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Hommage: L’interview de Patrick Baumann, secrétaire-général de la Fédération Internationale: « Il y a autour de 125 millions de personnes qui jouent au moins une fois par mois au basket »

Ce week-end, le secrétaire-général de la Fédération International, Patrick Baumann est décédé à Buenos Aires d’une crise cardiaque, à l’âge de 51 ans. Nous l’avions rencontré à son bureau de Genève en décembre 2012. Nous reproduisons ici l’interview dans son entier. Il avait évoqué son propre parcou

Foto IPP/imago/Sauer nella foto Patrick Baumann segretario generale della FIBA Federazione internazionale di basket pallacanestro – WARNING AVAILABLE ONLY FOR ITALIAN MARKET Italy Photo Press –

Ce week-end, le secrétaire-général de la Fédération International, Patrick Baumann est décédé à Buenos Aires d’une crise cardiaque, à l’âge de 51 ans. Nous l’avions rencontré à son bureau de Genève en décembre 2012. Nous reproduisons ici l’interview dans son entier. Il avait évoqué son propre parcours, la place du basket dans le monde, en France, la révolution à venir avec les matches des équipes nationales en hiver, le problème des naturalisations bidon, le 3×3, les changements de règle, les rapports avec la NBA. Une rétro en forme d’hommage toujours d’actualité.

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Vous êtes Suisse, mais à y regarder de près votre cursus est international avec même un passage en France, à Lyon. Ce sont les circonstances ou le résultat d’une véritable envie ?

J’avais sept ans quand on m’a dit que l’on partait en Italie, donc c’est une circonstance. Ma famille était polyglotte, on parlait déjà le français, l’allemand et l’italien à la maison. Après aller faire un cursus à Lyon et puis à Chicago, c’était mon choix personnel, je voulais acquérir d’autres connaissances. A Lyon, c’était lié au programme du Memos qui existe toujours, un Master Européen en Management des Organisations Sportives. C’est le CIO, M. Samaranch, qui a poussé mon prédécesseur (le Serbe Borislav Stankovic) a lui envoyer un étudiant. J’ai terminé mes études de droit mais je n’ai jamais réussi à finir mes études économiques car je suis parti à la FIBA avant, mais cette partie économique je l’ai reprise en faisant un MBA à l’université de Chicago. Ensuite je me suis marié avec une Espagnole, comme ça j’ai aussi acquis cette langue. Et ainsi mes enfants parlent déjà quatre langues. D’un côté c’est une énorme richesse, de l’autre on se pose toujours la question « où est-on à la maison ? »

Quelle est la fréquence de vos voyages ?

Si vous ne faites pas lire l’article à ma femme, je vais vous donner le chiffre exact (rire). Il y a plus de deux cents jours de voyage dans une année. Avec le président (Yvan Mainini) on s’est partagé les continents. Parfois les compétitions se chevauchent, il y a dix compétitions en 6-8 semaines, vous ne pouvez pas être partout, or on a besoin d’être vu par nos membres. Par exemple, si tout va bien, on va en Afrique au moins une fois par an. Le 21, trois jours avant Noël, je serai à un comité de FIBA Asie en Malaisie. On a cinq antennes, cinq sièges sur des continents différents. L’Asie c’est à Kuala Lumpur et ils ont célébré leur 50e anniversaire il n’y a pas longtemps, comme FIBA Afrique installée entre Abidjan et Le Caire qui l’a fait cette année. FIBA Amériques c’est à Porto-Rico, et en Océanie c’est à une heure et demie de Sydney. Et donc l’Europe à Munich.

Quel distinguo doit-on faire entre le président et le secrétaire général ? Lui est élu alors que vous, vous êtes salarié ?

C’est correct. Le secrétaire général est nommé par le comité directeur, le bureau central, avec un contrat de travail. Dans mon cas précis, c’est un contrat à durée déterminée qui vient d’être renouvelé pour une échéance à 2022 (NDLR : le contrat avait été prolongé en juin dernier jusqu’en 2031). Il n’y a donc eu que trois secrétaires généraux (Renato William Jones et Borislav Stankovic) alors que pour les présidents il y a une rotation et une limite dans la durée, un mandat de quatre ans. Si le secrétaire général ne fait pas de bêtise, il reste en place et c’est un peu la pièce centrale. On peut être pour ou contre ce système mais ce n’est pas fondamentalement différent de ce qui existe dans toutes sortes d’autres sociétés avec un président du conseil d’administration et un directeur exécutif ou général. Dans les autres fédérations, on est davantage dans un système présidentiel, le président étant le PDG. Les textes de la FIBA sont assez clairs : le rôle exécutif par rapport aux décisions prises par le bureau central sont du ressort du secrétaire général qui doit les mettre en œuvre. C’est le bureau central qui commande et il est dirigé par le président. Après, c’est toujours une question de rapports humains, l’harmonie est nécessaire. Je suis toujours extrêmement honoré d’être dans cette position mais il est très utile d’avoir un président qui s’engage dans les affaires et qui participe à la création des dix prochaines années du basket. Avec le président Mainini on a de sacrés caractères, qui nous font de sacrées discussions à quatre yeux, mais une fois qu’on en sort on a des idées extrêmement claires de ce que l’on veut faire pour le basket. Il n’y a pas une question de primauté de l’un vis à vis de l’autre.

