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[REDIFF] Spécial Limoges – 25 ans après son titre de champion d’Europe, les souffrances de Franck Butter

Suite à un reportage sur place, nous consacrons toute cette semaine, du dimanche à vendredi, au Limoges CSP. Le club le plus prestigieux, le plus titré et aussi le plus turbulent du basket français, qui possède une saveur unique. Franck Butter fait partie des champions d’Europe limougeauds de 1993.

Suite à un reportage sur place, nous consacrons toute cette semaine, du dimanche à vendredi, au Limoges CSP. Le club le plus prestigieux, le plus titré et aussi le plus turbulent du basket français, qui possède une saveur unique.

Franck Butter fait partie des champions d’Europe limougeauds de 1993. Il a aujourd’hui 55 ans. Vous pouvez apercevoir sa longue carcasse de 210 cm les soirs de match à Beaublanc mais rarement en ville car l’ancien pivot international est sérieusement handicapé au pied et doit s’appuyer sur une béquille. On s’est donné rendez-vous dans un café proche de la gare des Bénédictins pour qu’il nous raconte sa vie d’avant, de héros, et aussi celle d’aujourd’hui, de souffrance.

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« J’ai été recruté par Pierre Dao, qui était au Bataillon de Joinville et qui intégrait Limoges. Je suis natif de Montereau, à côté de Fontainebleau, là où il y avait le BJ. Il est venu discuter avec mes parents. Il les a fait venir trois jours ici pour visiter la ville, les infrastructures, le centre de formation. Ils étaient hébergés à l’hôtel. Vraiment un mec super, Dao. J’avais des problèmes de santé car je grandissais beaucoup et comme j’étais le dernier de la famille, j’étais très chouchouté. J’avais commencé le basket très tard car il ne fallait pas que je me fatigue. Ce fut d’ailleurs un problème sur les terrains car j’avais du mal à me rendre méchant car j’étais très couvé. C’est à force de prendre des coups dans la gueule que j’ai réagi.

J’ai donc intégré le centre de formation du CSP avec Hugues Occansey, Jean-Manuel Sousa, Emile Popo, Olivier Garry, Jean-Philippe Blanchet, Christian Dussoulier. On mettait des doudounes aux clubs de Nationale 2 de l’époque comme La Rochelle. On avait un coach extraordinaire, Fabien Texier, qui était scout en même temps. Ce qui m’a marqué, c’est qu’un jour, il me dit « Franck, reviens en défense. » Je lui réponds que je suis fatigué. Il me met sur le banc et je ne rentre pas de la deuxième mi-temps. Je prends la douche, on monte dans le bus. Fabien me dit de venir le voir. « Qu’est-ce que tu m’as dit sur le terrain ? » « J’étais fatigué, coach. » « Tu a fais quoi avant de faire du basket ? » « Je travaillais en usine. 8h-12h, 14h-17h. » « D’accord. La semaine prochaine, tu fais 8h-12h, 14h-17h au palais des sports. Tu te débrouilles, tu fais des shoots, de la musculation, je passerai. » Je l’ai fait. Le vendredi soir, il me dit « t’es fatigué ? » (Rires).

Quand je suis parti de chez moi, dans La République de Seine-et-Marne, c’était marqué, « Le Limoges CSP en contact avec Franck Butter ». Le club était en Excellence Départementale. Je travaillais à la chaîne. Je faisais des sabots pour les semoirs agricoles. J’en faisais tant à l’heure. Toute la journée. J’avais trois-quart d’heure pour manger, j’amenais ma gamelle. J’avais un CAP d’employé de bureau. J’aurais pu faire autre chose mais comme tous les étés en juillet, août -je ne partais pas en vacances-, je travaillais pour gagner de l’argent, je suis resté en contrat intérimaire jusqu’en décembre et après ils m’ont fait signer mon contrat. J’ai fait ça pendant huit mois.

