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[REDIFF] Tintin au pays des Soviets (1) – En voyage clandestinement à Tbilissi

Diplômé de l’école Centrale de Paris, Nicolas Remise alias Jean Bogey, son pseudonyme, deviendra plus tard Directeur de Projet chez Renault. Il a vécu une aventure tout à fait extraordinaire. Effectuant son service militaire à l’ambassade de France à Moscou, il a pu pénétrer dans la mystérieuse URSS

Diplômé de l’école Centrale de Paris, Nicolas Remise alias Jean Bogey, son pseudonyme, deviendra plus tard Directeur de Projet chez Renault. Il a vécu une aventure tout à fait extraordinaire. Effectuant son service militaire à l’ambassade de France à Moscou, il a pu pénétrer dans la mystérieuse URSS, découvrir son basket, prendre contact avec ses internationaux, et livrer chaque mois des articles au magazine Maxi-Basket dont la teneur était une exclusivité mondiale. On parle de l’URSS du début des années 80, plus vaste Etat du monde, un Etat totalitaire, sous le joug du communisme, qui avait mis au pas les Pays Baltes dont la Lituanie, et dont l’équipe nationale de basket avait été sacrée championne du monde à Cali en 1982 et deviendra championne olympique six ans plus tard à Séoul. Son chant du cygne. Nicolas Remise nous ouvre sa boîte à souvenirs, nous a fourni des photos totalement inédites, et soulève ainsi le rideau de fer…

Première partie de l’interview.

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Vous aviez appris le russe à l’école ?

J’ai appris le russe au lycée comme deuxième langue vivante en ayant la même prof de 4e à la Terminale qui était très impliquée. On était de moins en moins nombreux au cours des années. Ma mère me parlait toujours de ses souvenirs d’apprendre le grec ancien avec des petites équipes motivées et c’était exactement pareil.

Vous êtes en partie en coopération à Moscou pour votre service militaire ?

J’ai tout d’abord fait un mois de stage de langues à Moscou en 1974 lorsque j’étais en première. J’ai découvert un pays complètement verrouillé et très retardé. Ce qui était frappant c’était les vêtements tout gris. Mais j’ai compris que par derrière, il y avait autre chose qui était beaucoup plus intéressant que ce que l’on montrait et c’est ça qui m’a accroché. J’y suis retourné un peu après parce que j’avais un copain qui avait fait sa coopération là-bas au consulat de France à Leningrad. Il m’a dit que j’étais idiot de vouloir faire un service scientifique, « pourquoi ne reprends-tu pas mon poste ? » C’est comme ça que j’ai trouvé le chemin pour y arriver mais j’étais à l’ambassade à Moscou.

Photo: L’équipe d’URSS championne du monde à Cali en 1982.

Parallèlement, vous étiez un joueur et un passionné de basket qui cherchait à en savoir davantage sur son sport ?

Oui. Je jouais en équipe première de la VGA Saint-Maur. J’avais commencé en benjamin et je m’étais intéressé très tôt non seulement au sport lui-même mais aussi à toute la littérature qu’il y avait autour que ce soit L’Equipe, L’Equipe Basket Magazine, L’Equipe Basket Hebdo. J’avais rencontré pour la première fois le milieu du journalisme par l’intermédiaire de Jean-Jacques Maléval suite à l’arrêt de Micro Basket. Pendant deux, trois ans, on se rencontrait à des matches à Coubertin et quand le Stade-Français jouait à Evry, il m’emmenait là-bas.

C’est lui qui vous a permis de vous procurer des revues étrangères avant de partir à Moscou ?

Oui. C’est suite à ses écrits que j’ai trouvé le moyen de m’abonner à une revue, Basketball Digest. A l’époque, c’était très compliqué. Il fallait envoyer des mandats bancaires, des ordres de virement. Parfois les journaux ne répondaient pas. Basketball Digest était un petit journal mensuel. Jean-Jacques Maléval m’avait dit que ce n’était pas le meilleur mais c’est le seul qui m’avait répondu. J’essayais de trouver des images et c’était aussi compliqué. Il m’avait aussi tuyauté pour trouver des choses là-bas. Internet bien sûr n’existait pas (sourire) !

