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Pedja Materic : « Beobasket est largement la première agence au nombre de joueurs en Euroleague »

Ce Franco-Serbe polyglotte est le vice-président de Beobasket, l’agence numéro 1 en Europe. De Joffrey Lauvergne à Thomas Heurtel, en passant par Edwin Jackson et Timothé Luwawu, son portefeuille de joueurs français est extrêmement bien garni.

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Ce Franco-Serbe polyglotte est le vice-président de Beobasket, l’agence numéro 1 en Europe. De Joffrey Lauvergne à Thomas Heurtel, en passant par Edwin Jackson et Timothé Luwawu, son portefeuille de joueurs français est extrêmement bien garni.

Votre père était metteur en scène de théâtre et votre famille a fui la guerre en Yougoslavie. C’est ainsi que vous vous êtes retrouvés à Toulouse ?

Pas vraiment fui la guerre. Ça s’est produit comme ça vis à vis du calendrier. Evidemment mon père avait compris que la situation se dégradait, mais en fait on était déjà parti deux ans auparavant de Sarajevo et mon père avait déjà des offres pour être directeur d’un théâtre à Londres. On s’est donc retrouvé à Toulouse et mes parents y habitent toujours.

Vous avez pris ensuite une licence à Limoges en cadets ?

Je m’entraînais avec le Bosna Sarajevo, un club qui a été champion d’Europe en 1979 et qui a une bonne école pour les jeunes. Ensuite je suis parti avec mes parents à Belgrade et j’ai joué au Partizan. L’actuel coach principal du Partizan, Aleksandar Dzikic, était mon entraîneur en minimes, mais on n’est resté que quelques mois. A Toulouse, on a su que Bozidar Maljkovic était le coach de Limoges et que Bata Djordjevic, le père de Sacha, était le coach des espoirs. C’est comme ça que je me suis retrouvé au lycée à Limoges et j’ai intégré le club.

Et aujourd’hui Bozidar Maljkovic fait partie des coaches du portefeuille de Beobasket ?

C’est ça et aussi sa fille Marina. Je l’ai connue quand elle était petite à Limoges et j’étais avec son frère avec qui je suis proche en Première et Terminale.

« Le plus important dans la vie après le basket, c’est oublier que l’on a été joueur »

Après Limoges, une saison au Havre

Vous avez obtenu un passeport français, porté des maillots de clubs prestigieux comme Milan, l’Aris Salonique, le Partizan mais vous n’avez joué qu’une saison en Pro A, au Havre (2000-01)?

Exact. Michel Gomez était le coach. Il y avait Manu Sousa, Emmanuel Lorenz, Marcus Gore comme rookie. En fait, je n’ai pas eu trop d’offres de France et j’ai signé au Partizan Belgrade en Euroleague ! J’ai fait une carrière de joueur correcte, sans plus. J’ai pu identifier les erreurs que j’ai fait comme joueur. Le plus important dans la vie après le basket, c’est oublier que l’on a été joueur. Ça ne sert à rien de répéter toujours « ah ! Nous, on a battu Barcelone… Ah ! Nous… » On oublie. On oublie même qui était Arvidas Sabonis. Je suis allé à Madrid pour voir Joffrey (Lauvergne) avec Oklahoma. Bien sûr les gens le regardaient car il fait 2,20m mais tout le monde ne le reconnaissait pas. Le temps passe. C’est très difficile pour un basketteur –et j’en fais partie- quand il arrête de changer sa façon de penser. Quand on joue, on nous donne des fiches, quoi faire, comment se reposer, quel entraînement, tout ça. C’est assez particulier comme style de vie. Il faut oublier tout ça.

Etes-vous devenu agent dès la fin de votre carrière ?

Tout de suite. J’ai arrêté ma carrière assez tôt, à 28 ans. Premièrement parce qu’elle ne se développait pas comme je le voulais et surtout j’ai commencé assez tôt à me projeter dans le futur. Misko Raznatovic (NDLR : le fondateur et président de Beobasket) était devenu mon agent quand j’ai signé au Partizan. Lui aussi en 2004 se projetait dans l’avenir pour Beobasket. Le plan était clair, c’était d’augmenter le niveau, le volume, le prestige de Beobasket en ciblant des marchés comme la France et aussi les USA.

« Si on s’était installé aux Etats-Unis, je crois que nos clients en Europe auraient souffert »

40 joueurs en Euroleague

Aujourd’hui, Beobasket est-elle la première agence européenne, en terme de joueurs, de chiffres d’affaires ?