Combien de personnes sont-elles staffées ici à Genève et est-ce un personnel multi culturel ?

Une quarantaine. On a toutes sortes de nationalités, une quinzaine, et comme on est en Europe une prédominance européenne, mais pas plus de cinq ou six Suisses.

A l’Euro en Lituanie, on a constaté la multiplication de joueurs Américains –comme Bo McCalebb avec la Macédoine – qui sont littéralement achetés et viennent renforcer des sélections nationales, de l’Est notamment. La FIBA limite à un seul par équipe nationale le nombre de ces naturalisés, et auparavant un naturalisé devait patienter trois ans avant de pouvoir jouer avec son équipe nationale. Vous n’avez jamais été attaqué pour discrimination ?

C’est vrai qu’il y avait à une époque ce que l’on appelait la « période d’attente de trois ans » afin d’éviter les naturalisations hâtives ou faites pour une compétition précise. On a opté pour l’élimination de cette clause sous recommandation de juristes. Un joueur, aussi bien qu’il puisse être, ne peut pas vous faire gagner durant neuf matches de suite pendant deux semaines. A deux, ils peuvent vous faire 40-50 points et vous auriez un changement immédiat dans la hiérarchie du sport qui ne serait pas acceptable. Pour un petit pays comme celui que vous mentionnez, on peut comprendre ce choix. Un, la règle l’autorise, deux vous essayez d’aller avec lui au niveau suivant. La FYROM (le nom donné par la FIBA à la Macédoine) a profité des capacités de ce joueur, cela a provoqué de l’engouement. Par contre on peut questionner le choix de certains pays de plusieurs millions d’habitants de la nécessité d’utiliser cette règle. Chacun doit faire son examen de conscience. Est-ce bon de prendre un naturalisé ?

Les cas qui viennent à l’esprit son ceux de J.R. Holden et Becky Hammon, qui ne parlent pas la langue et dont l’attachement à la Russie est très suspect…

Ce n’est pas tout à fait l’esprit mais la règle est là, on ne peut pas trop se permettre de juger. Utiliser la règle est dans leur droit, mais je ne peux pas comprendre comment il ne peut pas y avoir de meneurs de jeu en Russie. Nous, en Suisse, on a eu des meneurs de jeu naturalisés mais on est un petit pays de sept millions d’habitants. La Russie, ils sont bien organisés, de bons entraineurs même si c’est l’ancienne école, ils ont le droit à un naturalisé, mais pour moi ce n’est pas la Russie… Bonne chance aux autres meneurs qui essayent d’aller dans l’équipe nationale russe !

« Nous avons eu un championnat d’Asie là-bas cet été qualificatif pour Londres que la Chine a gagné. Sur six rencontres des Chinois il y a eu une audience moyenne de 64 millions de téléspectateurs avec une pointe à 101 millions. »

Des chiffres de plusieurs centaines de millions de pratiquants circulent à propos du basket. Qu’en est-il réellement ?

(Il se lève et va chercher dans ses documents). On distingue entre ceux qui aiment le basket, ils sont 600 millions, ceux qui regardent les infos de basket au moins une fois par semaine, ils sont 200 millions, ceux qui le jouent au moins une fois par mois, c’est 125 millions, ceux qui sont licenciés à travers les fédérations nationales, c’est autour de 25 millions, et ceux qui sont des stars, et au total on avoisine donc le milliard. Ce sont des extrapolations à partir de statistiques sorties de recherches sur plusieurs marchés. Bien sûr on peut aimer le basket et d’autres sports. Ainsi en Allemagne le sport le plus apprécié chez les moins de 18 ans, c’est le basket.

Sait-on ce qu’il en est en Chine ?