Mon père, qui était allemand, était menuisier dans cette usine-là, ma mère était femme de ménage. Mon père est arrivé après la guerre clandestinement. Il était rentré dans la Jeunesse Hitlérienne (NDLR : organisation qui, de 1926 à 1945, regroupa les jeunes du Parti Nazi et qui était obligatoire sous peine de lourdes sanctions). Il avait une vingtaine d’années et il a appris le français sur le tas. Il est décédé il y a deux ans, il aurait eu 89 ans. Ma mère est née du côté de Bar-le-Duc. Elle s’appelle Koch. Ça veut dire Cuisinier. Et mon père Butter. Cuisine au Beurre (rires). Mon père a eu son permis à 44 ans. Avant il avait une mobylette. Ils ont eu une voiture très tard et on est parti en vacances très tard. Il faisait 1,80m et ma mère 1,70m. Ma sœur qui a huit ans de plus que moi fait 1,69m, mon frère 1,92m. Et puis moi 2,10m. S’ils en avaient fait un autre, il aurait fait 2,75m (rires) !

Je suis arrivé au boulot et les mecs m’ont dit, « Franck, tu vas au Limoges CSP ? » « Je ne sais pas, j’ai mon boulot ici. » « Vas-y ! » Et quand Pierre Dao est revenu une deuxième fois à la maison, il a posé la question cruciale, « combien voulez-vous qu’il gagne ? » Mon père a dit qu’ils me laissaient partir car sinon j’allais peut-être leur reprocher toute ma vie de ne pas l’avoir fait. Je gagnais 3 250F à l’usine. Mon père a dit « autant. » Pierre Dao a répondu : « 5 000F ». Et il a donné 10 000F au club. J’ai signé comme espoir.

J’avais le poster du Limoges CSP dans ma chambre et trois mois après j’étais avec eux dans le vestiaire. On les avait vus en mars en finale de la Coupe Korac à la TV (NDLR : en direct sur Antenne 2) et je suis arrivé en mai. Il y avait Ed Murphy, Apollo Faye, tout ça. Et à Limoges, tu es vite sollicité. Tu ne payes pas les boîtes de nuit. Quand tu es jeune, ça va vite. C’est bien de savoir d’où tu viens, de galérer un peu avant. Si j’avais eu une vie facile avant de venir ici, j’aurais peut-être été un petit con, enfin un grand con. »

« D’un côté, je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait et de l’autre, je suis épuisé. Parfois, je n’en peux plus. Je me dis que je courais comme un lapin. Enfin, un lapin de 2,10m, ça n’existe pas. Sauf à Tchernobyl »

« J’ai pratiquement fait ma carrière que sur une jambe. Je me suis fait une entorse à la cheville à Monaco quand j’étais avec les espoirs à Orthez en tombant sur le pied d’Angelo François-Elocie. On rentre en train. Je vois le médecin qui me dit « tu t’es fait une entorse ». Je me fais soigner pendant trois mois et j’ai repris les entraînements. Durant les deux premiers mois d’arrêt, je n’ai pas été chercher mon salaire. A l’époque, tu allais chez le trésorier, tu signais le registre. C’est mon agent qui m’a appelé en me disant que le président venait de le prévenir que je n’avais pas été chercher mon salaire. C’était mon premier contrat et j’étais mal à l’aise d’être payé alors que je ne jouais pas. Il m’a dit que ça n’avait rien à voir. Je suis allé signer le registre et j’ai touché mon salaire.

J’ai repris et au bout de deux mois le président (Pierre) Seillant m’a dit « Franck, on n’est pas content de toi ». Je venais de Limoges et j’étais sensé être un bon joueur en devenir. Je lui ai répondu que « le problème c’est que lorsque je finis les entraînements, j’ai la cheville qui me fait mal ». Je lui ai dit aussi « jouons franc jeu : on va voir un bon spécialiste et s’il dit qu’il n’y a rien c’est que je suis un fainéant ». On a pris rendez-vous chez le professeur (Gérard) Saillant. Il m’a dit que j’avais les ligaments pétés. J’étais rassuré parce que j’avais quelque chose mais il fallait que je me fasse opérer. Et donc j’ai toujours compensé sur l’autre jambe gauche. Et c’est pour ça qu’en 1990 je me pète le talon d’Achille de mon pied gauche. D’ailleurs, j’allais toujours à droite. Le mec qui aurait eu un peu de jugeote et qui m’aurait fait aller à gauche, j’aurais été incapable de jouer ! Il y avait moins de scouting à l’époque, ça m’arrangeait ! A chaque fois que j’allais au rebond, je ne sautais que sur une jambe.