C’est difficile de mesurer car il n’y a pas de paramètres définis mais par exemple, depuis dix ou onze ans, Beobasket est largement la première agence au nombre de joueurs en Euroleague. Quarante cette année. Quand il y avait deux équipes françaises, on était tous les agents français confondus fois cinq. En NBA aujourd’hui on représente neuf joueurs, sans compter Livio (Jean-Charles), qui s’est fait couper mais qui a un contrat garanti, et Axel Toupane qui a de bonnes chances d’y retourner. Je pense que personne ne fait mieux en Europe que neuf joueurs et pour une agence américaine, c’est un bon chiffre. En NBA, il y a quatre ou cinq très grosses boîtes qui ont quarante joueurs ou quelque chose comme ça, CAA, Wasserman, Excel* avec qui on est partenaire depuis douze ans. C’est elle qui représente Kevin Love, Paul Pierce, etc. On a cherché à avoir un partenaire qui soit un Beobasket américain.

Combien de représentants de l’agence avez-vous et dans quels pays ?

Moi, je suis vice-président derrière Misko qui est président. On a six, huit agents qui ont été engagés au fur et à mesure dans différents pays et dans d’autres, on utilise un agent local. Pour toute l’Euroleague on s’en occupe directement. L’important surtout ce n’est pas de couvrir, tout le monde peut le faire, mais de bien couvrir selon les standards de Beobasket. En Espagne, on a fait un partenariat avec le meilleur agent espagnol de la même manière qu’on l’a fait aux Etats-Unis. Ce n’était pas possible de tout faire nous-mêmes aux Etats-Unis car c’est un énorme continent, il y a un décalage horaire de six à neuf heures. Donc soit il fallait déménager aux Etats-Unis comme Bouna Ndiaye (directeur de Comsport installé à Dallas) a fait soit s’engager avec quelqu’un de très bon. Si on s’était installé aux Etats-Unis je crois que nos clients en Europe auraient souffert. Dans notre configuration actuelle on conserve beaucoup de joueurs en Europe tout en étant assuré d’avoir la meilleure présence en NBA.

En NBA et en Europe la concurrence entre agents est-elle sauvage, à coup de surenchères, de coups tordus ?

Oui et en NBA beaucoup plus qu’en Europe mais je sais que plusieurs de mes concurrents ont dit à des joueurs que les Serbes sont des racistes, « que vas-tu faire là-bas ? », des trucs un peu dégueulasses. Quand l’équipe de France est venue à Belgrade, il y a en qui ont dit « ne sortez pas, vous allez vous faire enlever, tomber dans un guet-apens ». C’est plus un signe de faiblesse de dire ça et je pense que personne n’a écouté ces consignes là.

« Tous les Américains actuels de Limoges sont deux fois moins chers que ceux qui lui ont permis d’être champion de France »

La Pro A, un bon championnat

Pour vous que vaut la Pro A ?

C’est le championnat le plus difficile en Europe dans le sens que chaque soir n’importe qui peut battre n’importe qui. Il y a des favoris comme Monaco, l’ASVEL, Nanterre, Le Mans mais ce n’est pas comme en Turquie où il y a quatre équipes où en Russie où le CSKA et Khimki sont certains de gagner contre les équipes de deuxième partie de tableau. La Pro A est un championnat très physique, très particulier où on ne peut pas se reposer un week-end et quand on joue l’Europe c’est encore plus compliqué. Peut-être que pour les jeunes c’est plus difficile de jouer dans un championnat ultra physique car il faut un peu de temps pour qu’ils mûrissent. Il faudrait les faire jouer plus au lieu de faire jouer les Américains. J’ai de bonnes relations avec Pau mais je dois dire que lorsqu’ils se sont retrouvés lors des six dernières journées en situation de ne pas jouer les playoffs ni de descendre (NDLR : saison 2014-15) ils auraient dû faire jouer Alpha Kaba et peut-être Léo Cavalière qui auraient été là l’année suivante. Ils ont préféré faire jouer leurs Américains, ce n’est pas possible ! C’est ça qui est parfois incompréhensible.

Il y a très peu de joueurs des pays de l’ex-Yougoslavie en Pro A. Est-ce une question de moyens financiers ou de choix de coaches ?

Ceux qui peuvent jouer avec succès dans ce style de jeu sont trop chers pour la Pro A. Et ceux qui rentrent dans l’assiette des clubs de Pro A ne sont pas soit assez bons soit assez adaptés à ce style de jeu particulier, athlétique, rapide, explosif. Ça ne me surprend pas et c’est quelque chose que l’on va continuer de voir dans le futur.

C’est pourquoi à Limoges où le coach est serbe, Vule Vujosevic, il n’y a qu’un seul joueur slovène, Klemen Prepelic, et pas de Serbes ?

Exact. Limoges avait, il me semble, 90 000€ par poste pour les étrangers. Avec cette somme là, c’est toujours beaucoup plus facile pour un club, pour un coach, de trouver des joueurs avec un background américain.