On a la chance d’être le sport le plus populaire en Chine. Nous avons eu un championnat d’Asie là-bas cet été qualificatif pour Londres que la Chine a gagné. Sur six rencontres des Chinois il y a eu une audience moyenne de 64 millions de téléspectateurs avec une pointe à 101 millions. La passion pour le basket est extraordinaire alors que Yao Ming ne jouait pas, il était commentateur à la télévision. Les statistiques chinoises sont faites de manière un peu particulière du fait que dans les écoles tout le monde fait du basket, c’est une obligation, un plaisir aussi, ça fait partie du cursus du curriculum. Donc le chiffre est énorme. Quand on vous dit qu’il y a 250 millions de basketteurs en Chine cela inclus tous ses jeunes qui le jouent à l’école. Après c’est très difficile de dissocier ceux qui jouent dans des ligues. Il y a notamment une ligue universitaire qui comprend 3 000 universités. Une ligue gérée par la fédération, la CBA, qui comprend une 1ère division, 2e division, etc, comme chez vous la Pro A, la Pro B, avec des multi-millionnaires qui sont propriétaires des clubs ! Il existe une seconde ligue… Le système d’organisation est extrêmement complexe.  Il y a en dessous tout ce qui concerne les régions, comme chez vous les départements, mais ce sont des Etats en soi, ça va très vite dans les millions.

Le basket peut se positionner comme 2e sport au Monde derrière le foot ?

Si on prend la Chine, on est les premiers (rires). En Chine, le foot n’est pas au niveau du basket. C’est clair que le foot est à une autre dimension, mais comme sport global pratiqué dans le monde entier, on fait la paire avec le foot.

La Chine, c’est le nombre, mais depuis quelque temps on se rend compte qu’ils peuvent bénéficier de pas mal d’argent et faire venir des joueurs étrangers, notamment de NBA. Quand Yao Ming était candidat au All-Star Game on constatait qu’il arrivait toujours en tête des suffrages car il bénéficiait des votes de ses compatriotes. C’est un pays en plein essor ?

Quand la Chine joue on a aussi des pics à la télévision ou sur le site web. Quand les Chinois veulent quelque chose et s’y mettent, ils dépassent tout le monde et de loin. C’est vrai, il y a davantage d’argent, ils commencent à payer des droits TV correctement, ils engagent des joueurs étrangers, ils les payent ce qu’ils demandent ce qui n’était pas toujours le cas jusqu’à présent, ils commencent à y avoir des sponsors chinois qui s’intéressent au basket et la NBA étant sur place, elle en a pris quelques uns, il y a beaucoup de sociétés de production de matériel et d’équipement sportifs dédiés au basket. Il y a une bonne économie pour le basket. Ça été soutenu par des succès de l’équipe nationale avec les premiers joueurs qui sont allés en NBA, mais actuellement c’est le déclin. Ils ont réussi à se qualifier directement pour Londres mais la suprématie qu’ils ont eue ces dix dernières années en Asie s’affaiblit et ils risquent de la perdre. Il faudra voir si ça n’aura pas d’effet sur l’économie du basket et peut-être que cela va permettre à d’autres sports de reprendre du souffle car pour l’instant le basket tue à peu près tout, sinon les sports typiquement chinois, tennis de table, arts martiaux.

Ils ne parviennent pas à former leurs joueurs de haut niveau ?

Ils ont un énorme problème de détection de talents, de filtrage de la masse pour aller vers le haut. Deuxièmement ils manquent cruellement d’entraîneurs comme il faut. Et troisièmement le niveau de la ligue chinoise reste assez faible. Si le niveau des clubs n’est pas suffisamment bon, c’est difficile de bien former les joueurs. Il n’y a pas la relève derrière les Wang Zhizhi et Yao Ming. En plus les échanges avec l’étranger ne sont pas dans leurs cordes.

« Si l’on prend la moyenne de taille et de taille des mains des femmes, elles sont clairement différentes de celles de hommes. Donc on a pris la décision d’avoir un ballon plus petit –ça a pris je ne sais pas combien d’années à en discuter-, la logique voudrait que le panier soit baissé. »

Le basket international vient de changer la configuration de son terrain, la distance de sa ligne à 3-pts, un pas vers la NBA, mais celle-ci fait-elle vraiment des efforts pour unifier les règles ?

