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Jean-François Reymond (SNB): « La Pro B doit être le réservoir absolu de jeunes »

Sekou Doumbouya (FIBA Europe) Après huit ans à la tête du syndicat des joueurs (SNB), Jean-François Reymond quitte le milieu du basket pour le rugby. L’occasion de faire un bilan avec celui qui a été au cœur de la vie du basket professionnel français. Chômage, turnover des joueurs, rapport avec les

Sekou Doumbouya (FIBA Europe)

Après huit ans à la tête du syndicat des joueurs (SNB), Jean-François Reymond quitte le milieu du basket pour le rugby. L’occasion de faire un bilan avec celui qui a été au cœur de la vie du basket professionnel français.

Chômage, turnover des joueurs, rapport avec les agents, dopage, conflit FIBA-Euroleague, féminines, statistiques, passeports européens bidons, nous avons balayé un maximum de sujet d’actualité lors de cette interview fleuve qui est en trois parties à suivre.

Deuxième partie.

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Ces derniers mois le syndicat des joueurs a réalisé plusieurs études afin de démontrer que les clubs ne font pas jouer leurs espoirs alors que les équipes de France jeunes sont compétitives. C’est toujours le passage entre 18 ans et l’âge adulte qui ne se fait pas comme il faut en France. A quoi cela tient-il ?

C’est la volonté des coaches. Je donne un exemple : Bathiste Tchouaffé. C’est le projet du club de Nanterre. Ils le recrutent l’année dernière à la sortie de l’INSEP et ils disent « c’est un super gamin ». Et cette année on lui met deux Américains dans les pattes. Ça veut dire « il faut que tu sois meilleur que les Américains à l’entraînement pour que tu es ta place ? » Aux gamins, il faut quand même leur donner la possibilité de jouer, de s’exprimer. Il y a des clubs qui bloquent des gamins de 20 ans, qui ne veulent pas les prêter en Pro B notamment, et ainsi ils perdent un temps fou. Des clubs ne veulent pas vraiment neuf pros alors ils prennent un espoir. Châlons-Reims, le petit (Alexandre) Karolak, il a été blessé, il est revenu, et il est en bout de banc, il va jouer zéro minute dans l’année. Enfin, je n’espère pas pour lui, mais sur le profil de l’équipe, il ne va pas jouer. En gros, tu mets un gamin car ça t’arrange, tu ne le payes pas cher et au final tu vas lui flinguer sa carrière car il va jouer zéro minute. Des exemples comme ça, il y en a plein. Le clubs de Pro B veulent des centres de formation mais si c’est pour pouvoir faire des contrats aspirants stagiaires mais que tu ne les fais pas jouer, ça sert à quoi ?

C’est un miroir aux alouettes : on fait miroiter à travers ces centres de formation des carrières de basketteurs professionnels, c’est-à-dire en Pro A ou Pro B, et finalement les places y sont tellement réduites pour les Joueurs Formés Localement, que les jeunes sont obligés ensuite de poursuivre leur chemin dans les championnats nationaux ?

Je ne donnerai pas le club mais il y a un entraîneur de centre de formation qui m’a dit : « Jeff, on a le potentiel pour sortir plus de gamins mais on ne peut en sortir qu’un par an parce qu’on n’a pas la place pour les faire jouer en pro car le profil de l’équipe professionnelle ce n’est pas du tout de faire jouer les jeunes. Il me dit qu’ils ont l’un des centres de formation les plus compétitifs en France mais ils se limitent eux-mêmes en se disant qu’ils ne vont garder qu’une seule place en pro pour un gamin. Si tu en as trois, comment fais-tu ? Tu peux vraiment te passer de talents ? J’ai en tête l’exemple à Gravelines de William Howard. Il l’avait chez eux, dans leur centre d’information et ils ne l’ont pas fait signer. Il est à Limoges, à 13 points de moyenne. Je serai président de club, je me regarderais dans une glace et je me dirais qu’il y a un souci chez nous.

Bastien Vautier, à peine dix-neuf ans, a fait un double-double avec Caen en Pro B, il y a une semaine, face à Nancy, le club qui l’a prêté. C’est un sacré paradoxe ?

