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Trophée de l’année – La République des Pyrénées, l’affaire CSG : rocambolesque

Jean Fauret est journaliste à La République des Pyrénées à Pau. C’est lui qui a couvert principalement pour son quotidien les aventures rocambolesques des investisseurs américains de Counterpointe Sports Group (CSG) à l’Elan Béarnais. On n’avait jamais vu une telle pantalonnade dans le basket frança

Jean Fauret est journaliste à La République des Pyrénées à Pau. C’est lui qui a couvert principalement pour son quotidien les aventures rocambolesques des investisseurs américains de Counterpointe Sports Group (CSG) à l’Elan Béarnais. On n’avait jamais vu une telle pantalonnade dans le basket français. Entretien.

Jusqu’à Noël, Basket Europe décerne ses trophées de la saison, avec des interviews et portraits de plusieurs personnalités de l’année 2022. Voici le trophée de la « couverture de l’année » de l’Affaire Counterpointe Sports Group par La République des Pyrénées à Pau. Pour découvrir l’intégralité de nos trophées, mais aussi de nombreuses nouveautés en 2023, abonnez-vous

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Quelques semaines après le rachat de l’Elan Béarnais par Couterpointe Sports Group (CSG), vous avez montré dans vos articles que vous étiez suspicieux quant aux intentions des investisseurs américains ?
Oui. Assez vite. Dès leur arrivée, et sans avoir véritablement d’indices car au départ, la mariée était forcément très belle. Tout le monde a été convaincu très vite par la caution Jamal Mashburn. Au départ, on ne savait pas qu’il était juste consultant de CSG. C’est un ancien All-Star de NBA qui a réussi dans le business, qui est millionnaire. Plus la caution pour le sportif de Stu Jackson, un ancien vice-président de la NBA et coach des Knicks. Ça crédibilisait CSG alors que tout le monde avait peur que ça fasse comme les Girondins de Bordeaux avec des Américains qui n’y connaissaient rien et qui débarquent juste pour faire du business. Avant qu’ils arrivent, durant l’été, il y a eu de l’enthousiasme. C’était même presque trop beau : le projet immobilier, reprendre le Zénith, faire un amphithéâtre, etc.

C’était étonnant d’avoir ce projet projet XXL pour une ville moyenne comme Pau ?
Oui, dans la mesure où ils ont très vite sorti des chiffres comme attirer un million de personnes par an dans la zone du palais des sports, avec des bars, des restos. Un truc d’entertainment à l’américaine où l’on vient passer la journée. Pau, c’est 80 000 habitants, 150 000 avec l’agglo. Certes, ça peut faire venir du monde de Tarbes, de Toulouse, de Bordeaux, ce n’est pas très loin, mais de là à répondre à leur souhait d’avoir un million de personnes par an… Sachant que les travaux n’avaient pas commencé. C’était déjà très ambitieux. C’est vrai que dès l’automne et le championnat commencé, c’était assez troublant avec ce directeur général, qui était entre la Suisse et Pau, qui n’y connaissait rien au basket. Les dirigeants, qui sont venus au premier match face à Bourg, et qui sont repartis. Leur communication était à l’américaine. C’était très clinquant avec beaucoup d’annonces, mais ce n’était appuyé par rien. Sur leur site Internet, c’était creux. En dehors de leurs discours, en fait, dès le début, il n’y avait pas grand-chose alors qu’avec la surface financière qu’on pensait qu’ils avaient, on pouvait penser que d’entrée, pour stabiliser le club, pour partir sur des bases solides, ils mettraient un ou deux millions d’argent frais. Il ne faut pas oublier que le club avait frôlé le dépôt de bilan l’année d’avant. Ça n’a pas été le cas. Ils ont très vite dilapidé le petit matelas qu’il y avait en caisse sans se soucier véritablement des opportunités d’entrées d’argent.