Le but n’est pas de savoir qui copie qui, mais de savoir où l’on va avec les changements. Si vous avez une locomotive, ce n’est qu’en allant le plus avant possible, ensemble, que vous allez développer le basket. Nos changements de règles n’ont pas été dictés d’une manière ou d’une autre par celles de la NBA, on a estimé que le moment était venu pour faire l’étape suivante à ce sujet. Les Etats-Unis ne dominent plus comme auparavant et j’ai hâte de voir les effets de nos changements de règle sur le terrain. Et je suis sûr que dans dix ans on fera encore un pas en avant dans les règles et qu’il n’y aura plus de différences. Déjà aujourd’hui, il y en a très peu, 50cm de ligne à 3-pts, oui, mais le reste c’est peanuts, que le joueur soit autorisé à demander lui-même un temps-mort en NBA et pas dans le jeu FIBA, c’est un détail… Nous ne sommes pas un sport où l’individu prévaut sur l’équipe, donc on a quand même encore une différence de philosophie et je ne pense pas qu’elle changera, mais à part cette manière d’interpréter le jeu, je pense que ça sera la même chose.

Pensez-vous que les règles seront unifiées pour les professionnels masculins ou pour tous les niveaux jusqu’aux amateurs ?

C’est un débat que l’on a au moins une fois par an quand on se réunit dans une commission particulière qui discute de ça la moitié de la réunion. Faut-il ou pas ? On a tranché régulièrement dans le sens qu’il faut un règlement de haut en bas. Il y a eu un débat solide pour savoir si le déplacement de la ligne à 3-pts devait se faire au dépend du jeu féminin, des jeunes. Au final on s’est dit qu’on ne peut pas avoir trois terrains, trois lignes, trois paniers différents. Le tir à 3-pts doit rester une exception. Quel sera le prochain changement ? On pense qu’à un moment le terrain risque de devenir un peu étroit.

Après le championnat du Monde vous avez évoqué la possibilité de baisser la hauteur du panier pour les filles afin de rendre le jeu plus spectaculaire. Où en est-on ?

Si l’on prend la moyenne de taille et de taille des mains des femmes, elles sont clairement différentes de celles de hommes. Donc on a pris la décision d’avoir un ballon plus petit –ça a pris je ne sais pas combien d’années à en discuter-, la logique voudrait que le panier soit baissé. C’est une idée qui m’a été utile pour provoquer le débat. On a énormément de discussions pour savoir comment promouvoir le basket des femmes. Mais soyons honnête, notre milieu n’est pas très chaud pour baisser la hauteur des paniers, et ce ne sont certainement pas les filles qui jouent au plus haut niveau et qui s’entraînent depuis des années, qui y sont favorables. Alors que regardez au volley, c’est tout à fait normal que le filet soit plus bas, au tennis que la raquette soit plus petite.

Il y aurait aussi des problèmes techniques colossaux à résoudre ?

Pour le haut niveau, non, les paniers ce sont des ascenseurs, vous pouvez les arrêter où vous voulez, au millimètre près. Par contre, c’est vrai, c’est impossible de mettre ça partout en pratique. Il faudrait changer les paniers dans le monde entier. Ce n’est pas une solution praticable mais ça nous a permis d’ouvrir le débat, d’avoir une conférence sur les femmes, de remettre en question les tenues, la pratique du basket par les femmes de culture musulmane… Notre position sur ce point, c’est qu’on ne changera pas.

« Un propriétaire de NBA va dire, « mon joueur a joué 80 matches, il doit encore aller s’entraîner, jouer une dizaine de matches officiels, autant de non officiels, il n’a pas de vacances, vous êtes en train de l’user au-delà de ce que je le paye, il risque de se blesser. » Il faut que l’on trouve une solution à chaque fois mais sur le fond on a une vraie divergence d’opinion. »

Il n’a été question que de business, de dollars pendant le lockout NBA, d’une bataille de chiffonniers entre millionnaires et milliardaires. Votre mentalité d’Européen n’a pas été choquée ?

On vient d’une structure qui est basée sur l’amateurisme, sur la vie associative volontaire. En NBA, ce n’est pas le cas, en plus ils ont tout le système scolaire qui leur fournit la matière première. J’ai été arbitre mais surtout volontaire dans un club, un jour officiel de table, le lendemain on s’entraînait, et après on arbitrait. Le basket international ne peut pas couper avec son histoire et sa base qui le rend fort. Sans ses fédérations nationales la fédération internationale n’est rien. La NBA, c’est un business. Et on sait qu’avec eux on a des discussions qui sont ramenées en permanence aux dollars. La discussion la plus difficile c’est la mise à disposition des joueurs pour l’équipe nationale car elle nous oppose. Le joueur a été formé dans un pays, dans mon esprit, il est tout à fait normal, dans la mesure où il le veut, qu’il est en forme, qu’il aille jouer pour son pays. Un propriétaire de NBA va dire, « mon joueur a joué 80 matches, il doit encore aller s’entraîner, jouer une dizaine de matches officiels, autant de non officiels, il n’a pas de vacances, vous êtes en train de l’user au-delà de ce que je le paye, il risque de se blesser. » Il faut que l’on trouve une solution à chaque fois mais sur le fond on a une vraie divergence d’opinion. Le reste c’est du business aussi pour nous. S’il prenne un joueur en Inde, par exemple, ça va développer le basket là-bas.