C’est lui qui vous a mis en contact avec Maxi-Basket ?

En fait, il a dit à Maxi-Basket qu’il connaissait quelqu’un qui connaît le basket et qui partait à Moscou. « Peut-être qu’il y a quelque chose à faire avec lui. » Parallèlement, il m’avait mis en contact avec Thierry Bretagne qui était rédacteur en chef à L’Equipe Magazine. Il m’avait dit : « tu connais le basket ? Tu sais faire une phrase avec sujet-verbe-complément. » J’ai répondu « oui ». Il m’a dit, « alors ça va ! Je te contacterai quand j’aurai besoin de toi. » Voilà comment ça a commencé. J’ai écrit un peu pour L’Equipe Mag mais j’ai surtout aidé comme interprète avec leurs journalistes.

La finale du championnat du monde de Cali en 1982.
« Durant la période hivernale c’était très difficile de faire un aller-retour juste pour un match alors que les avions pouvaient avoir une ou deux journées de retard »

Lorsque vous êtes arrivé à l’ambassade à Moscou, quelle a été votre première démarche pour vous imprégner du basket local ?

A l’ambassade, j’étais chargé de lire la presse au niveau scientifique et culturel au sens large donc ça englobait le sport. Je ne me souviens plus si on recevait Sovetsky Sport mais si ce n’était pas le cas je l’achetais moi-même. C’était un quotidien de 6 pages dont les 2 premières pages étaient consacrées à de la politique sportive, le développement du sport en URSS. Le reste était plus ou moins documenté avec très peu de photos et des articles très peu informatifs mais c’est tout ce qu’il y avait. Il y avait les résultats de basket avec le meilleur marqueur ou quelque chose comme ça mais pas de comptes rendus de match, il n’y avait pas assez de place pour ça. On ne le trouvait pas en occident. Par la suite, on pouvait s’abonner et c’est ce que j’ai fait en rentrant de Moscou par le biais de la Librairie du Globe qui était une librairie soviétique à Paris. J’ai été abonné plusieurs années et ça arrivait plus ou moins régulièrement. Ma deuxième démarche a été de téléphoner directement à la fédération soviétique de basket en leur disant que je travaillais à l’ambassade de France et que je souhaitais les rencontrer. Ils m’ont dit « laissez votre numéro et on vous rappelle. » Ils m’ont rappelé une heure après et je pense qu’ils ont vérifié que j’étais bien sur les listings de l’ambassade. C’est comme ça que j’ai obtenu un rendez-vous là-bas pour qu’ils m’expliquent le basket en URSS. Je leur avais dit que l’on pourrait parler en russe. J’ai vu l’entraîneuse de l’équipe féminine soviétique dont j’ai oublié le nom. Et il y avait un interprète. Je leur ai demandé pourquoi puisque je parle russe. Ils m’ont dit « c’est mieux ! ». C’était un moyen de contrôler, pas forcément par quelqu’un du KGB mais un informateur. Ils m’ont expliqué comment ça allait se passer dans le championnat et ça a fait mes deux premiers articles dans Maxi-Basket. Ce championnat était organisé autour de tournois. C’était lié aux problèmes d’infrastructures et à l’hiver. Durant la période hivernale c’était très difficile de faire un aller-retour juste pour un match alors que les avions pouvaient avoir une ou deux journées de retard. Les articles n’étaient pas très intéressants, un peu arides mais ça expliquait ce qui allait se produire.

L’ambassade était-elle au courant que vous écriviez pour un magazine de basket ?

Absolument pas parce que je n’avais pas le droit ! Quand on est au service national on n’a pas le droit de faire une autre activité encore moins si elle est rémunérée. A l’époque, Maxi-Basket ne me payait pas énormément mais quand même ! (sourire) Deuxièmement, je n’avais pas non plus droit pour les autorités soviétiques. Je n’avais pas de visa d’un journaliste mais d’un collaborateur d’ambassade. C’est pour ça que j’avais pris un pseudonyme (NDLR : Jean Bogey). J’avais un passeport que l’on connaît maintenant avec (Alexandre) Benalla, un passeport de service. C’est intermédiaire entre un passeport normal et un passeport diplomatique. Il y a une petite protection mais pas énorme.

