Aujourd’hui Sandrine Gruda est championne WNBA avec les Los Angeles Sparks. Depuis les Jeux de Londres, il y a quatre ans, Céline Dumerc est une icône du basket et du sport féminin français.
En juin 2011, après avoir passé deux saisons ensemble à Ekaterinbourg, au fin fond de la Russie, les deux jeunes femmes sont en pleine compétition, un Euro en Pologne où l’équipe de France décrochera la médaille de bronze. Dans le salon de l’hôtel des délégations à Katowice, elles se montrent extrêmement disponibles pour parler d’elles-mêmes et l’une de l’autre. Deux profils de joueuses et deux personnalités différentes mais complémentaires, le yin et le yang.
« Le leader, la capitaine de l’équipe, c’est Céline. Le leader technique, c’est Sandrine. Toutes les deux ont des personnalités qui sont le yin et le yang, ça va du pôle nord au pôle sud. Sandrine, c’est quelqu’un qui est ambitieux, qui veut réussir. Et si elle est passée à côté contre la Lettonie, elle a montré contre la Grèce que lorsqu’il faut être là, elle est là. Céline a toujours eu du mal à assumer ce statut de favori qu’on nous a collé derrière les oreilles, vous media et nous fédération. » Ainsi Pierre Vincent résumait-t-il les personnalités si contrastées des deux moteurs des Bleus.
Sur le terrain, Céline est en mouvement perpétuel, au service d’autrui et pour démolir la meneuse d’en face. On la voit constamment en train de haranguer, de conseiller, de regrouper ses troupes. C’est une playmaker, une faiseuse de jeu. Parfois, trop souvent, elle oublie de penser aussi à elle, on a toujours les défauts de ses qualités.
L’attention est tout de suite captée par les gestes majestueux de Sandrine. Deux fois de suite, elle a bâché Sancho Lyttle que l’Espagne avait positionnée sur son chemin. À la sortie du terrain, la Martiniquaise lâchait : « Ce qui a fait la différence, ce n’est pas tant le physique que le mental. On voulait gagner plus qu’elles. »
Assistante des Bleues, Anna Kotocova, au CV aussi long que celui d’un ministre de la IVe République, évoque toutes les grandes intérieures, d’Ouliana Semenova à Malgo Dydek, qui ont fait trembler l’Europe. « Des phénomènes. On peut dire que Sandrine est celui de l’équipe de France. C’est une battante, une gagneuse. Elle a des qualités physiques hors normes. Mais je pense qu’elle est encore jeune, elle n’a que 24 ans. Elle possède un très grand potentiel, elle a des choses encore à travailler dans le domaine technique pour devenir intouchable. Pour le mental, il n’y a pas de soucis. » Pierre Vincent précise que si Sandrine possède un tir efficient à distance, elle n’est pas toujours à l’aise dos au panier, mais que ces dernières semaines, des progrès sont apparus. « Sa limite aussi, c’est la précision dans le jeu, la lecture, des tas de choses que l’on peut apprendre avec le temps. »
« On est juste là pour gagner de l’argent, on en devient des fonctionnaires. On vient à l’entraînement de 17h30 à 19h30, c’est bon, on a justifié le fait qu’on gagne des millions. »
Ensemble dans l’Oural
Aucun club de Pro A ne pourrait proposer le salaire gagné par Céline Dumerc à UMMC Ekaterinbourg. À vue de nez, Sandrine Gruda pèse toute la masse salariale de Hyères-Toulon ou du Havre. Quatre ans déjà que Sandrine a gagné l’Oural, deux saisons que Céline l’a rejointe. Le club n’a pas regardé à la dépense pour constituer une variante de la Grande Armée napoléonienne, et pour forcer le destin, Ekaterinbourg a accueilli le Final Four de l’EuroLeague. Encore une fois, l’équipe a fait flop, toujours en demi-finale, toujours face au Sparta&k Moscou. « On n’a pas commencé à se battre dès le début de la rencontre, on a réagi trop tard. Il y avait aussi un ascendant psychologique du Sparta&k (4 fois champion d’Europe d’affilée) sur nous. Je ne veux pas généraliser, mais cela a provoqué chez certaines un stress pour jouer ce match », rapporte Sandrine.