Dans tous les clubs que j’ai fait, les corps médicaux étaient catastrophiques. A Montpellier on faisait les déplacements sans kiné parce qu’il fallait l’indemniser, et ça c’était en 96-98. On s’est professionnalisé au niveau des salaires mais pas du médical. On allait voir parfois des guérisseurs, des acupuncteurs, des gourous !

J’avais un peu de douleur mais rien de comparable avec maintenant. Je n’ai jamais été guéri. Dès l’instant que tu as une entorse et que tu t’entraînes un mois et demi dessus, tu te pètes tous les cartilages et tu n’as pas de calcification. En équipe de France, ils rigolaient quand ils voyaient ma cheville. Moi aussi j’en rigolais mais aujourd’hui j’en pleure plus que j’en rigole. Ça n’a fait qu’empirer. Faire une carrière sur une jambe et avoir Boja (Maljkovic) comme coach, je peux dire que j’ai souffert le martyr. Ça fait dix ans qu’ils m’ont bloqué la cheville et là je me suis fait opérer des orteils car comme je n’avais pas d’amplitude au niveau de la cheville ce sont eux qui compensaient. J’ai une douleur aigüe, comme un coup de cutter, tout le temps.

En 2000, j’ai arrêté le basket et le sport, toutes activités physiques. Pendant dix ans, je n’ai pas pu marcher. Quand je descendais des brouettes de bois, au bout de dix mètres, il fallait que j’attende car j’avais l’impression d’avoir le pied dans un étau. Quand tu es sportif de haut niveau et que tu te vois diminué comme ça, il y a des moments tu chiales. A 46 ans, j’ai vu le remplaçant du Professeur Saillant -qui lui-même est venu au rendez-vous pour me voir et me dire que j’étais entre de bonnes mains-, il m’a fait une prothèse et j’ai pu remarcher même si au boulot je piétine pas mal. Mais il y a quatre ans, j’ai failli y passer, j’ai fait une double embolie pulmonaire car mon Talon d’Achille, qui a été opéré deux fois en six mois en 1990, a re-pété. Déchirure. Je suis allé aux urgences mais ils ne m’ont pas donné tout ce qu’il fallait et j’ai fait une phlébite. J’avais du mal à avaler, j’ai passé un examen et un scanner et ils m’ont hospitalisé en urgence. J’avais une partie du poumon qui n’était pas vascularisé et j’avais plein de caillots de sang. Le médecin m’a dit, « heureusement que vous êtes un ancien sportif de haut niveau, vous avez un cœur musclé. Sinon, je pense que vous ne seriez pas là avec nous aujourd’hui. » Je me suis mis à beaucoup marcher, 20-25km, et donc j’ai eu des problèmes d’orteils. Je suis au centre antidouleurs, avec un psy, je fais de la relaxation pour accepter la douleur.

D’un côté, je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait et de l’autre, je suis épuisé. Parfois, je n’en peux plus. Je me dis que je courais comme un lapin. Enfin, un lapin de 2,10m, ça n’existe pas. Sauf à Tchernobyl (rires). Se retrouver à 55 ans dans cet état-là… Malgré ça, si c’était à refaire à 18 ans, je resigne de suite. »

« Un Français qui se serait comporté comme Boja (Maljkovic) ne serait pas resté, il se serait fait virer. Les joueurs auraient trouvé que c’était trop dur. »

“C’était le début du professionnalisme. Des mecs comme Apollo (Faye) jouaient avec des baskets pas terribles, pas toujours sur du parquet, parfois du béton. Nous, sauf une année sur la moquette à Orthez, on jouait sur du parquet avec de bonnes chaussures mais les niveaux d’entraînement étaient différents.

