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Arnaud Guppillotte (coach des U17 féminines) : « A leur trial en mars, les Américains ont 280 joueuses pour faire une sélection de 12. Alors que moi quand je fais une détection large, j’ai 24 joueuses »

Arnaud Guppillotte est un coach qui est définitivement entré dans l’histoire du basket français puisque huit ans plus tard, il a mené une deuxième fois l’équipe de France féminine U17 à une médaille d’argent au championnat du monde.

Arnaud Guppillotte est un coach qui est définitivement entré dans l’histoire du basket français puisque huit ans plus tard, il a mené une deuxième fois l’équipe de France féminine U17 à une médaille d’argent au championnat du monde.

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Même si la défaite en finale face aux Etats-Unis fut cuisante (40-92), il faut mettre en exergue la performance de cette génération « 2001 » championne d’Europe U16 l’été précédent, et qui cette fois encore est demeurée invaincue avant le dernier assaut notamment en renversant une situation très compromise face à l’Australie en demi-finale au prix d’une deuxième mi-temps somptueuse (44 à 22 pour l’emporter 58-48).

Dans la première partie de cette interview, le coach nous livre son analyse pertinente du tournoi et aussi du modèle américain si singulier. Dans une seconde, il nous brossera le portrait de chacune de ses joueuses dont plusieurs seront certainement appelées au plus haut niveau d’ici quelques années.

Qu’avez-vous dit à vos joueuses à la mi-temps de la demi-finale contre l’Australie ? On vous a certainement posé cette question à de multiples reprises depuis votre retour !

(Rires) Effectivement, c’est une question que l’on m’a beaucoup posé. Cela a été magique dans le résultat mais pas dans la formule. On avait plus un problème d’attitude, d’engagement que de basket. Le basket que l’on proposait était celui que l’on devait faire mais il n’y avait pas le petit plus et il a fallu faire comprendre à ces jeunes filles que si on continuait à jouer de cette manière-là, il n’y avait qu’une seule certitude, la défaite. Il a fallu changer la manière de jouer et aussi les contenus puisqu’on était dans une spirale négative. On pensait que l’Australie était un pays anglo-saxon avec des plans, des systèmes bien établis et que si on changeait les choses, qu’on les surprenait, ça pouvait marcher. Il y avait besoin aussi de faire croire aux filles que ça allait marcher. Je suis allé les chercher avec, je l’avoue, des mots un peu fleuris. Il fallait qu’elles enlèvent le balai qu’elles avaient dans les fesses, défendre tout terrain, les sortir de leurs zones de confort, retrouver cette grinta et cette spontanéité qui nous caractérisent d’habitude au niveau offensif, remonter possession par possession, tout doucement, sans s’affoler. On a essayé de créer un système de croyance avec les joueuses, en disant que l’on n’avait plus rien à perdre, tout à gagner, qu’il fallait tout changer, repartir au combat, à la vosgienne -car je suis vosgien-, c’est-à-dire, on s’en fout du talent, on dresse les barricades, les barbelés, et il n’y a pas d’actions faciles dans la raquette. Voilà.

On vous voit par ailleurs sur plusieurs photos réconforter plusieurs joueuses à la fin de la finale contre les Etats-Unis, là aussi que leur avez-vous dit ?

Qu’il fallait que l’on soit fiers de cette médaille. La déception était légitime. J’avais déjà fait une finale contre les Etats-Unis en 2010 et très sincèrement, je n’y croyais pas en 2010. Alors que cette année, j’y croyais car j’avais une équipe qui pouvait sinon les battre du moins les titiller. Depuis un an, on a de cesse dans la construction des objectifs de dire qu’on ne vise pas la finale mais le titre. C’est ce qui manque un peu à mon avis dans le basket français, c’est de se dire que l’Europe ne nous suffit plus et qu’il faut que l’on aille conquérir le monde. Je suis parti du principe que l’on avait conquis le Mont Blanc et que maintenant on était à la conquête de l’Everest. Appuyées par le staff, les joueuses avaient construit un collectif à la conquête du titre mondial. Alors forcément à la fin, il y a une grande différence entre l’objectif que l’on s’est fixé et le résultat de cinquante points d’écart. C’est plus que frustrant, c’est décevant. Les joueuses étaient déçues de ne pas avoir mis la manière mais il ne fallait pas avoir honte de ce résultat car des équipes de France qui sont montées sur un podium mondial, il y en a quatre, cinq sur toute l’histoire du basket. En U17, ce n’est que la deuxième fois, en jeune, ce n’est que la troisième fois. Il faut être fier du parcours réalisé, de se dire que l’on est toujours la première nation européenne, que l’on est deuxième nation mondiale derrière une équipe américaine qui est extraordinaire. La coach des Etats-Unis A (NDLR : Dawn Staley) était dans les tribunes et elle a expliqué que c’est la meilleure génération aux Etats-Unis depuis trente ans.