Photo: Cinq joueurs soviétiques au bord d’une piscine occidentale: Rima Kurtinaitis, Sergei Tarakanov, Valdemaras Chomicius, Alexander Belostenny et assis Valery Tikhonenko.
« J’ai vécu deux ou trois jours chez cette dame jusqu’à la fin du tournoi et c’est là que j’ai écris mes premiers articles. Elle ne m’a rien fait payer. C’est extraordinaire »

Que risquiez-vous ? L’expulsion ?

Les Soviétiques pouvaient m’expulser mais ce n’était pas le plus grave. Le plus embêtant ça aurait été du côté français car ils m’auraient envoyé dans une caserne (rires). C’est d’autant plus savoureux que j’envoyais mes articles par la valise diplomatique car à l’époque le courrier entre l’URSS et l’occident n’existait quasiment pas et de toutes manières, il était ouvert. Il y avait beaucoup de chances qu’il n’arrive pas. Pour tout savoir, de 2012 à 2015, j’étais de nouveau en Russie et je me suis abonné au Mondesélection hebdomadaire et j’en ai reçu à peu près un sur quatre.

De façon concrète, c’est quoi une valise diplomatique ? Un courrier protégé, qui n’est pas ouvert ?

Oui. C’est un courrier et d’autres choses qui passent accompagnés par un diplomate dans l’avion. C’est un sac qu’il met à côté de lui et qui n’a pas droit d’être contrôlé ou alors ça créé un incident diplomatique. J’imagine qu’à l’ambassade ils ont dû ouvrir certaines de mes lettres si ce n’est toutes.

Quel tournoi avez-vous couvert en premier ?

Le premier véritable compte-rendu de match que j’ai fait c’était un tournoi à Tbilissi en Géorgie. A l’époque, les étrangers ne pouvaient pas voyager librement en URSS. Il y avait quelques villes qui étaient ouvertes de l’ordre d’une trentaine, pas plus. Tbilissi en était une mais pour n’importe quel étranger, il aurait fallu un visa pour y aller. Quand on était à l’ambassade on avait une procédure un peu allégée qui était de demander une autorisation de déplacement et si on ne recevait pas de contre ordre, ça voulait dire que l’on pouvait y aller. Jusqu’au dernier moment on pouvait dire non. Pour ce tournoi à Tbilissi, je demande premièrement une permission à l’ambassade qui était mon employeur et deuxièmement je me suis mis en tête de trouver des billets. Et là c’était compliqué quand on n’avait pas de visa ni de motif réel. J’avais demandé des billets par l’ambassade et on m’avait dit que ce n’était pas possible. Comme par hasard, les dates correspondaient strictement au tournoi. Il faut imaginer que l’organisme, à qui on demandait ça, était chargé du corps diplomatique. C’était donc des gens qui savaient que je m’intéressais au basket depuis ces coups de fil depuis l’ambassade puis de la rencontre avec la fédération soviétique. Ils pouvaient faire le lien et se dire qu’ils n’avaient pas tellement envie que j’y aille. Donc on me dit : « pas de billet ». Il fallait trouver un autre moyen. C’était vraiment Tintin au pays du basket des Soviets. Je vais non pas cette fois à l’organisme pour les diplomates mais pour demander des billets à celui pour les étrangers, Intourist. On me répond la même chose : il n’y en a pas. Je voulais absolument y aller et en désespoir de cause je suis allé à l’aéroport en me disant que j’allais essayer d’acheter un billet là-bas. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais je suis passé à travers les mailles du filet. J’ai pu obtenir un billet. Mais ce n’était pas terminé car je n’avais qu’un billet aller car il y avait une difficulté sur les vols retours et surtout ma demande d’autorisation de déplacement arrivait à expiration. C’est-à-dire qu’admettons que ce soit jusqu’au dimanche, je partais le dimanche matin. Il aurait donc fallu que je revienne tout de suite. Je n’ai pas pris de billet de retour et c’est sur place à mon arrivée en Géorgie que je l’ai fait en leur disant « mon autorisation se termine, il faut que je rentre. » Bien sûr, on m’a dit « il n’y a pas de place, vous ne pouvez pas rentrer. » Et je suis parti… J’arrive au stade, un immense palais des sports de 10 000 places. A l’époque en France on ne voyait pas ça. Un palais des sports vétuste. La Géorgie, il faut s’imaginer que c’est la Méditerranée. Ce sont des gens volubiles, sympas, ouverts et même s’ils sont Soviétiques ce n’est pas Moscou. J’arrive, j’achète mes billets. Ils étaient déjà 18-19h et je n’avais pas d’endroits où crécher. Je vois l’ouvreuse et je lui dis « j’ai besoin de dormir ici ce soir. Comment est-ce que je peux faire ? » Elle me dit : « ne vous en faites pas, venez chez moi. Je vous donne rendez-vous à la sortie. Il y a quelqu’un qui va nous emmener en voiture. » Après les matches, je la retrouve et qui je vois arriver ? Un milicien pour nous emmener chez elle ! J’étais en situation irrégulière, elle n’avait pas le droit de rencontrer des étrangers. Ça s’est fait comme ça, j’ai vécu deux ou trois jours chez cette dame jusqu’à la fin du tournoi et c’est là que j’ai écris mes premiers articles. Elle ne m’a rien fait payer. C’est extraordinaire.