(Rires) Tout est résumé. Le gamin, tu l’as chez toi, il va jouer pour un autre et il te défonce. Bastien Vautier, je le félicite et j’espère qu’il va faire une saison magnifique. Pourquoi est-il à Caen ? Parce que Hervé Coudray l’a coaché avec l’équipe de France (U19), il a vu son potentiel. Après il ne faut pas oublier qu’ils ont un Américain ou un Cotonou qui est blessé… J’ai lu un article où il était écrit « je ne sais pas si Bastien Vautier va tenir le choc ». Au deuxième match de la saison, il sort un 31 d’éval. Pas besoin de recruter, je fais jouer le gamin. Bien sûr il va faire des conneries, il a 19 ans. Mais c’est la Pro B, ils n’ont pas de coupes d’Europe, il n’y a pas de pression. Il y a deux descentes avec dix-huit clubs.

Le cas de Youssoupha Fall prêté une saison par Le Mans à Poitiers en Pro B et qui revient en Pro A dans le cinq majeur de l’équipe de tête, n’est-il pas la voie qu’il faut développer ?

Bien sûr. Il a joué beaucoup en Pro B. Pour plein de raisons Ruddy Nelhomme a fait confiance à des jeunes. Je suis super content pour Youss. Des mecs de sa taille dans le championnat, on n’en a pas. Et là, la stratégie de club, elle a fonctionné.

Alpha Kaba (FIBA Europe)

« On peut critiquer ou pas la règle des JFL mais à partir du moment où ça été mis en place, on a constaté qu’il y avait une vraie augmentation du nombre de places dispos pour les gars »

Il y a eu aussi le cas de Alpha Kaba qui estimait être délaissé à Pau et qui a passé deux ans à Mega Leks, qui s’est fait drafter, et qui aujourd’hui a un très bon salaire à l’ASVEL. Comment appréciez-vous cette option au syndicat ?

C’est super pour les joueurs mais c’est dramatique pour le basket. Si les gamins en sont à se demander s’il ne faut pas aller en Serbie car ils sont sûrs de jouer, il faut se dire qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Moi-même, j’avais 18 ans, j’étais au centre de formation (NDLR : de Montpellier), je suis allé aux Etats-Unis parce qu’en pro, il n’y avait pas de places. Et dans notre équipe, on avait un Finlandais, un Bulgare, un Macédonien, un mec avec un faux passeport portugais, et c’était il y a vingt ans et c’était déjà comme ça. Il y en a plein comme moi de cette génération, des Raphaël Desroses, des Pape et Moussa Badiane, qui sont partis, quand la règlementation n’était pas du tout favorable à l’éclosion des jeunes français. On peut critiquer ou pas la règle des JFL mais à partir du moment où ça été mis en place, on a constaté qu’il y avait une vraie augmentation du nombre de places dispos pour les gars. Effectivement, je pense que la Pro B doit être le réservoir absolu de jeunes qui viennent se faire les dents. Quand on a publié l’étude sur les quarts et demi-finalistes de l’Euro U18, tu te dis qu’on nous fait des tartines parce qu’on est champion d’Europe et c’est vrai que c’est super mais tu n’es pas champion d’Europe du temps de jeu! Quand on voit qu’en Pro B, les équipes avec des U23 font davantage jouer les jeunes que celles avec des centres de formation, comment c’est possible ? Ça l’est parce que quand tu prends un U23 et que tu dois le payer, le coach ne se dit pas « c’est un jeune que je paye 200 euros, je m’en fous ». Quand on donne un salaire, déjà on essaye d’en prendre un bon et on espère qu’il va apporter à l’équipe. Peut-être que faire uniquement des U23 en Pro B c’est la voie à prendre. L’effet inverse c’est que quand le mec a 24 ans, s’il a été moyen, et vu le nombre de U23 et d’étrangers, on ne lui donne plus de contrat. Il n’y aura jamais un système parfait mais en deuxième division turque, il y a deux Américains et des Turcs, c’est tout. Et les Américains ce ne sont pas des tocards, la preuve ils étaient en grosse partie en Pro A l’année dernière car ils sont payés à fond car il n’y en a que deux par équipe et pour le reste on fait jouer des jeunes pour les développer. C’est une volonté politique. Il y a des présidents de clubs si tu fais sans leurs étrangers et leurs pigistes, ils ne veulent pas. Alors que quand il faut faire la dictée ELA parce que le club s’est engagé, ils n’envoient pas le ricain arrivé il y a un mois.