J’ai joué avec Tom Scheffler comme Américain et George Fisher comme coach, la Coupe des Champions contre Kaunas et (Arvydas) Sabonis. Je me blesse la première année mais comme je revenais de blessure, j’ai très peu joué la deuxième année. Mon agent, Didier Rose, me dit que plein de clubs me voulaient et essentiellement Nantes. Et aussi Caen où je n’avais que 2 000F d’augmentation. Didier me dit, « je sais quels joueurs ils veulent prendre dans les deux équipes. Si tu vas à Nantes, tu vas être troisième voire quatrième pivot et il faut que tu joues 40 minutes car là tu as perdu du temps, sinon après tu seras grillé. C’est lui qui m’a orienté vers Caen. A Caen, j’ai eu Djordje Andrijasevic comme coach (NDLR : Et aussi Frédéric Forte comme jeune équipier).

Il fallait rattraper le temps perdu. J’ai commencé le basket très tard, à 18 ans et demi. Je suis arrivé d’Excellence Départementale ici à Limoges sans fondamentaux. Tu passes de deux entraînements par semaine à trois par jour. Pierre Dao (NDLR : le coach) ne voulait pas que je reste dans ma chambre à glander entre les entraînements, alors j’allais chez André Sardin (NDLR : un dirigeant du club), qui avait un magasin d’électro-ménager, je livrais des machines à laver. J’allais manger au Foyer des Jeunes Travailleurs. Je m’entraînais le matin et l’après-midi avec l’équipe Une et les espoirs.

On se plaignait que l’on n’avait pas de grands mais est-ce qu’on savait les modeler ? Non. Joby (NDLR : Georges Vestris) n’avait pas le droit à l’erreur car il faisait 2,14m. Et puis les grands explosent beaucoup plus tard, ils sont à point à 26-27 ans. Ce que j’entends au CSP ou même au rugby, c’est « il n’y a pas de leader, de mec qui en veut. » Comment en 2018 avec les salaires qu’il y a tu peux entendre ça ? Je n’avais pas de fondamentaux mais quand il y avait une balle par terre, je plongeais dessus. En 1995, Michel Gomez me dit, « Franck, il faut que tu viennes en équipe de France. » Je lui réponds, « Michel, j’ai le bras dans le plâtre. » Il insiste. « Tu veux que je fasse GO ? » (Il rit). J’y suis allé. Du coup, quand j’entends ça, ça me révolte. Comme j’ai démarré tard, j’ai toujours été un joueur qui a travaillé pour l’autre. Quand ici je faisais des blocs et que Michael Young marquait un panier, j’étais super content. De toutes façons, j’étais incapable de marquer 20 points par match. C’est l’avantage au basket, tu as d’autres possibilités. Tu prends des rebonds -avec ma taille, ça aide-, tu fais des blocs, et tu défends. Mais il y en a, ça ne les intéresse pas. Ce qu’ils veulent, c’est marquer des points. A ce moment-là, tu fais un sport individuel. C’est vrai que là, tu peux changer de joueur tout le temps. Nous, il n’y avait que deux étrangers.

Un Français qui se serait comporté comme Boja (Maljkovic) ne serait pas resté, il se serait fait virer. Les joueurs auraient trouvé que c’était trop dur. Je m’en rappellerai toujours : on fait un match amical, il reste trois minutes, il demande de nous échauffer, nous qui étions sur le banc. On se demandait ce qu’il voulait, ce n’était pas le mec a changer cinq joueurs d’un coup… Fin du match. Ligne de fond. On a fait au moins une dizaine de suicides ! Ça a payé !