On a du mal à imaginer que les Américains de CSG aient été de tels pieds nickelés ?
Pour moi, ils ne sont pas arrivés pour escroquer le club, pour voler quoi que ce soit. Ce sont plus effectivement des pieds nickelés que des escrocs. Seattle, c’est à l’autre bout du monde de Pau, qui est pour eux un confetti, et ils ont dû estimer de là-bas que le fait d’arriver avec leur étiquette américaine avec des noms dans le bagage suffirait à générer dans leur sillage un enthousiasme débordant, un élan de générosité de la part des partenaires, des collectivités. Ils se sont très vite retrouvés confrontés – on le pressentait – aux réalités économiques et politiques françaises où on ne peut pas tout faire en un claquement de doigts. Les gens, surtout dans le basket, avant de lâcher de l’argent, réfléchissent à deux fois. Surtout à Pau avec tout ce qui s’était passé les saisons précédentes. Ils se sont aperçus très vite qu’ils ne pourraient pas amener de l’argent facilement, mais ça ne les a pas empêchés d’en dépenser à crédit. D’où le trou de 3 millions d’euros que l’on a annoncé dans le journal dès avril. On a été les premiers à écrire : « attention, on s’oriente vers un déficit entre 2 et 3 millions ».

« A l’époque, ça donnait l’impression de se tirer une balle dans le pied et même les deux pieds »

Votre chef de service Vincent Martinelli a réalisé un scoop avec une interview surréaliste de Taqwa Pinero où il révèle, naïvement ou pas, qu’il avait fait un faux en écrivant une lettre au maire de Pau, François Bayrou, lui indiquant que CSG était prêt à reprendre l’Elan Béarnais, et en la signant sans les avertir, du nom de Rick Pitino et Jamal Mashburn. Avant l’interview, vous saviez qu’il avait écrit cette lettre ?
Non. Je n’ai pas assisté à l’entretien, mais il a offert ça sur un plateau sans qu’on lui pose la question. Il n’a pas été trituré pour sortir ça (sourire). Il l’a fait naturellement, à la grande surprise, voire stupéfaction de Vincent, mon chef, qui a réécouté plusieurs fois l’enregistrement en américain pour être certain de ce qu’il avait dit. Vous avez suivi les différents épisodes. Aujourd’hui, la mairie garde la possibilité de l’attaquer à son tour, en écritures en faux. Lui dit qu’il a fait exprès de le dire pour ne pas qu’on lui ressorte ça plus tard. Est-ce qu’à l’époque, c’était réfléchi, maladroit, pourquoi a-t-il dit ça à ce moment-là ? Je ne sais pas. Mais à l’époque, ça donnait l’impression de se tirer une balle dans le pied et même les deux pieds.

Tout aussi surréaliste, Taqwa Pinero a été ensuite nommé Directeur Général du club à la place de Tom Huston ?
Il a été nommé en fin de saison, en juin, à un moment où on savait déjà que ça finirait dans le drame. C’est simple : je me souviens de la finale de la Coupe de France à Bercy. Ce soir-là, j’ai dit « profitons-en de ce moment de fête, de joie, de communion » car je savais depuis un moment que ça finirait dans le drame. Je ne savais pas comment mais tous les faisceaux étaient réunis pour que ça se finisse mal. Un mois après, CSG nomme Taqwa Pinero Directeur Général. Ça m’a donné l’impression qu’ils ont fait ça pour faire ch… les dirigeants français en place. On le met en CDI alors qu’on sait très bien que ça va mal se finir et débrouillez-vous ! Ça donnait l’impression de rajouter un gros caillou dans le jardin déjà bien saccagé.

Il est toujours à Pau ?
Je ne sais pas. Je ne l’ai pas vu depuis très longtemps. Il a été licencié officiellement le 13 novembre. Les dernières semaines, en début de saison, où il était censé encore officier, il était en arrêt maladie. Il a peut-être eu des soucis de visa. Quand on est Américain, quand on veut rester en France, il en faut un. Son agent italien le cherchait, il n’a pas de nouvelles.

Au journal, vous continuez à suivre son histoire ou avez-vous mis ça en stand-by ?
On a été très présent sur le dossier CSG puisqu’on a été les premiers à annoncer leur arrivée… et leur départ, avec les raisons de ce départ. J’ai pas mal creusé, et à l’époque où ça tournait mal, j’ai sorti tous les déboires judiciaires de David Otto, le boss de CSG. Ça remonte à une dizaine d’années, il avait été condamné à 400 000 dollars d’amendes pour fraudes. J’avais sorti ça la semaine des élections législatives. Du coup, les relations étaient super tendues à l’époque. Pinero, il s’est tellement répandu à dire tout et n’importe quoi qu’on n’a pas réagi au quart de tour à tous ses tweets, à toutes ses attaques. Evidemment, on a donné la parole aux uns et aux autres pour déchiffrer le pourquoi du comment. C’est Sud-Ouest qui s’est retrouvé un peu le porte-parole de Pinero. On est resté prudent, à ne pas prendre tout au pied de la lettre car c’est vite devenu un espèce de défouloir, d’attaques personnelles… Après le dernier match, c’est David Otto qui nous envoie carrément tous les comptes de l’Elan avec les annotations.

