuse de ces sports. J'ai la chance de pouvoir être performante au 3x3 et au 5x5 et ce n'est pas donné à tout le monde. Donc, c'est cool.

Lisa Berkani avec les Bleues du 5x5 © FIBA

Sur la scène internationale, est-ce que le 3x3 a désormais remplacé le 5x5 dans votre esprit ?
Non plus, je ne veux pas me mettre d'objectif parce qu'ils ont changé le staff technique et les coachs au 3x3. On m'a appelé (en février), c'est bien, mais l'équipe de France, de 3x3 ou de 5x5, je la vis au jour le jour parce que je ne veux plus avoir de déception ou souffrance par rapport à ça.

Selon ce que vous disiez, on a cru comprendre que vous quittiez Venise d'ici la fin de saison, savez-vous dans quel club vous allez vous engager la saison prochaine ?
Non, pas du tout. Pour l'instant, je veux vraiment prendre mon temps et être sûre avec qui je signe, quelles joueuses, quel staff technique, pour pouvoir faire la meilleure saison possible et mettre toutes mes qualités en avant.

Savez-vous déjà si vous allez quitté le championnat italien ?
Oui, en Italie aujourd'hui, il n'y a plus Bologne qui a eu des problèmes financiers, donc il ne reste que Schio et Venise. Ce n'est pas beaucoup de choix, donc ça m'étonnerait que je reste en Italie. Après, on ne sait pas de quoi l'avenir est fait, mais ça fait quand même peu de chance.

Seriez vous prête à revenir en France ?
Ah oui, si le niveau remonte. Parce que le niveau du championnat de France est toujours convenable, mais quand tu as connu son vrai niveau, tu n'as pas envie de revenir et de voir ce que ça devient aujourd'hui. Mais, pourquoi pas revenir ? Je suis vraiment ouverte, il y a des clubs qui, franchement, m'intéresseraient. Mais voilà, j'aimerais bien qu'il y ait aussi d'autres étrangères qui reviennent, d'autres Françaises, qu'on retrouve le niveau d'avant en fait. Parce qu'on était le meilleur champion européen, je veux qu'on le redevienne, tout simplement. Surtout qu'on en a les capacités, c'est surtout ça. Mais si tout le monde continue de partir et qu'aucune étrangère ne veut venir, ça devient compliqué."

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