L’année d’après je voulais partir mais les dirigeants m’ont demandé de rester pour compenser l’année où j’avais été blessé. Je ne pouvais pas dire non. Je suis parti en 1994 donc je n’ai pas fait le deuxième Final Four avec Boja en 1995. »

« J’ai fait des burgers pendant trois mois et certaines personnes me voyant disaient que j’étais descendu bien bas »

« J’ai revu Michael Young pour la première fois pour les « vingt ans » (NDLR : en 2013, les champions d’Europe de 1993 se sont retrouvés à Paris et à Limoges et Michael Young avait beaucoup grossi). C’est impressionnant ! Richard (Dacoury) s’est occupé de le chambrer. Il rigolait, il savait très bien qu’il allait se faire chambrer. Quand on arrête, on appelle ça la « petite mort ». Quand il a arrêté le footballeur (José) Touré a failli se suicider. C’est ça qui est difficile. Sous prétexte que le mec a gagné du fric, il n’a pas le droit d’être fragile. Les gens pensent qu’il l’a cherché. Mais non ! C’est hyper dur. J’ai fait deux ans au Mans, deux ans de trop. Physiquement j’étais cuit mais je n’avais pas envie d’arrêter.

Je suis revenu ici car j’avais une maison. Ma femme est d’ici. Tu es à Limoges, tu continues à voir les matches. Tu reviens toujours à l’endroit où tu as eu de bons souvenirs. J’ai passé deux ans au centre de formation de Limoges, trois ans ici où on a eu de super résultats plus les beaux-parents qui sont là. Je savais que je n’allais pas rester dans le milieu. Entraîneur ? Reprendre le baluchon ? Non. Et puis je ne suis pas méchant. C’est ce que je vois avec Jean-Marc Dupraz (NDLR : son équipier quand le CSP a été champion d’Europe) qui considère qu’il a en face de lui des joueurs professionnels et donc il y a des choses qu’on n’a même pas à dire, c’est logique. Je m’aperçois que finalement, non. Répétez tout le temps, « l’envie, la gnac… » J’ai pris un petit club en Excellence Départementale, Panazol. Ils sont venus me chercher, ils voulaient changer d’entraîneur. OK. Ils voulaient monter mais aux entraînements, je me retrouvais avec 6 joueurs, 4 joueurs… Et le samedi ils veulent tous jouer. Non ! Ce n’est pas une question de voir de haut les petits clubs mais quand tu t’engages, c’est à fond. C’est ce que je vais dire à mon petit-fils. Un club ce n’est pas une garderie. Du coup, même si les mecs ont un boulot à côté, je ne comprends pas qu’on ne se fasse pas ça à fond. Je suis déjà très dur avec moi. Je me suis rendu compte que j’ai beaucoup d’humour mais c’est beaucoup nerveux, c’est une façon d’évacuer les choses (il rit). Je chambrais mais je me chambrais aussi moi-même. Quand tu es à l’école avec des mecs comme Freddy Hufnagel, Philip Szanyiel, Franck Cazalon, tu prends des notes.

Oui, je me sens un peu en représentation du champion d’Europe 1993. A Limoges, au boulot, et même ailleurs. Sous forme de boutade, je dirais que ce sont plus les petits-fils aujourd’hui ! Les deux titres qu’il y a eu avec Fred (Forte) ont permis d’avoir une nouvelle génération. Ça te colle à la peau et ce n’est pas désagréable plutôt que d’entendre « la grande gigue ». Même si ça me gêne un peu car en gros, il faut que tu avances en regardant dans le rétroviseur. Il faut que tu te serves de ce que tu as fait.

J’ai été consultant sur Pathé Sport pour les matches de basket. Je faisais le bord terrain, notamment au All-Star Game. Ce n’était pas évident. Mais je crois que je n’ai jamais trop voulu rester dans le milieu du basket même si j’avais le projet éventuel d’intégrer le club. Mais comme en 2000 ça s’est cassé la gueule… Donc je me suis fait un nettoyage de la cheville et j’ai fait une formation à l’AFPA. J’ai fait une remise à niveau… Le mien était bas (rires). J’ai fait une formation de vendeur délégué commercial pendant huit mois. J’ai eu le diplôme. Je suis rentré chez Paru-Vendu pour vendre de l’espace publicitaire à Limoges. C’était agréable car je rencontrais des anciens dirigeants ou des gens qui continuaient à aller au basket. J’avais une Smart comme voiture et tout le monde rigolait en me voyant. Après, j’avais un ami en commun, le franchisé de Quick, qui en ouvrait un autre. Il recherchait un directeur et il m’a demandé si ça m’intéressait. Je n’y suis pas allé tête baissée, parfois je me pose trop de questions. On a discuté. J’ai dit OK mais avec une période d’essai de trois mois. J’ai fait des burgers pendant trois mois et certaines personnes me voyant disaient que j’étais descendu bien bas. Les plus âgés ce sont les managers, ils ont trente ans et moi j’en avais quarante-deux. C’est super intéressant et je remercie la personne qui m’a tendu la perche. Je suis directeur. Je ne me suis jamais lancé comme propriétaire d’un restaurant par peur de foutre tout en l’air ce que j’avais construit.

