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Dossier Le Mans – Episode #3 – Keith Jennings, un géant de 1,70m

La saison dernière avec Giordan Watson. Le little big man américain (1,70m pour 72 kg) dû lutter toute sa jeunesse pour se faire accepter dans l’univers du basket. Il finit par décrocher une place en NBA avant de régaler la Pro A sous le maillot du Mans.

La saison dernière avec Giordan Watson.

Le little big man américain (1,70m pour 72 kg) dû lutter toute sa jeunesse pour se faire accepter dans l’univers du basket. Il finit par décrocher une place en NBA avant de régaler la Pro A sous le maillot du Mans.

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Il y a au Mans une tradition de meneurs américains d’exception, née avec la venue de Lloyd King, sacré MVP du championnat en 1974, jusqu’à Ty McKee, le roi des percées dans la peinture. Si Shawnta « Nut » Rogers a marqué par sa petitesse en taille (1,61m) et sa grandeur en talent, Hollis Price par ses gestes fluides et Taylor Rochestie par sa main gauche destructrice, la palme d’or revient à Keith Jennings pour sa saison 1998-99, l’une des plus fantastiques accomplies par un basketteur sur le territoire national.

En octobre 2013, l’Américain est revenu au Mans pour voir son maillot grimper au plafond d’Antarès et le président Christophe Le Bouille précisa que « son arrivée a coïncidé avec le renouveau du club. » Renouveau sportif, impulsé par le coach Alain Weisz, et renouveau populaire avec Antares aux trois-quarts plein. Vision éternellement gravée dans les mémoires sarthoises, celle de 6 000 spectateurs agitant à la fin décembre 1998 l’effigie en carton de Keith « Mister » Jennings.

Une fac anonyme

Ça n’étonnera personne, on a chambré toute sa vie Keith Jennings sur sa taille trop ordinaire dans un univers de goliath et de golgoths. On a surtout douté de sa capacité à s’y exprimer. « Comme basketteur, j’ai toujours entendu que j’étais trop petit, même au lycée », raconta Keith qui grandit –si l’on peut dire- en Virginie, au milieu de trois frères et de trois sœurs. « Lorsqu’il m’ont demandé de jouer en équipe première, j’étais un peu nerveux, mais le fait que chacun dise « il est trop petit, il ne peut pas le faire », m’a poussé à réussir. »

Autre handicap, au lycée, son coach ne l’utilisa pas comme meneur mais en tant que deuxième arrière car un équipier était de sa taille et c’était lui le meilleur shooteur de l’équipe. Ce sera sa marque de fabrique. « Le secret ? J’ai bossé très dur », déclara t-il à Maxi-Basket. « Dès le lycée. Ma mère nous réveillait tous les matins à six heures, moi et mon frère, parce qu’elle allait au travail. Nous, on se pressait pour aller shooter avant d’aller à l’école. Tous les jours, on prenait 200 shoots chacun. »

Un bosseur, seulement sur son CV, il y avait toujours cette tâche indélébile : le manque de centimètres. Seule East Tennessee State daigna lui accorda une bouse sportive. Au sein de cette modeste université située à Johnson City, Mister –un surnom que lui a donné son père- fit sensation. Il y faisait des cartons et devint populaire au point que sa photo fut accrochée dans certains restaurants de la ville. Jennings termina son cursus en entrant au Panthéon de la NCAA : n°2 de tous les temps à la réussite à trois-points (49,3%), n°3 aux passes décisives et n°4 aux interceptions. Mister reçut le Frances Pomeroy Award, un trophée remis au meilleur basketteur de moins de 6 pieds, soit 1,83m. Il fut même considéré comme l’un des 10 ou 15 meilleurs joueurs du pays de la promotion 1991, sans qu’il soit tenu compte cette fois de la taille de chacun.