Les deux Françaises sont de concert pour évoquer un état d’esprit qui ne favorise pas la performance. « Il faut une discipline d’entraînement, une hygiène de vie, c’est un tout. Il y a eu un manque de rigueur à ce niveau dans cette équipe, que l’on a payé pour ce match-là », dit pudiquement Sandrine. « Toute l’année, tu attends le Final Four », développe Céline. « Tu te dis que ce sont des joueuses qui ont joué des matches importants, qui seront prêtes, t’as confiance. Et là tu te rends compte que sur dix joueuses, neuf sont nulles à chier. Seule Maria Stepanova a fait un match à peu près correct. Ce qui m’a marquée, c’est le peu d’engagement qu’on y a mis, comme si ça allait naturellement nous tomber dans les mains. On l’a vu venir, j’en parlais beaucoup avec Sabine Juras, la kiné. Pour moi, c’est le problème du business. On est juste là pour gagner de l’argent, on en devient des fonctionnaires. On vient à l’entraînement de 17h30 à 19h30, c’est bon, on a justifié le fait qu’on gagne des millions. Tu as de l’expérience alors tu fais bien semblant, hop, hop, hop, pas de pression du coach, du président, du club, des sponsors. Il n’y a aucune exigence, tu fais ce que tu veux. »
« Ma mère est comptable, mon père est carreleur. Ils ne gagnent pas des mille et des cents, mais ils ont des petits plaisirs dans la vie. C’est ce à quoi j’aspire. »
Retour au nid
Sandrine a re-signé pour deux ans à Ekaterinbourg. De multiples raisons ont dicté son choix. Elle a envisagé de changer d’air après le titre européen qui lui a échappé mais elle a été un peu prise de cours. Deuxio, UMMC a été convaincant et la Française, déjà riche de trois titres de championne de Russie, est prête à s’investir encore davantage pour décrocher enfin la timbale. Tertio, curieusement, les propositions ne se sont pas bousculées. « En fait, beaucoup de clubs me positionnent en terme de salaire à une échelle supérieure et estiment que je ne suis pas à leur portée. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je suis prête à revoir mon salaire à la baisse. »
Vivre sous un ciel bleu et au cœur de la Méditerranée ne déplairait pas à l’Antillaise mais elle n’est pas du genre à déprimer pour autant dans les neiges de l’Oural. « Contrairement à ce que l’on peut penser, Ekaterinbourg est une ville active, la plus dynamique de Russie après Moscou. » Sandrine est un peu dans sa bulle mais ne vit pas pour autant en autarcie. « Je fréquente des gens hors de la sphère basket, des Russes. L’année prochaine, je vais me mettre vraiment à apprendre la langue, aussi ça va améliorer la communication. »
Céline a noué sur place une vraie complicité avec l’ancienne kiné de Valenciennes, Sabine Juras, qui a exporté son savoir-faire dans l’Oural. Elle regrette l’absence absolue de contacts avec les supporters d’UMMC mais a apprécié le traitement princier offert aux joueuses, voyage en jet privé, descente dans des palaces, chambres individuelles. On savait pourtant qu’elle ne ferait pas construire là-bas une datcha pour ses vieux jours. Déjà, si elle avait prolongé son séjour d’un an, c’est pour faire oublier une première saison amputée de longues semaines suite à des problèmes médicaux. Et de toute façon, elle avait prévenu son entourage, elle reviendrait bientôt à Bourges, son nid. « Mais quand Anaël (Lardy) a signé au club, je l’ai vue dans ma tête faire la progression que j’avais faite là-bas. J’ai eu peur ! Je me suis dit que si ça se trouve quand je vais revenir, il n’y aura plus de place pour moi. »
L’humilité, le doute permanent d’elle-même, le besoin de vivre dans un entourage familier sont parmi les principales caractéristiques de la native de Tarbes. Son plan de retour à la maison, elle l’a mûri dès le mois de décembre. « Il était clair dans ma tête que si Bourges voulait encore de moi, je n’irais nulle part ailleurs. Et j’ai dit au président Pierre Fosset que si je revenais, c’était pour toujours. On a discuté et c’est ensuite que l’on a parlé d’une reconversion au club. » Une fois remisées les baskets, Céline entrera au Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges et c’est le Bourges Basket qui paiera ses études. Lorsque Céline a appris que Pierre Vincent mettait un terme à son aventure berruyère, elle a été « démoralisée » – un sentiment assez fréquent chez elle – mais elle s’en doutait, dit-elle, à partir du licenciement de Vincent Collet. « J’aurais simplement aimé faire un an de plus avec lui. »