Actuellement, je suis en accident de travail. Je suis arrêté depuis mars 2017 et je me suis fait opérer en juin 2017. Je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé. Je vais voir comment ça va se passer avec mon employeur. Les gens ont parfois honte de parler de choses comme ça car il galère. Moi, je ne galère pas, je souffre !

Je sais que Laura Flessel a voulu mettre en place quelque chose pour la reconversion des sportifs de haut niveau. Il y a du gros boulot à faire. Quand tu es jeune, tu as déjà beaucoup moins de douleurs. Et puis tu t’entraînes, tu te dépenses. Alors que là tu te retrouves avec un corps qui est dans le rouge dans tous les sens. Tu n’as pas envie d’avoir mal parce que tu es une chochotte mais parce que tu souffres. Du coup, tu ne fais plus rien car t’as peur d’avoir mal. Tu te lèves de la chaise, tu as mal au dos. Tu as un problème de pied. Mais à côté de ça, je re-signe tellement j’ai eu à côté de bons moments qui te permettent d’oublier certaines douleurs.

J’ai regardé les rugbymen d’Afrique du Sud, qui ont la Maladie de Charcot, des trucs comme ça. Je suis intransigeant et c’est dur ce que je vais dire : les mecs qui sont chargés, c’est bien fait pour eux. Je me rappellerai toujours du sondage qu’ils avaient fait à l’époque des Jeux de Los Angeles. « Vous vous chargez, vous allez être champion olympique, mais vous mourrez à quarante ans. » 80% des gens, quelque chose comme ça, disaient « oui ». Mais comment peux-tu déjà te dire dès le matin, « je triche » ? Je sais bien que le dimanche matin quand ils vont faire un tour de vélo avec des copains certains sont chargés. Si l’un de mes petits-fils  veut faire du vélo, je ferai tout pour le convaincre de faire autre chose. »

« A Limoges, le public est exigeant mais patient. Il ne va pas prendre un grippe un joueur parce qu’il a raté deux lancers-francs. Ce qu’il faut, c’est éviter que la mèche s’allume. Une fois qu’elle est allumée c’est trop tard »

« Je continue d’aller à tous les matches du CSP. C’est mon seul plaisir -même si cette année il est un peu effrité- car comme je ne peux pas marcher longtemps -si je reste debout les douleurs s’accentuent-, je reste chez moi. Et je m’estime heureux car je ne suis pas dans un fauteuil roulant.

Quand tu viens à Limoges, il faut savoir que tu dois toujours être à 120%, minimum. A l’époque, tu venais pour avoir des titres, être champion de France, minimum. A Mulhouse, j’étais troisième pivot derrière Curtis Kitchen et Sza-Sza (Philip Szanyiel) et donc j’étais habitué à ne pas jouer 40 minutes. Mais quand un mec a l’habitude de jouer 40 minutes ça ne sera pas le cas à Limoges surtout quand tu as cinq étrangers et qu’il y a forcément un Américain qui va être devant toi. Il faut accepter de baisser ton temps de jeu.