Avez-vous passé un contrat avec la NBA ?

Oui, il prévoit que les joueurs doivent être mis à disposition de leur équipe nationale dans la mesure où les compétitions ne se font pas pendant la saison NBA. La seule condition c’est que les joueurs doivent avoir une assurance adéquate. On sait que ce n’est pas aussi simple dans la réalité. On a eu le cas en Suisse de Thabo Sefolosha qui après sa première année en NBA n’est pas venu en sélection. Ils lui ont dit gentiment « il vaut mieux que tu t’entraînes. » On peut le comprendre, mais si le joueur ne vient jamais, je ne comprends plus. Cette pression existe aussi dans l’Europe des clubs sur ses joueurs.

Là, vous pouvez intervenir plus facilement ?

Je pense que les fédérations gèrent ces problèmes relativement bien en général. Il n’y a pas de clubs au Monde, ni en NBA ni ailleurs, qui puisse refuser à un joueur qui le veut d’aller jouer avec son équipe nationale. Il n’y a pas de papier ou de pression qui tienne. Après un été un joueur peut être fatigué et un autre été il peut être en position délicate vis à vis de son contrat, c’est normal… Mais pour revenir à la question d’avant : eux voient les joueurs comme de la matière première pour faire de l’argent alors que nous c’est un être humain qui a reçu une éducation, un entrainement ici, et c’est normal qu’il ait la volonté, l’orgueil, de jouer pour son équipe nationale, et aussi qu’il redonne quelque chose à son pays. L’effort que fait Dirk Nowitzki pour sa patrie est un exemple pour les autres. Mais vous ne pouvez pas non plus construire votre équipe nationale sur un joueur. Ce n’est pas bien pour lui ni pour la génération future. Nowitzki a dû faire 7 ou 8 étés de suite, à un moment il est fatigué, il va dire « merci, c’est terminé » et l’équipe nationale va décliner.

« Nous le milieu du basket, on est extrêmement fragmenté. Ça n’aide pas dans notre perception de l’extérieur même si le basket continue de grandir. »

Les saisons et pas seulement en NBA sont de plus longues, éprouvantes, et on a la sensation que chaque ligue, fédération, essaye de se positionner en poussant les autres. Jordi Bertomeu, le directeur de l’Euroleague, a déclaré dans El Mundo du 20 octobre 2011 que le format de l’Euroleague va changer (2 groupes de 8 donc 14 matches au lieu de 6) et ainsi que la compétition allait rogner sur celui des équipes nationales. Qu’en pensez-vous ?

C’est une question très importante pour le basket européen. Avoir une forte Euroleague est nécessaire, mais là où je ne partage pas leur avis c’est dans la recherche de quantité. C’est plutôt une fuite en avant. Il y a certains clubs qui estiment que les championnats nationaux n’ont pas leur raison d’être, ne sont plus porteurs, et que c’est plus facile de jouer le CSKA Moscou régulièrement. Le problème est plutôt au niveau des championnats nationaux qui ne sont pas suffisamment forts. Aujourd’hui c’est assez confus, on ne sait plus très bien qui joue, qui qualifie vers quoi, il y a des ligues régionales dont l’une qualifie pour l’Euroleague, il y a le Maccabi dans la ligue Adriatique, ça ne tient plus la route. Est-ce que trois compétitions de clubs c’est une bonne chose ? Il faut y réfléchir. Parfois il vaut mieux resserrer qu’élargir et que la qualité ne réside pas dans le nombre. Et là où on ne va pas être d’accord du tout c’est si ça se fait au dépend des équipes nationales, la situation pourrait être difficile comme il y a dix ans.

Avez-vous les moyens d’intervenir sur l’Euroleague qui est une entreprise privée…

… Dont les membres sont les clubs qui sont membres de nos fédérations. Il faut que la famille du basket européen se retrouve autour d’une table pour peindre les dix prochaines années du basket, et pour l’instant ça ne s’est pas fait d’une manière constructive et commune. Nous, on est en train de réviser le calendrier mondial de nos équipes nationales et ça aura un impact dans toute cette situation. Les compétitions des équipes nationales prennent de l’envergure, ça obtient de bonnes audiences, et ça permet de refinancer le basket. Alors que beaucoup de championnats nationaux qui ont été historiquement très forts sur les vingt dernières années sont en déclin assez sérieux. La crise économique accélère le processus et le basket ne peut pas être trop dépendant des cycles économiques.