A part le fait qu’elles n’ont pas toujours mis leurs shoots extérieurs, on a l’impression qu’elles n’avaient pas de failles ?

Tout est blindé. Elles ont les qualités physiques, les meneuses, les shooteuses, les driveuses, le jeu intérieur. Elles sont très bien coachées, la coach (NDLR: Carla Ann Berube) les fait très bien jouer. On ne s’en rend pas compte à la télé, les images ça écrase, mais au bord du terrain, on voit qu’elles mettent beaucoup d’impact physique. Oui, Iliana (Rupert) rate sa finale car elle est blessée, elle est fatiguée mais il faut voir les impacts qu’elle s’est pris. C’est énorme.

Kendra Chery

« Les joueuses savaient que ce serait intense, qu’il fallait leur rentrer dans le lard, saut qu’entre savoir et vivre la situation, il y a un monde d’écart »

On n’a pas l’impression que les intérieures ont 17 ans mais plutôt 25 ou 30 ?

Quand on voit que la deuxième numéro 5 qui fait 1,86m smashait à l’entraînement et facile ! Quand tu vois ça, tu te dis qu’il va falloir contrôler le rebond mais dès le début du match je me suis dit qu’on n’était pas dans ce qui était prévu.

Et donc si vous comparez cette équipe américaine avec celle de 2010 ?

Beaucoup plus forte !

En huit ans, le niveau mondial a-t-il progressé ?

Ce sont les styles de jeu qui y sont particuliers. Le Japon est complexe à jouer pour nous, ça va partout. Ils ont mis de l’argent sur la formation, le développement. Ils se regroupent cinq jours tous les mois toute l’année. C’est un système très performant. Le Canada n’avait pas une grosse génération mais travaille très bien. La Chine fait des conneries pédagogiques, c’est leur problème, mais ils mettent également des moyens énormes dans la formation. Oui ça progresse mais ce n’était pas le meilleur championnat du monde que j’ai pu voir. C’était très hétérogène. Il y avait les équipes de pointe à partir des quarts et les autres. Donc huit équipes de fort niveau et huit autres d’un niveau très hétérogène voir pas bon. A Toulouse en 2010, il y avait deux poules de six et le niveau était forcément plus élevé, il n’y avait pas un match facile alors que là, tu joues la Colombie ou la Biélorussie, tu as une marge.

N’avez-vous pas manqué de concurrence avant la demi-finale contre l’Australie ?

Si ! On n’a jamais été poussé dans nos retranchements ni en préparation ni pendant la compétition. Ce n’est pas faute d’avoir essayé en préparation d’avoir l’Australie et les Etats-Unis pour les jouer mais ils ne se déplaçaient pas et nous on ne pouvait pas le faire. On a eu une préparation avec dix, douze matches amicaux et seulement deux ou trois qui nous ont posés des problèmes. Les matches en début de prépa contre les U18 France ce sont les meilleurs que l’on a pu jouer. On a joué la Pologne U18, la Belgique U18 et on leur met 16-18 points. Je pense que ça a joué dans l’appréhension de la demi-finale et de la finale. Pour préparer un championnat du monde, il faudrait jouer 3, 4, 5 fois contre les grosses équipes. C’est ce que disait Vincent Collet, pour battre l’Espagne, il faut les jouer plusieurs fois pour comprendre comment ils fonctionnent, pour ne pas être surpris de leur intensité. Expliquer ce n’est pas le vivre. Les joueuses savaient que ce serait intense, qu’il fallait leur rentrer dans le lard, sauf qu’entre savoir et vivre la situation, il y a un monde d’écart.

C’est ce que l’équipe de France féminine A fait de plus en plus, rencontrer les Etats-Unis ?

Exactement. Prenons le match du Japon. Les joueuses savaient que ce serait rapide et que ça allait tirer dans tous les sens et à la fin du match, je leur ai demandé pourquoi elles avaient mis trois-quarts temps à appliquer réellement les consignes. C’est qu’entre le voir à la vidéo, le comprendre et le vivre, il y a un monde. Le Japon, l’Australie et les Etats-Unis, tu as beau expliquer comment ça fonctionne, montrer des images, anticiper comment ça va se passer, tant qu’elles ne jouent pas avec elles, elles ne savent pas en fait. Il n’y a que l’expérience qui permet de gagner ces matchs-là.

