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[REDIFF] Wilt Chamberlain, les Globies et la France (4ème partie): Courgeoust, 479 habitants

C’était en juin 1960. Wilt Chamberlain, le joueur le plus dominant de son temps, venait d’être élu MVP de la NBA. Il se retrouva sous le maillot des Harlem Globe Trotters à jouer à Paris, mais aussi anonymement dans la France profonde. Voici en quatre volets cette incroyable histoire.

C’était en juin 1960. Wilt Chamberlain, le joueur le plus dominant de son temps, venait d’être élu MVP de la NBA. Il se retrouva sous le maillot des Harlem Globe Trotters à jouer à Paris, mais aussi anonymement dans la France profonde. Voici en quatre volets cette incroyable histoire.

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En préparant les stands, les tentes et les tables de la 3e fête de l’âne et vide-greniers, programmée le premier dimanche de juillet, ces ouvriers sont loin d’imaginer que le meilleur basketteur du monde, un véritable extra-terrestre,  a foulé la même herbe cinquante-quatre ans auparavant.

Courgeoût, que l’on écrivait alors Courgeoust, est niché dans le Perche, à une grosse cinquantaine de kilomètres d’Alençon, le chef-lieu de l’Orne. La population a peu variée. Le village comptait 479 habitants en 1960. Une église, des fermes, un cimetière. La France profonde dans toute sa splendeur.

Les Harlem Globe Trotters avaient donc passé trois jours à Paris où Wilt Chamberlain, en provenance de Los Angeles, les avait rejoints. Ils avaient ensuite voyagé jusqu’à Cherbourg, l’une des huit villes françaises visitées cette année-là. Trois cents kilomètres de route. Leur venue dans le Cotentin avait été organisée conjointement par l’ASA Marine, le Comité de la Foire Exposition, et l’AS Cherbourg. Le 4 juin, les Globies firent le show à la Gare Maritime, un bâtiment de style Art déco, par lequel transitaient les voyageurs embarquant ou débarquant sur les paquebots des lignes transatlantiques. Cherbourg, oui, mais pourquoi Courgeoust ?

Entre Paris et Milan

« J’y étais ! », lance fièrement Jean Goujon. Cet octogénaire avait trente ans à l’époque. Il était trésorier du comité de basket de l’Orne et en fut ensuite le président pendant vingt ans. Il gratte dans sa mémoire : « j’ai vu une deuxième fois les Harlem, au Mans. » Place des Jacobins, en plein  air. Jean Goujon se souvient que le comité départemental de basket n’était pas intervenu dans la venue de la troupe américaine et instantanément, il loue le dynamisme du comité des fêtes de Courgeoust. « C’était pour eux une tradition d’avoir des événements de grande importance. »

La consultation de quelques documents aux Archives Départementales de l’Orne à Alençon corrobore ses souvenirs. Ce sont MM. Vallée et Martin, respectivement maire et président du Syndicat d’initiative, qui étaient à l’origine des manifestations festives. Courgeoust avait pris l’habitude d’organiser des courses de stock-car, une des spécialités de la région. C’est ainsi que le Syndicat d’Initiative avait noué des liens privilégiés avec Andy Dixon, qui avait amené en France ce type de compétition automobile des Etats-Unis au début des années cinquante. Pas besoin de circuit en bitume, les courses de stock cars se contentent d’un pré, et de bottes de foin et de bidons pour délimiter la piste. Andy Dixon, qui fut à son inauguration, en 1984, le directeur du Palais des Sports de Paris-Bercy, était aussi connu pour mettre sur pied des combats de boxe, et servait d’intermédiaire en France à Abe Saperstein, le proprio des Harlem Globe Trotters. CQFD.