C’est comme au media day de la LNB où les joueurs présents, très majoritairement français, ne sont pas représentatifs de la population de la Pro A ?

Et ça les joueurs s’en rendent compte et à un moment donné, ils en auront marre. Ils en ont déjà marre. Et s’il n’y a pas une véritable volonté politique de faire changer les choses, ça se passera très mal.

« Ce que je constate depuis le début c’est que l’on est incapable de prendre des décisions. Il y en a toujours un qui veut faire un truc dans son coin parce que ça va l’arranger »

Vous vous demandez si les clubs de Pro A ne donnent pas du temps de jeu uniquement aux prospects NBA dans l’objectif de recevoir l’indemnité de formation versée par les franchises (en 2017-18: 675,000$, en 2018-19: 700,000). Qu’entendez-vous par là ?

Frank Ntilikina, ce n’est pas compliqué de le mettre sur le terrain quand tu sais que tu vas gagner 700 000 dollars. Mais quand tu as un gamin où il n’y a pas de carotte, où le club sait qu’il ne va pas lui proposer de contrat pro, c’est quoi son intérêt de le mettre sur le terrain ? Les clubs voient aussi cette rentabilité financière. Cette manne donnée par les franchises aide-t-elle au développement des clubs ? Comment est-elle investie ? Il y en a qui se disent « avec ça, je vais pouvoir acheter un Américain en plus. » On en revient à ce que je disais tout à l’heure. Est-ce que ça aide à la structuration de ton club, à avoir par exemple un préparateur physique à temps plein, deux kinés ? Des clubs où il y a un kiné à temps complet pour le centre de formation, j’en connais qu’un, c’est Gravelines. Certains disent « les gamins ne sont pas pros ». Mais être pro, ça s’apprend, ça ne tombe pas d’un arbre. Mettre Ntilikina, Rudy Gobert, Isaia Cordinier ou Sekou Doumbouya sur un terrain, ce n’est pas compliqué, tout le monde sait qu’ils vont aller en NBA. C’est plus compliqué pour les mecs moyens qu’il faut arriver à développer et ça, ça demande de l’investissement et du développement. Les clubs ont-ils le temps de faire du développement. Non, ils sont trop pris par la contrainte de gagner des matches sinon on va descendre en Pro B. Si c’est ça le seul problème, on ne fait qu’une descente. Ce que je constate depuis le début c’est que l’on est incapable de prendre des décisions. Il y en a toujours un qui veut faire un truc dans son coin parce que ça va l’arranger. C’est valable pour les clubs qui payent les joueurs avec des indemnités kilométriques pour pas que ça rentre dans la DNCG, c’est valable pour des clubs qui demandent des statuts de JFL pour des mecs qui devraient pas l’avoir (NDLR : Tariq Kirksay de Fos-sur-Mer), c’est valable pour un club qui ne doit pas aller jouer une coupe d’Europe et qui demande 50 000 euros à la LNB en disant « l’année dernière, les clubs en ont eu alors pourquoi pas moi ? », alors que tous les clubs ont voté pour ne pas faire cette coupe d’Europe (NDLR : Le Portel en FIBA Europe Cup). Et l’un après l’autre, après l’autre, après l’autre. Ça fait que cela créé une incohérence globale qui nous fait perdre énormément de visibilité car les gens n’y comprennent plus rien, le message est brouillé, il n’y a plus d’unité. La ligue a progressé mais quand on voit que certains ne sont pas capables de faire le Label Club, c’est-à-dire faire un dossier chaque année pour montrer leur progression structurelle, etc, sous prétexte que c’est administratif et que ça les fait ch… plutôt que de se dire que ça va les aider dans leur développement. Cette volonté de faire ça de la part de l’Union des Clubs (UCPB) et de la ligue est très positive mais il faut que tout le monde joue le jeu et il ne faut pas regarder pour son propre intérêt et c’est malheureusement ce que je ressens depuis que je suis là. Parfois il faut prendre des décisions qui font mal et il faut les accepter, c’est pour le développement du sport. Peut-être que le format à 18 de la Pro A, c’est trop. Peut-être ne faut-il que 16 clubs, qu’une descente. Peut-être que la Pro B on doit la fusionner avec la NM1. A un moment donné, il va falloir trancher. Et quand tu fais des choix, oui, ça fait mal. Et c’est ce qui se passe avec les JFL. Quand on a décidé de faire les JFL, on avait dit à l’UCPB, à Jean-Pierre Goisbault, qu’il ne fallait pas d’exception parce qu’elles allaient fragiliser le système.