C’est ça qui est fabuleux chez les Américaines : elles sont capables d’avoir une émulation en autarcie, entre-elles, puisque comme elles sont au-dessus du lot, elles n’ont pas de concurrence à l’étranger ?

J’ai discuté avec les coachs pour savoir comment ils fonctionnent. Et là malheureusement, c’est la démographie, l’arithmétique qui font la différence et je ne pense pas que l’on puisse y arriver un jour. A leur trial en mars, les Américaines ont 280 joueuses pour faire une sélection de 12 ! Alors que moi quand je fais une détection large, j’ai 24 joueuses (rires).

Zia Cooke

« On a en face une génération dorée américaine qui est tout simplement injouable »

Ce sont 280 joueuses de high schools, aussi c’est très difficile à étalonner ?

Ils ont un système qui marche pas district, ville, état. Ils ont donc différentes strates de compétition durant la saison et en plus ils ont des tournois AAU qui sont un peu nos sélections régionales. A Team USA, ils font remonter toutes les statistiques de tous les tournois et tous les MVP et les joueuses dans les cinq majeurs apparaissent dans un système informatique. Il y a aussi comme en Europe et en France le bouche à oreille qui fonctionne, des gens chargés de faire la détection qui remontent les noms. Pour les trials, Team USA invite une centaine de joueuses et ensuite ils laissent la porte ouverte à tous les autres coachs et toutes les autres joueuses d’une manière payante -je crois que c’est 80 dollars la journée- pour une détection de cinq jours et qui veut venir pour gagner sa place vient. Ils font entraînement, match, entraînement, match et il reste plus que 30 joueuses pour aller à Colorado Springs pendant trois semaines pour jouer. Entraînement le matin et match l’après-midi contre les U18 américaines qui font la même chose de leur côté. Vous imaginez ! Donc quand une joueuse américaine arrive en équipe nationale, elle a passé une dizaine de strates de concurrence.

C’est pour cela qu’elles ont non seulement des fondamentaux, un physique mais aussi pour passer toutes ces étapes-là, il faut un mental d’acier ?

C’est un peu comme le film Highlander ! Il n’en restera plus qu’un… Alors que nous quand Iliana Rupert arrive, elle sait qu’elle sera dans les 12 à la fin. C’est sûr que sur 330 millions d’habitants, un nombre énorme de pratiquants et de high schools dans tous les Etats-Unis, tu auras douze joueuses de très grand talent. Si on compare le nombre de joueuses, de structures de haut niveau, d’entraînements que peuvent avoir les deux pays, c’est dommage que nos joueuses ne soient pas plus en concurrence pour pouvoir jouer les Etats-Unis les yeux dans les yeux et espérer pouvoir les battre.

C’est envisageable, malgré la différence de 50 points, le fait qu’elles soient physiquement plus mûres, que la 12e joueuse soit très forte, etc ?

Ce n’est pas qu’on ne peut pas les battre… Les qualités physiques, on les a aussi. Mais c’est que nous on domine l’Europe en mettant en oeuvre 60% de nos qualités physiques. Parfois on est très suffisant. C’est c’est très français ça. On ne sait pas mettre 50 points aux gens. Aux Etats-Unis, ils mettent 100% de leurs qualités, tout le temps. Si on arrive à mobiliser 100% des qualités intrinsèques que l’on a, je pense que l’on peut déjà faire du bon boulot.

Ce qui saute aux yeux dans cette équipe américaine et à l’inverse de toutes les équipes féminines, c’est cette capacité à ne pas louper des « paniers faciles », à faire des drives, des layups parfaits, comme les mecs ?

Oui, parfois on les déchiquète au contact et elles arrivent quand même au 2+1. Il y a beaucoup de choses à re-travailler mais on est sur la bonne voie. On a en face une génération dorée américaine qui est tout simplement injouable mais on est quand même en finale même s’il ne faut pas s’en satisfaire, mais il faut aussi s’en réjouir car beaucoup de pays auraient aimé être à notre place.

« Lorsque j’ai ouvert mon portable en revenant, j’ai vu 378 messages qui sont arrivés, j’ai pris conscience de tout ça »

Battre les Australiennes, c’est une performance. Avant les Jeux de Londres, c’est un pays qu’on ne battait jamais ?