Au basket, il y a les Jeux Olympiques qui restent l’épreuve principale, un championnat du Monde tous les quatre ans, un championnat d’Europe tous les deux ans, et un pré-olympique. N’est-ce pas beaucoup, trop ? Et paradoxalement, les meilleurs joueurs étant en NBA, les équipes nationales sont dans un long tunnel de septembre à l’été ?

Nous le milieu du basket, on est extrêmement fragmenté. Ça n’aide pas dans notre perception de l’extérieur même si le basket continue de grandir. Ce n’est pas évident de trouver une vraie voie commune, les intérêts des uns et des autres sont tellement différents. La NBA, c’est un pays, un chef, trente propriétaires, c’est très clair. Ici ce n’est pas clair. Une grande société a son siège ici à Genève. Un jour le directeur est en rendez-vous avec le président de la FFBB qui lui demande de faire un sponsoring, le lendemain c’est Jordi Bertomeu, le mercredi c’est moi qui y va, et le jeudi ça sera Heidi Ueberroth la présidence de NBA marketing. Le gars en face a son chéquier et il se dit « qu’est-ce que je fais ? » Chacun a le droit à son indépendance mais on ne s’aide pas beaucoup dans ce milieu, on ne donne pas une bonne image d’unité. Vous prenez ça et vous l’appliquez au calendrier, le résultat est le même. C’est très confus. Nous on a le tournoi pré-olympique. En Europe il y a le « tournoi de la dernière chance » deux semaines avant le championnat d’Europe pour qualifier une équipe. En Asie, il y a la Stankovic Cup qui qualifie aussi en partie pour le championnat d’Asie et pas uniquement. On est absolument maîtres à confondre les gens !

On parle d’un Euro uniquement tous les 4 ans, sachant que les joueurs NBA sont enclins à faire l’impasse sur celui qui ne qualifie pas pour les Jeux Olympiques, faut-il aussi maintenir le tournoi pré-olympique ?

Le tournoi pré-olympique a été organisé pour atténuer un peu l’esprit d’universalité des Jeux, pour améliorer la qualité du tournoi olympique, alors qu’avant on attribuait des quotas par continent. C’est vrai que ça permet aussi de positionner une compétition FIBA dans l’année olympique et de donner une exposition à nos partenaires. Ce n’est pas idéal de mille points de vue. On a beaucoup débattu de ce sujet ces derniers mois et lors de notre dernier comité directeur au bureau central début décembre à Madrid. Notre vision c’est que l’on a besoin d’alléger le calendrier, le clarifier et donner plus d’opportunités à nos fédérations nationales de pouvoir voir leurs équipes nationales à la maison. Si je résume, c’est de déplacer l’année du championnat du Monde de 2018 à 2019, les Jeux c’est en 2020, le championnat d’Europe en 2021, pas de compétition en 2022, probablement le championnat du Monde féminin, et puis en 2023 le championnat du Monde, en 2024 les JO, etc. Donc on fera un championnat continental et un championnat du Monde tous les quatre ans, et deux années de qualification pour le Mondial et l’Euro avec des rencontres à la maison dans la plus grande partie du Monde sauf là où logistiquement c’est un peu compliqué. La qualification pour les Jeux Olympiques se faisant à travers le championnat du Monde. Donc le pré-olympique et un championnat continental tombe aussi. Après il y a 25,000 détails… Il faut trouver des dates pour jouer. Dans notre esprit on a bloqué quatre fenêtres, février, juin, septembre et novembre, et on va réfléchir comment les utiliser. Il faut s’entendre avec les ligues et les clubs et trouver aussi une fenêtre où les joueurs NBA puissent jouer. Si tout va bien on prendra une décision en 2012.

Cela comblerait l’envie des fans de voir leur équipe nationale à domicile ?

Si vous faîtes des groupes de six, cela fait dix matches sur deux ans, régulièrement. Et ça c’est de la propriété de la fédération française, donc la possibilité de construire des partenariats de long terme avec la télévision. On a fait faire une étude économique et c’est très clair qu’avec ce système les fédérations nationales vont ressortir bénéficiaires. Après c’est à elles de mettre ça en musique pour que ce ne soit pas que de l’argent mais aussi un bénéfice d’image de marque, pour construire la prochaine génération de talents, impliquer les clubs. Les ligues nationales auront peut-être un trou d’une semaine ou deux mais la pression sur les joueurs sera moindre. En Afrique ce n’est pas évident de faire des matches aller-retour aussi peut-être faut-il envisager une étape intermédiaire.