Pour le dimanche de Pentecôte, le Syndicat d’initiative de Courgeoust s’offrit ainsi les Harlem Globe Trotters pour deux millions d’anciens francs. Soit à peu près 4 000€ d’aujourd’hui. Pas une vilaine affaire, et un véritable exploit car la troupe américaine n’avait pas l’habitude de se produire dans des patelins. Wilt Chamberlain n’avait-il pas joué deux ans plutôt devant le secrétaire-général du Parti Communiste, Nikita Khrouchtchev, au stade Lénine de Moscou ? Les Courgeoustiens avaient pleinement conscience de cette fleur. « Saperstein se pencha sur la carte détaillée de la France, cherchant vainement Courgeoust qui l’avait sollicité pour sa grande attraction mondiale », rapportèrent les organisateurs dans l’édition locale de Ouest France. « Il ne trouva rien, bien sûr, et il fallut lui expliquer longuement ce qu’est Courgeoust, ses réalisations passées, ses succès passés, pour qu’il accepte d’inscrire le nom de la petite localité du Perche, entre Paris, Bruxelles, Genève et Milan, sur son calendrier 1960. »

L’événement fut suffisamment étonnant pour que Sport et Vie dépêche sur place Pierre Tessier, le journaliste de la rubrique basket de L’Equipe, et deux photographes. Le cliché panoramique que publia ce mensuel dans son édition de juillet 1960 est l’un des plus incroyables, décalées, magnifiques jamais pris en France autour d’un terrain de basket-ball. Le meilleur joueur de NBA dans un pré de la campagne française ! Bien plus étonnant encore que le dunk devant la Tour Eiffel.

Un député, un sénateur, une miss

Emile Levêque, 93 ans, était alors le propriétaire du champ, en plein centre du village, près de la ferme que l’on aperçoit en arrière-plan avec le clocher de l’église. La colline verdoyante formait des gradins naturels. Les spectateurs restaient debout ou posaient leurs fesses par terre, sans chichi. Les organisateurs ont disposé des fauteuils et des chaises, pas tous occupés, et quelques bottes de foin. Ce que l’on ne voit pas, c’est à l’opposé une tribune officielle en bois d’une huitaine de rangs.

Les panneaux de basket –en plexiglass, s’il vous plait- ont été amenés dans un camion par les Harlem Globe Trotters. Pas question, évidemment, de jouer au basket sur de l’herbe, aussi on a eu recours à un parquet. « A cette époque il existait des loueurs de parquet, à la dimension que l’on voulait », renseigne Jean Goujon. « Ca tenait très bien, il suffisait d’avoir une surface plane. J’ai usé des tas de godasses sur les parquets de l’époque en dansant et ils ne bougeaient pas. C’était monté par des spécialistes pour la danse ou pour des matches de basket. »

Autour du maire a pris place une belle brochette de notables : un député, un sénateur, le secrétaire-général de la sous-préfecture de Mortagne, un chef d’escadron, un commandant de gendarmerie, ainsi que Mlle Besnier, reine de Courgeoust et ses deux demoiselles d’honneur. « Elles se hissèrent sur la pointe des pieds pour embrasser les Harlem avant le coup d’envoi », s’amusa Pierre Tessier dans son reportage. Ouest France parle de « plusieurs milliers de personnes », mais les incertitudes atmosphériques ont retenu à la maison nombre de candidats spectateurs. D’ailleurs on constate sur les photos que les rangs sont relativement clairsemés. Tout le monde est en habits du dimanche et on a accroché des guirlandes et des drapeaux. C’est la fête au village et une façon de célébrer l’amitié franco-américaine. Cela fait tout juste seize ans que les Américains ont libéré la Normandie. Une grande bannière étoilée accrochée à une centaine de ballons de baudruche a été lâchée dans le ciel. C’est un véritable show à l’américaine avec une ballerine japonaise sur cycle, des jongleurs, un acrobate et des champions du monde de tennis de table. Le premier entre-deux est donné par Roland Boudet, député de la 2e circonscription, qui est forcément hypnotisé par la taille du géant de Philadelphie.