Dans un basket mondialisé, dans un univers professionnel où l’argent est très généralement la priorité absolue, Céline Dumerc est une incongruité. Elle, c’est le plaisir du jeu et du groupe qu’elle recherche. « Je jouais avec des joueuses de très haut niveau, mais ce n’est pas tout, ça ne fait pas le collectif, le plaisir. C’est vrai que c’est simple de jouer avec Cappie Pondexter, Candice Parker, mais ce qui fait ma passion d’équipe, c’est un jeu collectif, un état d’esprit, l’amour du maillot, tu joues pour des supporters. Et quand c’est du business, il n’y a pas tout ça. C’est chacun pour sa poire. Tu viens faire les entraînements car tu es un minimum professionnelle, mais c’est bien trop individualisé pour que j’y trouve mon compte. Pourquoi on a gagné en trois manches contre le Sparta&K Moscou ? Parce qu’il y avait les vacances derrière ! J’ai vu une joueuse, dont je tairai le nom, qui a fait son meilleur match au Game 3, elle ne voulait pas en faire quatre. »
Céline Dumerc a presque honte d’avoir ramassé autant d’argent en Russie et c’est comme un gagnant du Loto qui refuserait de prendre un deuxième ticket alors qu’il saurait pourtant qu’il toucherait une deuxième fois le gros lot. Car, pas de doute, c’est l’une des meilleures meneuses d’Europe et si Ekaterinbourg ne lui plaisait plus, Valence, Fenerbahçe ou une autre super armada aurait fait les yeux doux à ce petit Général. « J’ai une joueuse qui m’a dit « mais tu vas gagner au moins la moitié à Bourges ?! » Je lui ai répondu « jamais de la vie ». Elle m’a dit « respect d’avoir les couilles de faire ça. » Mais pour moi trop d’argent, c’est malsain. Je vois la vie de mes parents », poursuit-elle. « Ma mère est comptable, mon père est carreleur. Ils ne gagnent pas des mille et des cents, mais ils ont des petits plaisirs dans la vie. C’est ce à quoi j’aspire. Si j’étais une grande dépensière, très extravagante, peut-être que j’aurais signé ailleurs. Ce n’est pas le cas. Je considère que de toute manière, on n’aura jamais assez d’argent. Celui qui gagne un million en voudra deux, celui qui en gagne dix en voudra vingt. C’est comme une drogue. Si tu gagnes 2.000 euros, soit heureux avec ce que tu as. Je considère que l’argent ne va pas faire mon bonheur, et j’en ai gagné assez. »
« J’aime particulièrement les Etats-Unis… Il y a beaucoup de très bonnes joueuses, le niveau est très élevé et j’aime l’atmosphère, l’industrie. »
Pas d’affinités
Sandrine est quelqu’un d’ambitieux, qui prétend au meilleur, qui se donne les moyens de sa réussite. Un talent, une grosse bosseuse aussi qui paraît imperturbable sur le terrain. « Je suis une personne qui stresse comme tout le monde à l’approche d’une rencontre importante, mais j’ai appris à le contrôler. Je ne me laisse pas déborder par les émotions extérieures négatives. Il faut avoir des émotions positives pour avoir des pensées claires, pour agir en fonction. Ça s’apprend. »
Sandrine paraît toujours dans la retenue, sous contrôle, caparaçonnée, sa froideur extérieure est une arme défensive. « Au début en équipe de France, elle faisait peur alors qu’au contraire, elle est très timide. C’est quelqu’un de très complexe », estime Céline à propos de sa coéquipière. « Parfois, je ne la comprends pas. Je ne dis pas qu’elle est dans le faux et moi dans le vrai. D’ailleurs cela arrive que l’on ne s’entende pas car on ne se comprend pas alors qu’on dit la même chose. »
Sandrine complimente Céline en la décrivant comme une personne généreuse, ouverte, amicale, et qui lui a beaucoup apporté à Ekaterinbourg de par sa science du basket. Elle confirme pour autant que les deux jeunes femmes n’ont pas d’affinités particulières.