Premier entraînement, 2 500 personnes, tu sais à quoi t’attendre. Il faut sortir du terrain en ayant mouillé le maillot et si c’est le cas jamais le public ne va te critiquer. Si tu ne te fais pas respecter, si un mec marque deux ou trois layups, si tu ne lui fais pas comprendre qu’ici c’est Limoges, si tu ne défends pas ton territoire, le public va te prendre en grippe. Pour moi, ça me parait logique. C’était déjà comme ça quand je jouais. Quand tu mets le maillot de Limoges, tu es une autre personne. Les Limoges-Pau, c’était extraordinaire. Quand Pau est venu gagner de vingt points l’année dernière, j’ai vu les mecs à la fin se serrer la main, discuter, moi, je serai rentré direct dans les vestiaires. Ça m’aurait rendu malade. Et quand je vois ça aujourd’hui, j’en suis toujours malade. Tu as le droit de perdre contre une équipe plus forte que toi mais donne tout ! Et si tu ne donnes pas tout, ça va se retourner contre toi. A Limoges, le public est exigeant mais patient. Il ne va pas prendre un grippe un joueur parce qu’il a raté deux lancers-francs. Ce qu’il faut, c’est éviter que la mèche s’allume. Une fois qu’elle est allumée c’est trop tard. Il ne faut pas toucher à leur bébé. Donc, à mon avis, quand tu recrutes un joueur, il faut lui demander s’il a le mental pour faire ça.

Nous, on avait la chance d’avoir seulement deux étrangers, ce qui fait que les Français avaient plus de temps de jeu. Là, quand tu vois les mecs devant toi qui ne se bougent pas le cul, qui savent que s’ils vont en Italie ou en Espagne, ils multiplient par deux leurs salaires, et que malgré tout ils jouent plus que toi, pfttt… Les boules. Que le public gronde, c’est logique. Il est connaisseur. C’est la quatrième génération de spectateurs. Celle des Korac, la nôtre avec le titre de champion d’Europe, celle du triplé en 2000 et l’actuelle. Il y a des gens qui pleurent quand ils perdent un match. Certains sont partis en déplacement avec une voiture en Allemagne. Il faut respecter ça. C’est pour ça, quand on parle d’une nouvelle salle ici, j’aurai peur que ça change l’ambiance. Il y aura des règles de sécurité à respecter, tu seras vachement plus loin. A Beaublanc, il y a le bois de la charpente… L’odeur… Quand je rentre au palais des sports, je ressens tout ça. »

CLUBS ET PALMARES

1984-85 : Limoges CSP, 1985-87 : Elan Béarnais Orthez, 1987-88 : Caen BC, 1988-90 : Mulhouse BC, 1990-94 : Limoges CSP, 1994-97 : Montpellier PB, 1997-99 : Le Mans SB.

68 sélections en équipe de France entre 1985 et 1996. Participation aux championnats d’Euroe 1989 et 1995 .

Champion d’Europe (1993), champion de France (1985, 86, 91, 93, 94),

De gauche à droite, premier rang: Frédéric Forte, Franck Butter, Richard Dacoury, Michael Young. Deuxième rang: Marc Mbahia, Willie Redden, Jim Bilba, Jimmy Verove, Jean-Marc Dupraz. Il manque Jurij Zdovc sur la photo.

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« J’ai été recruté par Pierre Dao, qui était au Bataillon de Joinville et qui intégrait Limoges. Je suis natif de Montereau, à côté de Fontainebleau, là où il y avait le BJ. Il est venu discuter avec mes parents. Il les a fait venir trois jours ici pour visiter la ville, les infrastructures, le centre de formation. Ils étaient hébergés à l’hôtel. Vraiment un mec super, Dao. J’avais des problèmes de santé car je grandissais beaucoup et comme j’étais le dernier de la famille, j’étais très chouchouté. J’avais commencé le basket très tard car il ne fallait pas que je me fatigue. Ce fut d’ailleurs un problème sur les terrains car j’avais du mal à me rendre méchant car j’étais très couvé. C’est à force de prendre des coups dans la gueule que j’ai réagi.