Toujours à propos de Limoges : Vule Vujosevic, qui est chez vous, ne parle que serbo croate. N’est-ce pas l’une des raisons majeures de ses difficultés à s’imposer en Pro A ?

Non, je ne pense pas. Après les deux titres de champion, il y a une sorte de changement de génération. Là il y a eu les départs de Léo Westermann, Ali Traoré, Nobel Boungou-colo. Le club n’avait tout simplement pas les mêmes moyens financiers de recrutement. Tous les Américains actuels sont deux fois moins chers que ceux qui lui ont permis d’être champion de France. Pour moi le club vit là une sorte d’année de transition.

« Monaco s’est armé avec des mecs physiques, denses, qui mettent beaucoup d’intensité et c’est une sorte de rouleau compresseur »

Monaco, c’est solide

Tout le monde loue le jeu proposé par Monaco, sa solidité, et son coach Zvezdan Mitrovic. Il n’est pas dans votre agence mais pouvez vous donnez votre avis ? Qu’a t’il en plus ?

Je vais quasiment à tous les matches à la maison de Monaco. Je le connais bien, c’est un type très bien qui a aussi su s’adapter. Il a été champion de Pro B et puis l’année dernière il a fait sa première année en Pro A où déjà ça s’est bien passé. Avec le propriétaire et le manager général, je crois qu’ils ont été très malins cette année dans le choix de l’effectif. La défaite contre l’ASVEL en demi-finales des playoffs l’année dernière les a convaincus du style de joueurs dont ils avaient besoin car l’ASVEL les avait étouffés physiquement, par des Charles Kahudi, Livio Jean-Charles, David Lighty, Darryl Watkins. Jouer les playoffs ce n’est pas la même chose que lorsque tu joues à chaque fois contre une équipe différente chaque week-end. Tu joues trois, quatre ou cinq matches l’un contre l’autre et ça se décide sur la présence physique, la dureté, le mental. Je parle en tant qu’observateur fan de basket : Monaco s’est armé avec des mecs physiques, denses, qui mettent beaucoup d’intensité et c’est une sorte de rouleau compresseur.

Avec un coach serbe et un general manager ukrainien, Monaco a t-il une connaissance supérieure du marché international ?

Je pense que leur budget, tout comme pour l’ASVEL, Strasbourg, Le Mans leur donne accès à davantage d’opportunités de joueurs qui jouent l’Europe. Monaco a certainement fait un très bon scouting mais c’est aussi le cas de l’ASVEL, du Mans avec Vincent Loriot qui est très malin, très investi dans le scouting en Europe. D’ailleurs à propos de Timothé Luwawu, quand il était en Pro B, à part Antibes qui voulait le prolonger, il n’y a qu’un club français qui m’a sollicité, c’est Le Mans et Vincent Loriot. Il voulait Luwawu ou Lahaou Konate qui est aussi une très belle signature. En ce qui concerne le general manager ukrainien de Monaco, il a appris à connaître les joueurs et le marché et il a été très malin d’engager Bangaly Fofana, Jordan Aboudou, Zach Wright, comme avant Yakuba Ouattara. Mais tout est volatile, on n’est pas encore en juin. Le fait que Monaco attire de bons joueurs, propose un bon jeu, ça donne de la valeur au championnat. J’ai vu Toulon-Monaco et ça jouait bien, je pense que Toulon va surprendre plus d’une équipe (NDLR : l’interview a eu lieu avant que le HTV s’impose face au Mans, 76-60).

La Pro A n’est-elle pas méprisée en Europe par des grandes ligues comme l’espagnole ou la turque ?

Je ne pense pas. Tout le monde a compris qu’il y a beaucoup de talents, du côté des joueurs français mais aussi américains. Avant il y avait pas mal de rookies dans le championnat de France, le niveau a augmenté et aujourd’hui il y en a très peu. C’est plutôt un championnat où passent des joueurs de deuxième ou troisième année et certains font ensuite des cartons en Euroleague et même en NBA. Evidemment c’est presque impossible de jouer en Euroleague quand on a des budgets de 5, 6, 7 millions et d’aller au top-16.

*D’après le site Draft Express, Wasserman Media Group est l’agence numéro 1 en NBA avec 1 063 375 234$ de salaires garantis devant Creative Artists Agency 1 021 329 284$ et Excel Sports Management (959 342 143$). Comsport de Bouna Diaye est classée 27e (41 107 498$) et Beobasket 33e (25 621 317). Six agences possèdent 40 joueurs ou plus dans leur portefeuille.

La suite de l’interview

Peja Materic et la NBA est à lire sur BasketUSA

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