Elles jouent un basket hyper physique, rugueux, au sol, très puissant avec beaucoup de discipline, peu de pertes de balle, du contrôle, un basket très mature. Les battre ce n’est pas si simple que ça. C’est ce que j’ai dit dans le vestiaire, il faut s’en réjouir mais ne pas s’en satisfaire. Si on pense que l’on a fait le travail, on se trompe. Ayons de l’ambition ! Mais on peut s’en réjouir car ce n’est pas si souvent que la France fait un résultat de ce type-là. Je suis très optimiste mais aussi très exigeant et très réaliste. Il faut que le système de formation français se réjouisse de son travail. La collaboration entre pôle espoir, pôle France, centre de formation, club pro associée aux garçons engendre du positivisme, une envie de travailler ensemble. Il y a une vraie complémentarité et cette association est vraiment nickel. Ça donne envie de travailler encore mieux mais ensemble. J’ai aussi beaucoup apprécié l’engouement qu’il y a eu autour de cette coupe du monde. J’ai vu les réactions sur les journaux, les réseaux sociaux, c’était sympa. Les gamines ont été véritablement touchées par tout ça. Le président de la fédé qui vient passer 6-7 jours à Minsk, c’est un symbole fort.

Vous avez eu droit à un dossier dans L’Equipe, la finale était sur Sport+…

Oui. Sur place, on est un peu déconnecté mais c’est après lorsque j’ai ouvert mon portable en revenant, j’ai vu 378 messages qui sont arrivés, j’ai pris conscience de tout ça, YouTube, Facebook, les chaînes TV ! Et la fédé aussi, que ce soit les collègues, toutes les équipes nationales, le président de la fédé, le directeur technique national, j’avais tous les jours des messages, c’était une vraie émulation. C’est aussi tout ça qui transporte, qui met dans un état de pouvoir performer.

C’était bien organisé en Biélorussie ?

Les hôtels, les repas, nickel. C’était mieux organisé que certains championnats d’Europe. Le président biélorusse, des politiques sont venus. C’est sûr que c’est la dernière dictature d’Europe, c’est un peu austère, on sent les relents russes mais au-delà de ça, c’était super bien et je ne regrette pas d’y être allé ! (rires)

[armelse]

Même si la défaite en finale face aux Etats-Unis fut cuisante (40-92), il faut mettre en exergue la performance de cette génération « 2001 » championne d’Europe U16 l’été précédent, et qui cette fois encore est demeurée invaincue avant le dernier assaut notamment en renversant une situation très compromise face à l’Australie en demi-finale au prix d’une deuxième mi-temps somptueuse (44 à 22 pour l’emporter 58-48).

Dans la première partie de cette interview, le coach nous livre son analyse pertinente du tournoi et aussi du modèle américain si singulier. Dans une seconde, il nous brossera le portrait de chacune de ses joueuses dont plusieurs seront certainement appelées au plus haut niveau d’ici quelques années.

Qu’avez-vous dit à vos joueuses à la mi-temps de la demi-finale contre l’Australie ? On vous a certainement posé cette question à de multiples reprises depuis votre retour !

(Rires) Effectivement, c’est une question que l’on m’a beaucoup posé. Cela a été magique dans le résultat mais pas dans la formule. On avait plus un problème d’attitude, d’engagement que de basket. Le basket que l’on proposait était celui que l’on devait faire mais il n’y avait pas le petit plus et il a fallu faire comprendre à ces jeunes filles que si on continuait à jouer de cette manière-là, il n’y avait qu’une seule certitude, la défaite. Il a fallu changer la manière de jouer et aussi les contenus puisqu’on était dans une spirale négative. On pensait que l’Australie était un pays anglo-saxon avec des plans, des systèmes bien établis et que si on changeait les choses, qu’on les surprenait, ça pouvait marcher. Il y avait besoin aussi de faire croire aux filles que ça allait marcher. Je suis allé les chercher avec, je l’avoue, des mots un peu fleuris. Il fallait qu’elles enlèvent le balai qu’elles avaient dans les fesses, défendre tout terrain, les sortir de leurs zones de confort, retrouver cette grinta et cette spontanéité qui nous caractérisent d’habitude au niveau offensif, remonter possession par possession, tout doucement, sans s’affoler. On a essayé de créer un système de croyance avec les joueuses, en disant que l’on n’avait plus rien à perdre, tout à gagner, qu’il fallait tout changer, repartir au combat, à la vosgienne -car je suis vosgien-, c’est-à-dire, on s’en fout du talent, on dresse les barricades, les barbelés, et il n’y a pas d’actions faciles dans la raquette. Voilà.

On vous voit par ailleurs sur plusieurs photos réconforter plusieurs joueuses à la fin de la finale contre les Etats-Unis, que leur avez-vous dit ?

Qu’il fallait que l’on soit fiers de cette médaille. La déception était légitime.

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Photos: FIBA

A lire demain, le portrait de chaque joueuse

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