Un exemple révélateur de leur personnalité à l’opposé. Céline Dumerc est l’anti-joueuse de WNBA. Un peu comme Laurent Sciarra avec la NBA sauf que, sportivement, la Berruyère aurait sa place dans la ligue d’été américaine. Mais ce n’est pas son style, son kiff. « Je ne suis pas une joueuse qui fait la différence, je fédère… C’est ça le paradoxe. Par moment, je suis en plein doute mais je me dois de le faire. Je m’en fous de ne pas être bien perso et même si je ne joue que dix minutes, je vais tout de même ouvrir ma bouche, c’est un besoin. Et je considère que mon impact va être utile à l’équipe. Pas question non plus de parler pour ne rien dire. J’ai aussi une connexion avec Pierre car ça fait longtemps que je travaille avec lui. C’est un plaisir de partager sa vision du jeu. Je ne suis pas une joueuse extraordinaire », ajoute-t-elle. Une phrase qui revient systématiquement dans ses commentaires. « Je suis dans l’exagération de l’autocritique, c’est mon mode de fonctionnement et c’est aussi ce qui me fait avancer. C’est parce que je considère que je ne suis pas une joueuse extraordinaire que j’ai envie tous les jours d’aller travailler. »
Céline, c’est un peu la Reine des abeilles et elle a besoin des autres comme les autres ont besoin d’elle. « Moi sans mes copines, je ne peux pas. Si je n’ai pas un écran, je ne vais pas shooter. J’aime le travail collectif. Contre la Grèce, je suis contente de la fin de mon match car je prends l’initiative d’annoncer la fin d’un système tout con qui fait que l’on marque un panier sur ça. Ce sont des satisfactions qui me suffisent, j’ai fait mon boulot. Alors que j’étais ni au panier, ni à la passe. » En WNBA, elle serait aussi à l’aise qu’une ado au milieu de Chippendales.
À l’inverse, Sandrine se sent pousser des ailes quand elle franchit l’Atlantique. « Il m’a fallu un temps pour m’adapter mais c’est vrai que j’aime particulièrement les Ėtats-Unis. C’est un endroit où c’est l’inconnu et ça m’intrigue de pouvoir faire des performances là-bas. Il y a beaucoup de très bonnes joueuses, le niveau est très élevé et j’aime l’atmosphère, l’industrie. » La Française n’y est pas encore une vraie tête d’affiche mais à 24 ans, tout lui est encore permis, même si son sérieux coup de barre l’été dernier lui a démontré qu’il ne faut pas courir après une multitude de lièvres à la fois.
Au niveau de la notoriété, Sandrine et Céline sont à un niveau comparable. La différence, c’est que la Martiniquaise là aussi est plus entreprenante ; elle a contracté avec une boîte de com’ martiniquaise, Market One, et cela a débouché sur une campagne de pub pour Air Caraïbes avec Mike Piétrus et Kevin Séraphin. Cela a intrigué Sport Stratégie et aussi RTL qui l’a invitée dans son émission « On refait le sport » où elle a notamment expliqué qu’elle gagnait plus d’argent en Russie qu’en WNBA. « Ce type d’intervention me plaît énormément, j’aime être près des gens. » Céline aussi, mais plus à l’ancienne, autour d’un capuccino ou d’un mojito.
Paru dans BasketNews en juin 2011.