Violentes averses

Roland Boudet avait-il lu l’avant-veille un article de présentation dans Ouest France ? On y voit Abe Saperstein, debout sur une chaise, mesurer avec un mètre à ruban Wilt Chamberlain. Ce type avait décidemment un sens extraordinaire de la mise en scène, même si l’Echassier est présenté ainsi davantage comme une bête curieuse que comme un basketteur d’exception. Les informations ont vraisemblablement été fournies directement par Saperstein via Andy Dixon, et revisitées par le chroniqueur local : « Considéré comme le meilleur joueur des Etats-Unis, il est sans doute le plus grand basketteur de tous les temps. Ce splendide athlète mesure 2,16m. »

Faut-il préciser qu’à Courgeoust, pas plus qu’ailleurs en France, personne n’avait entendu parler de Wilt Chamberlain et de la National Basketball Association. Et d’après Jean Goujon, l’essentiel du public venu de l’Orne, mais aussi de la Sarthe et de l’Eure-et-Loir était complètement profane. «  A part quelques basketteurs, les gens méconnaissaient l’existence même des Harlem et bien entendu de Chamberlain. Il y avait un club à Mortagne et au Mesle-sur-Sarthe, mais la culture basket n’existait pas du tout à Courgeoust. »

La télévision n’avait pas encore pénétré les milieux ruraux. La venue des Harlem Globetrotters représentait une sortie exceptionnelle pour une France laborieuse qui ne connaissait pas encore la société des loisirs. Pour une population monochrome, la venue de Noirs américains constituaient aussi un événement, un choc, et tout autant un émerveillement.  Ouest France affirme que le « public a été emballé par ces véritables jongleurs et qu’il n’a pas ménagé ses vigoureux applaudissements à ces géants du ballon au panier. » Dans ce contexte champêtre, Wilt Chamberlain a réalisé quelques dunks qui tiennent du prodige. La photo de Sport et Vie restitue parfaitement ce moment surnaturel. C’est juste UNBELIEVABLE. D’ailleurs, Emile Levêque dit avoir apprécié « la taille des joueurs, l’adresse et  leur souplesse. » Il croit se souvenir que les joueurs avaient dû effectuer une séance de dédicaces et précise qu’un repas était servi à chaque fois sous une chaumière pour les compétiteurs. Le journaliste local regrette simplement que de violentes adverses soient venu interrompre ce « programme parfait ».

Il n’y avait évidemment pas d’hôtel à Courgeoust et les Trotters sont remontés dans leur car dès la fin de leur exhibition. Leur venue avait provoqué un mini-embouteillage sur ces routes campagnardes étroites. « En terminant ce papier », écrit Ouest France, « félicitons comme il le mérite le service de la gendarmerie qui a réussi à canaliser les nombreuses voitures venues conduire les spectateurs. »

Dans son autobiographie, « Wilt », Chamberlain dit avoir joué avec les Harlem Globetrotters plusieurs étés avant de rejoindre les Los Angeles Lakers, en 1968, et de s’être consacré pendant les vacances aux plaisirs de la plage dont le volley-ball. Il n’évoque évidemment pas son bref passage à Courgeoust. Pour lui, c’était une journée ordinaire.

[armelse]

En préparant les stands, les tentes et les tables de la 3e fête de l’âne et vide-greniers, programmée le premier dimanche de juillet, ces ouvriers sont loin d’imaginer que le meilleur basketteur du monde, un véritable extra-terrestre,  a foulé la même herbe cinquante-quatre ans auparavant.

Courgeoût, que l’on écrivait alors Courgeoust, est niché dans le Perche, à une grosse cinquantaine de kilomètres d’Alençon, le chef-lieu de l’Orne. La population a peu variée. Le village comptait 479 habitants en 1960. Une église, des fermes, un cimetière. La France profonde dans toute sa splendeur.

Les Harlem Globe Trotters avaient donc passé trois jours à Paris où Wilt Chamberlain, en provenance de Los Angeles, les avait rejoints. Ils avaient ensuite voyagé jusqu’à Cherbourg, l’une des huit villes françaises visitées cette année-là. Trois cents kilomètres de route. Leur venue dans le Cotentin avait été organisée conjointement par l’ASA Marine, le Comité de la Foire Exposition, et l’AS Cherbourg. Le 4 juin, les Globies firent le show à la Gare Maritime, un bâtiment de style Art déco, par lequel transitaient les voyageurs embarquant ou débarquant sur les paquebots des lignes transatlantiques. Cherbourg, oui, mais pourquoi Courgeoust ?

Entre Paris et Milan

« J’y étais ! », lance fièrement Jean Goujon. Cet octogénaire avait trente ans à l’époque.

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