http://www.dailymotion.com/video/x1vgtd

« Les clubs de Pro B qui payent les joueurs en indemnités kilométriques n’ont rien à y faire »

On peut rebondir sur le cas de Tariq Kirksay. A une époque, il y a eu des exceptions alors que là, il n’y en a pas alors qu’il a été international ?

Oui. Je n’ai rien contre Tariq, je ne le connais pas, il n’a jamais été en France quand j’ai commencé à travailler au SNB. Je l’ai dit aux gens du club : ce n’est pas contre la personne mais à un moment donné, il faut réfléchir pour l’intérêt général de la discipline. La réponse c’est « si moi je ne le fais pas, un autre va le faire à ma place ». Et là, ça ne peut pas avancer. Il faut à un moment donné que tout le monde adhère au projet qui est proposé et, oui, peut-être qu’il faudra prendre moins de pigistes, peut-être moins de clubs en Pro A, etc. Et si tout le monde est d’accord sur le projet, il faut s’y tenir et ne pas trouver des subterfuges pour essayer de contourner les règles parce qu’au final ça pénalise tout le monde. Les clubs de Pro B qui payent les joueurs en indemnités kilométriques n’ont rien à y faire. C’est une ligue professionnelle pas une ligue qui paye les joueurs avec des bons de supermarché ou des frais kilométriques. Soit tu es vraiment pro et tu te donnes les moyens, soit tu fais autre chose.

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Ces derniers mois le syndicat des joueurs a réalisé plusieurs études afin de démontrer que les clubs ne font pas jouer leurs espoirs alors que les équipes de France jeunes sont compétitives. C’est toujours le passage entre 18 ans l’âge adulte qui ne se fait pas comme il faut en France. A quoi cela tient-il ?

C’est la volonté des coaches. Je donne un exemple : Bathiste Tchouaffé. C’est le projet du club de Nanterre. Ils le recrutent l’année dernière à la sortie de l’INSEP et ils disent « c’est un super gamin ». Et cette année on lui met deux Américains dans les pattes. Ça veut dire « il faut que tu sois meilleur que les Américains à l’entraînement pour que tu es ta place ? » Aux gamins, il faut quand même leur donner la possibilité de jouer, de s’exprimer. Il y a des clubs qui bloquent des gamins de 20 ans, qui ne veulent pas les prêter en Pro B notamment, et ainsi ils perdent un temps fou. Des clubs ne veulent pas vraiment 9 pros alors ils prennent un espoir. Châlons-Reims, le petit (Alexandre) Karolak, il a été blessé, il est revenu, et il est bout de banc, il va jouer zéro minute dans l’année. Enfin, je n’espère pas pour lui, mais sur le profil de l’équipe, il ne va pas jouer. En gros, tu mets un gamin car ça t’arrange, tu ne le payes pas cher et au final tu vas lui flinguer sa carrière car il va jouer zéro minute. Des exemples comme ça, il y en a plein. Le clubs de Pro B veulent des centres de formation mais si c’est pour pouvoir faire des contrats aspirants stagiaires mais que tu ne les fais pas jouer, ça sert à quoi ?

C’est un miroir aux alouettes : on fait miroiter à travers ces centres de formation des carrières de basketteurs professionnels, c’est-à-dire en Pro A ou Pro B, et finalement les places y sont tellement réduites pour les Joueurs Formés Localement, que les jeunes sont obligés ensuite de poursuivre leur chemin dans les championnats nationaux ?

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