Remplaçant de Tim Hardaway

L’histoire n’était pourtant pas un conte de fées. Le farfadet ne fut pas à l’aise dans ses baskets lors du camp de pré-draft à Portsmouth. Ses détracteurs eurent alors beau jeu de remettre en exergue son manque de volume physique. Il tenta de se relancer en USBL, une ligue mineure, mais là non plus, il ne fit pas l’affaire au sein des Philadelphia Spirit. « Je pensais que j’allais être drafté mais ça n’est pas arrivé. C’est la première chose qui m’a rendu humble. Et puis j’ai été invité par les Indiana Pacers et j’ai été coupé après trois jours, ce fut assurément une leçon de vie. »

Ce fut l’exil, à Hagen, dans le championnat allemand, qui n’était pas alors une référence. Pas de quoi décourager le tenace petit bonhomme. Les Golden State Warriors cherchait une doublure à l’étoile Tim Hardaway et Keith passa le casting. « Je suis entré dans les vestiaires et je ne voyais pas le feuillet rose sur mon fauteuil. Personne ne m’avait encore dit si j’étais dans l’équipe ou pas », raconta t-il plus tard. « Alors Tim arrive et me demande si j’ai entendu quoique ce soit. Je lui réponds que non. Il va au téléphone dans le vestiaire –faut-il rappeler qu’il n’y avait pas de portable à l’époque ?- et appelle les gens du bureau et leur demande. Je me souviens qu’il a levé son pouce en l’air et que j’ai couru à travers le vestiaire en hurlant avec des larmes de joie car je l’avais fait ! »

Quelques jours plus tard, il alignait 10 points et 6 passes face aux Jazz, mais sa carrière n’était décidemment pas un long fleuve tranquille : après 8 matches, les ligaments du genou droit explosèrent à Orlando. Saison terminée. Pas sa carrière en NBA. Le coach Nelson avait été convaincu par son tempérament, son aptitude à tenir la baguette de chef d’orchestre. Mister réalisa deux saisons complètes et très honorables en backup de Hardaway, à 18 minutes en moyenne et 37,4% de réussite dans les shoots primés. « Il a surpris beaucoup de gens qui ne pensaient pas qu’il pouvait jouer la première fois qu’il est entré dans la ligue », se rappelle le journaliste Brad Lifford. « Mais il pouvait jouer ! »

Jamais contré

Keith retourna en Europe, à Estudiantes Madrid, avant de retenter sa chance en NBA, aux Denver Nuggets. Cette fois, c’est son genou gauche qui le trahit, en pré-saison. Lorsqu’il se retrouva sur les tablettes d’Alain Weisz, celui-ci fit tout d’abord un peu le nez sur sa taille. « Je mentirais en disant que la crainte ne nous a pas traversé l’esprit. En fait, à la lecture des vidéos de l’Estudiantes Madrid, on s’est très vite aperçu que son manque de taille le faisait rarement souffrir, qu’il n’était jamais enfoncé en situation de post-up, qu’elles étaient rarement suivies d’effet et surtout peu nombreuses. Et puis il y a la logique. Jouer réellement en NBA face à des meneurs de plus grande taille qu’en Europe suppose de sa part une certaine autodéfense. »

Josh Grant, l’Américain mormon du MSB, vanta aussi les qualités de son ancien comparse de Golden State. L’affaire fut conclue. A cours de compétition, Keith démarra en douceur, put même inquiéter, mais retrouva vite toutes ses sensations. C’est sa deuxième saison au Mans qui fut celle du chef.

« Puisque de tout temps, j’ai joué contre des gens plus grands, j’ai appris à faire avec, à tirer plus vite qu’un autre. C’est une nécessité », dira t-il. « Et puis je sais que la trajectoire sera toujours plus haute que n’importe quel de mes adversaires. Si je sens que prendre le tir est risqué, alors j’ai toujours l’option de passer la balle, de fixer, dribbler un pas de plus, de trouver une nouvelle solution. » Ce qui était particulièrement frappant, c’était la vision périphérique de ce spécimen très rare de l’espèce humaine, sa faculté à savoir où chacun était sur l’échiquier et sa performance sans cesse répétée à ne pas se faire contrer ! Un soir, Keith Jennings réussit même à shooter par-dessus les bras du géant Gheorghe Muresan et ses 2,31m. David contre Goliath. La statistique n’existait pas en LNB mais il a été démontré à Estudiantes que 5% seulement de ses tentatives avaient été détournées. Jennings était beaucoup plus sage que son successeur Shawnta Rogers qui joua souvent les casse-cou dans les défenses adverses au risque de se faire bâcher de multiples fois. Il ne donnait pas non plus sa part au chien au rebond et ses jambes, ses mains, son QI basket, en faisait un défenseur spécial et redoutable. Et comme le faisait remarquer son coach, il était « d’une modestie totale. »

Keith Jennings termina top scoreur de Pro A (19,4 pts) et fut élu MVP par Maxi-Basket en récoltant les deux tiers des 105 suffrages exprimés.