« En France les statistiques disent que s’il y a 450,000 licenciés, il y a 1,5 million ou 2 millions de personnes qui jouent au basket. En Slovénie c’est 7 fois, en Allemagne 3,5 fois. »

Vous êtes membres du CIO, quelle est véritablement la place du basket aux Jeux Olympiques ?

On est dans les 3-4 premiers sports derrière l’athlétisme qui est le sport roi. Il y a la natation, la gymnastique et le basket. Ce sont les Américains qui financent en grande partie les Jeux Olympiques. Pour eux la natation et la gymnastique ont une grande valeur, le basket aussi mais ils ont déjà la NBA… Par contre pour la NBA c’est un événement très important. A Pékin, on était à égalité avec la natation en terme d’audience et même meilleur sur certains matches. On se bagarre avec la fédération de natation pour dire qui est le meilleur (rires). On est clairement le sport d’équipes le plus important. Le foot joue aux JO avec des joueurs plus jeunes… On a d’ailleurs posé la question à nos fédérations pour savoir si elles voulaient aller dans cette même direction compte tenu des problèmes de calendrier dont on parlait, c’est non. Pour revenir au foot, alors que nous on joue dans des salles de 12/20,000 spectateurs, eux c’est dans des stades de 80,000. Pour un comité d’organisation c’est beaucoup de billets vendus pour financer les Jeux. A cause de cette importance économique pour les organisateurs ça reste un sport majeur aux JO, pas en terme de qualité de joueurs ou de jeu. Pour nous, c’est un peu un casse-tête chinois car du fait que le basket est un sport mondial, douze équipes ça ne nous satisfait pas. C’est aussi dans ce sens que l’on veut réorganiser les priorités après les Jeux de Rio. Les joueurs choisissent un peu les compétitions qu’ils veulent jouer, s’il y a une qualification olympique au bout, j’y vais… Alors que pour une qualification pour un championnat du Monde à 24, il estime que l’on peut y arriver sans lui, ou alors c’est carrément moins important pour lui. Avec l’option d’effectuer les qualifications pour les Jeux à travers le championnat du Monde, c’est une manière de faire de cette compétition la clé du système. On a besoin de développer le championnat du Monde pour agrandir le gâteau pour tout le monde.

Est-ce possible d’obtenir davantage que 12 places ?

On continuera à se bagarrer pour en avoir davantage. En 2013, pour les Jeux de Rio de 2016, on posera deux requêtes sur la table du CIO, avoir 16 équipes et introduire le 3×3.

Il y a une vingtaine d’années lorsque le phénomène 3×3 est arrivé en France, la fédération était un peu décontenancée. Aujourd’hui cela fait partie des préoccupations prioritaires de la FIBA ?

C’est du basket mais ce n’est pas une préoccupation majeure. Seulement pour revenir à ce dont on parlait toute à l’heure, on sait que le 3×3 concerne un multiple de ceux qui sont licenciés. En France les statistiques disent que s’il y a 450,000 licenciés, il y a 1,5 million ou 2 millions de personnes qui jouent au basket. En Slovénie c’est 7 fois, en Allemagne 3,5 fois. Même si le multiple n’est que de 2, il y a une masse de gens qui jouent en dehors de nous au basket et on veut les intégrer dans notre système de la manière la plus libre qui soit, pour qu’ils jouent quand, où et avec qui ils le veulent. Aujourd’hui il existe des organisateurs de 3×3 dans chaque pays, des municipalités, des écoles, des universités, des privés comme le Quai 54 à Paris, des sociétés comme Adidas ou Reebok. On n’a pas l’habitude de travailler avec des gens comme ça, c’est un vrai défi. Il faut le réussir si on veut se moderniser et comprendre que la famille du basket est large.

C’est un phénomène mondial ?