Là, où il écrit que la SNCF survivra…
Oui, « survive » alors qu’il devait 50 000 euros, avec tous les fournisseurs pas payés, « ce n’est pas grave… ce n’est pas grave… » Là aussi, tu te demandes, « mais pourquoi il nous envoie ça ? »

Il se ridiculise ?
Oui. Tu te demandes à quoi il joue, quel est le but. C’est un suicide en direct ?!

Ils n’ont peut-être pas la même mentalité, la même approche, le même raisonnement que nous ?
C’est sûr qu’au niveau des mentalités, c’était aux antipodes. Très tôt, on a été au courant de la façon dont se sont passées les réunions avec la DNCCG. Très mal, avec David Otto qui les prenait de haut, qui les insultait, en colère, menaçant vis-à-vis des instances. On s’est dit que c’était le clash assuré.

« Ça jouait bien ensemble, c’était comme une petite famille qui continue d’avancer alors qu’à côté, tout s’écroule mur après mur »

En plus du quotidien, vous avez une émission sur Internet, On se dit les choses, où vous intervenez sur l’Elan Béarnais. Avez-vous l’impression que tout ça passionne vos lecteurs ?
On ne peut pas dire que ça booste les ventes ou pas mais c’est un feuilleton qui a passionné les gens car à chaque fois que l’on sortait une révélation, c’était tellement étrange, tellement fou. On pourrait en faire un film et on n’y croirait pas. Je crois que ce feuilletonnage a passionné les gens ou leur a fait peur. C’est quoi le prochain épisode ? Avec en parallèle le sportif où plus ça allait mal en coulisses et plus ça allait bien sur le parquet. C’était ça le paradoxe l’an dernier. Les retards de paiement à partir d’avril, les Tokens…

Ce feuilleton est le plus extraordinaire jamais vu dans le basket français, plus fort encore que les fonds chinois qui « sont dans les tuyaux » du Limoges CSP de 2000, où là aussi les joueurs n’étaient plus payés et on fait le triplé, Coupe Korac, championnat et Coupe de France, et le club a été en banqueroute. Mais on a moins parlé de la saga de Pau que celle de Limoges sur le plan national ?
C’est assez fou ce qui s’est passé pendant un an, et le sportif s’est mis dans sa bulle avec Eric Bartecheky qui était l’homme qu’il fallait. Les joueurs voyaient bien que le navire tanguait dangereusement, mais parfois, l’humain prend le dessus. Je ne sais pas pourquoi mais l’histoire entre eux a fonctionné.

Yann Bonato avait joué un rôle très important à Limoges en 2000. Y en a-t-il eu un dans ce rôle de rassembleur à Pau ?
Il n’y a pas eu forcément un porte-parole du groupe, un leader qui a entraîné tout le monde dans son sillage. Je pense que c’était plus général. Finalement, le seul joueur que CSG a réussi à faire venir vraiment, c’est Brandon Jefferson. Il n’a pas hésité à faire la promo des Tokens, etc. Mais sinon, ça s’est fait naturellement. Ça jouait bien ensemble, c’était comme une petite famille qui continue d’avancer alors qu’à côté, tout s’écroule mur après mur. C’était assez étrange de se dire que ça allait finir dans le drame et assister deux fois par semaine à de beaux matches. Contre Monaco, tu fais quasiment deux fois 8 000 au Palais, tu n’es pas loin de la finale, alors que pour moi, en juin, il y a une chance sur deux que le club disparaisse.

Connaissez-vous des gens qui ont acheté ces fameux Tokens ? Où en est-on ?
J’en connais. Ils n’ont pas eu du tout de nouvelles pendant des mois. Ils ont reçu un mail à la fin de l’été se voulant rassurant mais tout le monde a pris conscience que c’était du vent. Si on s’amuse à aller sur le site de CSG, il n’y a plus trace du tout de l’Elan Béarnais. Déjà, avant, c’était une coquille vide avec juste quelques photos du club et des joueurs. On ne sait pas ce qu’ils font. Ils les ont mis au bon moment en vente : c’était juste dans la semaine après la finale de la Coupe de France. C’était concordant avec le titre, ce qui a fait qu’il y a eu cet élan d’enthousiasme. Je crois que ça a ramené 300 000 euros en 10 jours. C’est beaucoup. Cet argent-là a été mis de suite dans les caisses du club. Ils ont dépensé un pognon en consultants, les trois millions sont partis très vite en fumée.