Le Real… Pour 4 matches

Le principe, c’est que lorsqu’un joueur est très bon, un club français, surtout modeste financièrement –ce qui était encore le cas du MSB en cette fin de siècle- ne peut pas le garder. Keith Jennings n’a pas échappé à la règle. « En fait, il était encore sous contrat avec nous », révéla son président d’alors Christian Baltzer. « Il avait une clause qui lui permettait de partir mais en nous prévenant par lettre recommandée avant le 15 juin. Avec Alain Weisz, on constate que le 15 on n’avait toujours pas reçu de lettre. On laisse faire. Quelques jours plus tard, il est annoncé au Real Madrid et une dizaine d’heures plus tard à Villeurbanne. Ce qui s’est passé, c’est que le représentant de son agent américain en Europe n’a pas fait son travail. » En vacances en Bretagne, Christian Baltzer reçut une tonne de fax de l’avocat de l’Asvel qui lui mit la pression. Il ne céda pas et négocia avec l’agent américain basé à San Marin. « On a tiré 80 000$. Il avait 150 ou 160 000$ au MSB. Evidemment, après la saison qu’il avait faite, on ne pouvait pas concurrencer le Real. »

C’est le président du club Lorenzo Sanz qui avait eu un coup de cœur pour Mister et qui l’avait recruté. Mais le coach Sergio Scariolo à qui il avait été imposé ne lui a jamais fait confiance. Il le jugea trop petit, évidemment. Jennings n’y joua que 4 matches. Immense gâchis. Il fila ensuite à Fenerbahçe, mais là aussi, on ne le considéra pas à la hauteur. « J’aime tellement le basket que je serais capable d’aller jouer n’importe où. Et je suis allé en Turquie. Je ne pense pas y retourner un jour, pas à Fenerbahçe. Ils ne m’ont pas traité comme j’aurais dû l’être. Je jouais bien et… le coach, le club… Ça doit être le pire que j’aie jamais connu. Tiens, je n’ai pas même envie de parler de la Turquie ! »

Mister Jennings se rattrapa à Saint-Pétersbourg avant de conclure sa trajectoire à Strasbourg, mais sans être aussi rayonnant qu’au Mans. « Alain (Weisz), la ville, mes coéquipiers, tout le monde avait été bien avec moi », expliqua t-il à propos du MSB avouant que c’est la perspective de gagner pas mal d’argent dans une équipe très compétitive qui l’avait emmené au Real. « Une fois la décision prise, c’était trop tard. Et j’ai eu des regrets. »

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Il y a au Mans une tradition de meneurs américains d’exception, née avec la venue de Lloyd King, sacré MVP du championnat en 1974, jusqu’à aujourd’hui Ty McKee, le roi des percées dans la peinture. Si Shawnta « Nut » Rogers a marqué par sa petitesse en taille (1,61m) et sa grandeur en talent, Hollis Price par ses gestes fluides et Taylor Rochestie par sa main gauche destructrice, la palme d’or revient à Keith Jennings pour sa saison 1998-99, l’une des plus fantastiques accomplies par un basketteur sur le territoire national.

En octobre 2013, l’Américain est revenu au Mans pour voir son maillot grimper au plafond d’Antarès et le président Christophe Le Bouille précisa que « son arrivée a coïncidé avec le renouveau du club. » Renouveau sportif, impulsé par le coach Alain Weisz, et renouveau populaire avec Antares aux trois-quarts plein. Vision éternellement gravée dans les mémoires sarthoises, celle de 6 000 spectateurs agitant à la fin décembre 1998 l’effigie en carton de Keith « Mister » Jennings.

Article paru dans Basket Hebdo en 2015

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Photo: Dominique Breugnot/MSB et D.R.

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