Partout. Kentucky Fried Chicken est le plus grand organisateur de tournoi 3×3 en Chine, ce sont des milliers d’équipes qui jouent. On joue des 3×3 dans les favelas à Rio-de-Janeiro. Nene joue là-bas. En Tunisie c’est une société de télécom qui organise un tournoi. Le basket reste un message porteur, les sociétés l’utilisent pour aller directement à leurs clients, c’est une relation commerciale. Et pour des pays en développement c’est beaucoup plus facile d’organiser du 3×3 que du 5×5. On a organisé un championnat du Monde à Rimini en huit semaines, on a voulu faire un test. On voulait inviter 24 ou 32 équipes, on a terminé à 56 équipes de 40 pays du monde entier. Il y avait le Népal, le Sri Lanka, Guam… Avec cinq billets d’avion on peut aller à un championnat du Monde même si on est un petit pays. C’est la Nouvelle-Zélande, qui n’a jamais la chance de jouer dans les championnats du Monde de jeunes, qui a gagné le tournoi (NDLR : cinq ans après cette interview, le 3×3 est devenu sport olympique).

Déjà paru dans BasketNews en janvier 2013

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Vous êtes Suisse, mais à y regarder de près votre cursus est international avec même un passage en France, à Lyon. Ce sont les circonstances ou le résultat d’une véritable envie ?

J’avais sept ans quand on m’a dit que l’on partait en Italie, donc c’est une circonstance. Ma famille était polyglotte, on parlait déjà le français, l’allemand et l’italien à la maison. Après aller faire un cursus à Lyon et puis à Chicago, c’était mon choix personnel, je voulais acquérir d’autres connaissances. A Lyon, c’était lié au programme du Memos qui existe toujours, un Master Européen en Management des Organisations Sportives. C’est le CIO, M. Samaranch, qui a poussé mon prédécesseur (le Serbe Borislav Stankovic) a lui envoyer un étudiant. J’ai terminé mes études de droit mais je n’ai jamais réussi à finir mes études économiques car je suis parti à la FIBA avant, mais cette partie économique je l’ai reprise en faisant un MBA à l’université de Chicago. Ensuite je me suis marié avec une Espagnole, comme ça j’ai aussi acquis cette langue. Et ainsi mes enfants parlent déjà quatre langues. D’un côté c’est une énorme richesse, de l’autre on se pose toujours la question « où est-on à la maison ? »

Quelle est la fréquence de vos voyages ?

Si vous ne faites pas lire l’article à ma femme, je vais vous donner le chiffre exact (rire). Il y a plus de deux cents jours de voyage dans une année. Avec le président (Yvan Mainini) on s’est partagé les continents. Parfois les compétitions se chevauchent, il y a dix compétitions en 6-8 semaines, vous ne pouvez pas être partout, or on a besoin d’être vu par nos membres. Par exemple, si tout va bien, on va en Afrique au moins une fois par an. Le 21, trois jours avant Noël, je serai à un comité de FIBA Asie en Malaisie. On a cinq antennes, cinq sièges sur des continents différents. L’Asie c’est à Kuala Lumpur et ils ont célébré leur 50e anniversaire il n’y a pas longtemps, comme FIBA Afrique installée entre Abidjan et Le Caire qui l’a fait cette année. FIBA Amériques c’est à Porto-Rico, et en Océanie c’est à une heure et demie de Sydney. Et donc l’Europe à Munich.

Quel distinguo doit-on faire entre le président et le secrétaire général ? Lui est élu alors que vous, vous êtes salarié ?

C’est correct. Le secrétaire général est nommé par le comité directeur, le bureau central, avec un contrat de travail. Dans mon cas précis, c’est un contrat à durée déterminée qui vient d’être renouvelé pour une échéance à 2022 (NDLR : le contrat avait été prolongé en juin dernier jusqu’en 2031). Il n’y a donc eu que trois secrétaires généraux (Renato William Jones et Borislav Stankovic) alors que pour les présidents il y a une rotation et une limite dans la durée, un mandat de quatre ans. Si le secrétaire général ne fait pas de bêtise, il reste en place et c’est un peu la pièce centrale. On peut être pour ou contre ce système mais ce n’est pas fondamentalement différent de ce qui existe dans toutes sortes d’autres sociétés avec un président du conseil d’administration et un directeur exécutif ou général. Dans les autres fédérations, on est davantage dans un système présidentiel, le président étant le PDG. Les textes de la FIBA sont assez clairs : le rôle exécutif par rapport aux décisions prises par le bureau central sont du ressort du secrétaire général qui doit les mettre en œuvre. C’est le bureau central qui commande et il est dirigé par le président. Après, c’est toujours une question de rapports humains, l’harmonie est nécessaire. Je suis toujours extrêmement honoré d’être dans cette position mais il est très utile d’avoir un président qui s’engage dans les affaires et qui participe à la création des dix prochaines années du basket.

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Photos: supporter chinois, Marine Johannès, Rudy Gobert, Patrick Baumann avec Jordi Bertomeu (FIBA)

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