Photo: L’équipe d’URSS championne olympique à Séoul en 1988 en compagnie du Yougoslave Drazen Petrovic, médaillé d’argent, en attente du contrôle antidopage.
Photos: Arvydas Sabonis dans sa baignoire, avec le secrétaire-général de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev et le Yougoslave Zeljko Obradovic lors de la finale des JO de Séoul.

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Vous aviez appris le russe à l’école ?

J’ai appris le russe au lycée comme deuxième langue vivante en ayant la même prof de 4e à la Terminale qui était très impliquée. On était de moins en moins nombreux au cours des années. Ma mère me parlait toujours de ses souvenirs d’apprendre le grec ancien avec des petites équipes motivées et c’était exactement pareil.

Vous êtes en partie en coopération à Moscou pour votre service militaire ?

J’ai tout d’abord fait un mois de stage de langues à Moscou en 1974 lorsque j’étais en première. J’ai découvert un pays complètement verrouillé et très retardé. Ce qui était frappant c’était les vêtements tout gris. Mais j’ai compris que par derrière, il y avait autre chose qui était beaucoup plus intéressant que ce que l’on montrait et c’est ça qui m’a accroché. J’y suis retourné un peu après parce que j’avais un copain qui avait fait sa coopération là-bas au consulat de France à Leningrad. Il m’a dit que j’étais idiot de vouloir faire un service scientifique, « pourquoi ne reprends-tu pas mon poste ? » C’est comme ça que j’ai trouvé le chemin pour y arriver mais j’étais à l’ambassade à Moscou.

Photo: L’équipe d’URSS championne du monde à Cali en 1982.

Parallèlement, vous étiez un joueur et un passionné de basket qui cherchait à en savoir davantage sur son sport ?

Oui. Je jouais en équipe première de la VGA Saint-Maur. J’avais commencé en benjamin et je m’étais intéressé très tôt non seulement au sport lui-même mais aussi à toute la littérature qu’il y avait autour que ce soit L’Equipe, L’Equipe Basket Magazine, L’Equipe Basket Hebdo. J’avais rencontré pour la première fois le milieu du journalisme par l’intermédiaire de Jean-Jacques Maléval suite à l’arrêt de Micro Basket. Pendant deux, trois ans, on se rencontrait à des matches à Coubertin et quand le Stade-Français jouait à Evry, il m’emmenait là-bas.

C’est lui qui vous a permis de vous procurer des revues étrangères avant de partir à Moscou ?

Oui. C’est suite à ses écrits que j’ai trouvé le moyen de m’abonner à une revue, Basketball Digest. A l’époque, c’était très compliqué. Il fallait envoyer des mandats bancaires, des ordres de virement. Parfois les journaux ne répondaient pas. Basketball Digest était un petit journal mensuel.

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A suivre

Photo d’ouverture: l’équipe d’URSS en tournée dans les années 80 avec le géant moustachu, Vladimir Tkatchenko.

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