J’ai donc intégré le centre de formation du CSP avec Hugues Occansey, Jean-Manuel Sousa, Emile Popo, Olivier Garry, Jean-Philippe Blanchet, Christian Dussoulier. On mettait des doudounes aux clubs de Nationale 2 de l’époque comme La Rochelle. On avait un coach extraordinaire, Fabien Texier, qui était scout en même temps. Ce qui m’a marqué, c’est qu’un jour, il me dit « Franck, reviens en défense. » Je lui réponds que je suis fatigué. Il me met sur le banc et je ne rentre pas de la deuxième mi-temps. Je prends la douche, on monte dans le bus. Fabien me dit de venir le voir. « Qu’est-ce que tu m’as dit sur le terrain ? » « J’étais fatigué, coach. » « Tu a fais quoi avant de faire du basket ? » « Je travaillais en usine. 8h-12h, 14h-17h. » « D’accord. La semaine prochaine, tu fais 8h-12h, 14h-17h au palais des sports. Tu te débrouilles, tu fais des shoots, de la musculation, je passerai. » Je l’ai fait. Le vendredi soir, il me dit « t’es fatigué ? » (Rires).

Quand je suis parti de chez moi, dans La République de Seine-et-Marne, c’était marqué, « Le Limoges CSP en contact avec Franck Butter ». Le club était en Excellence Départementale. Je travaillais à la chaîne. Je faisais des sabots pour les semoirs agricoles. J’en faisais tant à l’heure. Toute la journée. J’avais trois-quart d’heure pour manger, j’amenais ma gamelle. J’avais un CAP d’employé de bureau. J’aurais pu faire autre chose mais comme tous les étés en juillet, août -je ne partais pas en vacances-, je travaillais pour gagner de l’argent, je suis resté en contrat intérimaire jusqu’en décembre et après ils m’ont fait signer mon contrat. J’ai fait ça pendant huit mois.

Mon père, qui était allemand, était menuisier dans cette usine-là, ma mère était femme de ménage. Mon père est arrivé après la guerre clandestinement. Il était rentré dans la Jeunesse Hitlérienne (NDLR : organisation qui, de 1926 à 1945, regroupa les jeunes du Parti Nazi et qui était obligatoire sous peine de lourdes sanctions). Il avait une vingtaine d’années et il a appris le français sur le tas. Il est décédé il y a deux ans, il aurait eu 89 ans. Ma mère est née du côté de Bar-le-Duc. Elle s’appelle Koch. Ça veut dire Cuisinier. Et mon père Butter. Cuisine au Beurre (rires). Mon père a eu son permis à 44 ans. Avant il avait une mobylette. Ils ont eu une voiture très tard et on est parti en vacances très tard. Il faisait 1,80m et ma mère 1,70m. Ma sœur qui a huit ans de plus que moi fait 1,69m, mon frère 1,92m. Et puis moi 2,10m. S’ils en avaient fait un autre, il aurait fait 2,75m (rires) !

Je suis arrivé au boulot et les mecs m’ont dit, « Frank, tu vas au Limoges CSP ? » « Je ne sais pas, j’ai mon boulot ici. » « Vas-y ! » Et quand Pierre Dao est revenu une deuxième fois à la maison, il a posé la question cruciale, « combien voulez-vous qu’il gagne ? » Mon père a dit qu’ils me laissaient partir car sinon j’allais peut-être leur reprocher toute ma vie de ne pas l’avoir fait. Je gagnais 3 250F à l’usine. Mon père a dit « autant. » Pierre Dao a répondu : « 5 000F ». Et il a donné 10 000F au club. J’ai signé comme espoir.

J’avais le poster du Limoges CSP dans ma chambre et trois mois après j’étais avec eux dans le vestiaire. On les avait vus en mars en finale de la Coupe Korac à la TV (NDLR : en direct sur Antenne 2) et je suis arrivé en mai. Il y avait Ed Murphy, Apollo Faye, tout ça. Et à Limoges, tu es vite sollicité. Tu ne payes pas les boîtes de nuit. Quand tu es jeune, ça va vite. C’est bien de savoir d’où tu viens, de galérer un peu avant. Si j’avais eu une vie facile avant de venir ici, j’aurais peut-être été un petit con, enfin un grand con. »

« D’un côté, je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait et de l’autre, je suis épuisé. Parfois, je n’en peux plus. Je me dis que je courais comme un lapin. Enfin, un lapin de 2,10m, ça n’existe pas. Sauf à Tchernobyl »

« J’ai pratiquement fait ma carrière que sur une jambe.

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