Photo : Jean Fauret

« Il y a une histoire localement du club qui fait qu’on ne peut pas le laisser à l’abandon »

Sur Pau et dans le département, ces histoires ont-elles un effet négatif alors que l’Elan a la concurrence frontale du rugby et du foot ? Quel est votre sentiment sur la situation actuelle, sur la reprise, sur l’objectif de se maintenir en Betclic Elite ?
Oui, c’est à fond sur le maintien… L’image du club en a forcément pâti. Il y a eu beaucoup d’arrogance de la part des Américains auprès des partenaires, des partenaires historiques qui ont été écoeurés. On leur a réclamé de l’argent, toujours plus, comme si c’était automatique. Il a fallu que la nouvelle direction entreprenne une campagne pour ressouder tout le monde après cette crise post-traumatique. Dans l’imaginaire collectif, ça laisse forcément des traces et l’image du club en souffre. Les résultats sportifs en ont souffert aussi, l’équipe est repartie au ras des pâquerettes. Il y a moins de monde cette saison au Palais, on sent que ce n’est pas la même dynamique. Mais malgré tout, les collectivités soutiennent toujours le club à fond, il y a ce Palais des Sports qu’il faut faire vivre. Il y a une histoire localement du club qui fait qu’on ne peut pas le laisser à l’abandon. Même si l’engouement est toujours supérieur pour la section paloise. Le foot a commencé à poser quelques jalons en Ligue 2, même si ça fait moins de monde que le basket. Ils font 2-2 500 de moyenne dans un petit stade alors que le rugby est à 13-14 000. Quelque soit les résultats, il y a toujours du monde. L’Elan est toujours pour moi le deuxième club de la ville derrière le rugby, mais, attention, c’est très fragile ! S’il devait y avoir relégation, est-ce que les supporters, les entreprises qui soutiennent le club, seraient prêts à continuer leurs efforts en Pro B ? Ils l’ont fait il y a dix ans, mais ce n’était pas la même dynamique avec quasiment le double du budget de tous les autres et la remontée s’est faite de suite. Pas sûr que ça se passerait comme ça l’an prochain.

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Quelques semaines après le rachat de l’Elan Béarnais par Couterpointe Sports Group (CSG), vous avez montré dans vos articles que vous étiez suspicieux quant aux intentions des investisseurs américains ?
Oui. Assez vite. Dès leur arrivée, et sans avoir véritablement d’indices car au départ, la mariée était forcément très belle. Tout le monde a été convaincu très vite par la caution Jamal Mashburn. Au départ, on ne savait pas qu’il était juste consultant de CSG. C’est un ancien All-Star de NBA qui a réussi dans le business, qui est millionnaire. Plus la caution pour le sportif de Stu Jackson, un ancien vice-président de la NBA et coach des Knicks. Ça crédibilisait CSG alors que tout le monde avait peur que ça fasse comme les Girondins de Bordeaux avec des Américains qui n’y connaissaient rien et qui débarquent juste pour faire du business. Avant qu’ils arrivent, durant l’été, il y a eu de l’enthousiasme. C’était même presque trop beau : le projet immobilier, reprendre le Zénith, faire un amphithéâtre, etc.

C’était étonnant d’avoir ce projet projet XXL pour une ville moyenne comme Pau ?
Oui, dans la mesure où ils ont très vite sorti des chiffres comme attirer un million de personnes par an dans la zone du palais des sports, avec des bars, des restos. Un truc d’entertainment à l’américaine où l’on vient passer la journée. Pau, c’est 80 000 habitants, 150 000 avec l’agglo. Certes, ça peut faire venir du monde de Tarbes, de Toulouse, de Bordeaux, ce n’est pas très loin, mais de là à répondre à leur souhait d’avoir un million de personnes par an… Sachant que les travaux n’avaient pas commencé. C’était déjà très ambitieux. C’est vrai que dès l’automne et le championnat commencé, c’était assez troublant avec ce directeur général, qui était entre la Suisse et Pau, qui n’y connaissait rien au basket. Les dirigeants, qui sont venus au premier match face à Bourg, et qui sont repartis. Leur communication était à l’américaine. C’était très clinquant…

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Photo : La République des Pyrénées

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